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02 novembre 2007

De la morale et de la liberté (2)

 Attention. Cette note cite une scène particulièrement violente qui risque de heurter votre sensibilité.

b44cedbe440ef59775177a79d99a3a5c.jpg   « L’ouvrage n’étant pas massicoté, il est préférable, pour l’ouvrir, d’user d’un instrument plutôt que de son doigt. » Vendu sous blister avec cet avertissement collé sur sa couverture, Un roman sentimental est une magnifique opération commerciale. Pensez donc : Alain Robbe-Grillet, académicien de 85 ans, laisse à la postérité un sulfureux roman érotique ! Erotique, vraiment ? Si aucun avatar mercantile n’est épargné au lecteur pour aiguillonner son excitation, qu’en reste-t-il après avoir eu le supposé plaisir de démassicoter ce livre ? Voici une des premières scènes qui compose ce fameux roman et qui vous permettra d’apprécier son style si délicat…

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Vers le mur du fond, celui sur lequel mes yeux alanguis errent avec le plus de facilité, je distingue, en premier plan d’un dessin dont l’évidence se confirme rapidement, perspective forestière aux troncs verticaux et rectilignes, une sorte de bassin d’eau si claire qu’elle en devient presque immatérielle, élargissement oblong d’une source limpide, aussi profond qu’une baignoire ou même davantage, entre des roches grises aux formes arrondies, douces au toucher, accueillantes. Une jeune fille est assise là, sur la pierre polie par l’usure qui représente pour elle une banquette idéale au ras de l’eau, où ses longues jambes remuent avec abandon dans les remous aux reflets bleus de l’aimable nymphée, naturelle autant que pittoresque, dont la température doit être identique à celle de l’air ambiant, ainsi que des charmes féminins eux-mêmes qui ondulent, déjà liquides, au dessus du miroir mouvant aux frémissements imprévus.
.

   C’est après que ça se gâte. Invité chez Taddeï le 24 Octobre dernier pour la présentation de son roman, Alain Robbe-Grillet nous apprend qu’il y raconte les pérégrinations sexuelles de petites filles supplicées à mort dans un français irréprochable, avec un luxe de détails Flaubertien mais aussi la distanciation nécessaire et assez d’invraisemblances pour créer une atmosphère onirique, fantasmagorique, théâtrale qui situerait son roman dans le cadre de la catharsis. Voici quelques extraits de cette interview :

FT : Pensez-vous qu’on était plus tolérant à l’époque [ en 1974 ]

ARG : Oui car de plus en plus on confond le fantasme et la réalisation du fantasme. Or c’est exactement le contraire. Quelqu’un qui écrit, en général, est quelqu’un qui se soigne lui-même, qui soigne sa perversion en l’écrivant.

FT : C’est l’impression que vous avez, vous ?

ARG : Je ne sais pas mais… j’ai Aristote avec moi pour défendre cette thèse, dite de la catharsis. Et néanmoins, il y a quand même à l’heure actuelle un envahissement par le bien pensé. C'est-à-dire que ce soit politiquement correct, sexuellement correct, littérairement correct, racialement correct, etc… Il semble maintenant que quand on écrit quelque chose d’incorrect, c’est comme si on le commettait. C’est une méconnaissance totale de ce que c’est que l’écriture.

[…]

FT: Là vous faites monter, monter les fantasmes, et à partir du moment où il y a des enfants ça devient très différent. Vous vous attendez à quoi ?

ARG : Comme on le disait tout à l’heure, ce sont des écrits intimes, que j’écrivais pour moi, et celui là qui est rédigé avec un très grand soin, qui est quand même fait selon le même souci de représenter ce que j’ai dans la tête, un souci autobiographique pour ainsi dire, et il est évident que depuis que j’ai douze ans, j’ai toujours aimé les petites filles, c'est-à-dire que je pense qu’il y a des quantités de gens qui sont dans la même situation. L’amour pour les jeunes, les petits garçons pour les homosexuels et les petites filles pour les hétéros, c’est quelque chose d’extrêmement répandu, mais qui se domine très facilement, qui ne se réalise pas quoi ! Mais le penser ne fait de mal à personne.

[Reportage présentant les associations de défense de l’enfance qui s’étaient insurgées lors de la parution du livre rose bonbon, parce qu’il véhiculait l’idée que les enfants victimes des crimes pédophiles sont consentants.]

ARG : Ces gens qui se plaignent sont des pervers, visiblement !

FT : Pourquoi ?

ARG : Ils ont lu ça, et ils ont tout de suite gommé le fait que c’est un écrit littéraire, et ils ont réalisé le fantasme eux même dans leur tête ! À ce moment là ils se sont gendarmés contre qui ? Contre eux même ! Ces gens devraient être tous en prison ! Parce que c’est eux qui ont effectué la réalisation dans leurs cerveaux malades !

[…]

ARG : Puisque je parlais d’Aristote tout à l’heure, il a bien précisé dans la poétique que l’effet de catharsis ne jouait que selon certaines règles de distanciation par rapport au sujet. C'est-à-dire que si le fantasme est raconté de façon trop… Il ne parlait pas de fantasmes sexuels, Aristote, mais si l’idée est racontée avec trop de passion sensuelle alors, à ce moment là, on risque de provoquer ce que qu’Aristote appelle la mimésis, c'est-à-dire que le lecteur a tendance à vouloir réaliser lui-même ce qu’il est en train de lire. Alors que au contraire, avec cet effet Brechtien de distanciation, c’est l’effet inverse : la catharsis, c'est-à-dire que le lecteur va être purgé de ses passions, grâce à mon livre !

   Voici les passions en question…

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Quant aux trois plus jeunes des petites filles, Crevette, Nuisette et Lorette, qui ont sept, huit et neuf ans, elles se sont beaucoup amusées pendant leur service. Ramenées à leur dortoir J1, elles en parlent ensemble avec émerveillement. On leur a permis de goûter à toutes les liqueurs qu’elles devaient servir à genoux. Elles ont sucé des messieurs vigoureux et de jeunes dames parfumées. On les a caressées, embrassées, léchées. On a bourré des crèmes excitantes dans leurs orifices trop enfantins, avant de les branler de façon très douce. Elles ont admiré une adolescente qui flambait comme une torche. Elles ont vu couler le sperme et le sang, mais aussi les pleurs des collégiennes que l’on torturait. Vers la fin de la nuit, elles sont descendues dans les caves pour assister au supplice d’une servante de treize ans (vendue par sa famille) qui s’était enivrée. Après l’avoir violée de toutes les façons, des messieurs ont procédé à son écartèlement sur une machine spéciale, pendant qu’ils lui enfonçaient des aiguilles à travers tout le corps, dont les quatre membres se sont désarticulés peu à peu. Pour finir, on lui a arraché complètement l’une des cuisses, en tirant la jambe par le pied, et on l’a laissée se tordre dans un flot de sang pour mourir comme ça sans secours. Oui, c’était vraiment formidable.

   J’ai choisi cette scène parce qu’elle est assez représentative de l’ensemble de « l’ouvrage » et assez courte pour être citée. Je vous laisse imaginer les 200 scènes intermédiaires où Robbe-Grillet raconte avec bien plus de détails les démembrements dont il semble si friand. Vous trouvez ça érotique, vous ? Si la catharsis a pour objet de purger le lecteur de pulsions communes, voire même fondamentales dans la construction du psychisme de chacun mais néanmoins réprimées par la loi ou la morale, comme l’interdit de l’inceste mis en scène  - et puni – dans Oedipe Roi de Sophocle , qu’en est-il des pulsions criminelles d’Alain Robbe-Grillet ? La majorité de l’humanité partage-t-elle, à l’instar de cet auteur, le fantasme de découper un nouveau né au hachoir sous les yeux de sa mère elle-même torturée à mort ? Qui pourrait donc avoir besoin de lire un tel livre – si tant est que la supposée catharsis soit plus efficace que celle mise en scène dans L’orange mécanique ? De surcroît, Sophocle ne décrit pas les égarements d’Oedipe dans ses détails charnels avec la complaisance de Robbe-Grillet à l’égard de ses bourreaux d’enfants. Chez Sophocle, la mise à distance n’est pas qu’une vague atmosphère onirique : c’est une véritable tragédie qui donne du sens à la pulsion libidinale, qui la « corticalise » en l’inscrivant dans un mythe fondateur.
   En vérité, le supposé effet cathartique de Un roman sentimental n’est qu’un misérable cache misère philosophique pour permettre la publication d’abominations qui n’auraient jamais dû franchir les portes d'un cabinet psychiatrique. Il ne s’agit pas de l’éventuelle purge du lecteur mais de celle bien réelle de l’auteur. Que les boyaux de son cortex incontinent défèquent des fantasmes abjects sur un bout de papier, soit. Qu’il les dore au subjonctif, pourquoi pas : c’est bien la moindre des choses de la part d’un académicien. Mais qu’il nous les donne à lire donne envie de vomir. Robbe-Grillet est comme un vieillard sénile qui exhibe son pot de chambre après une nuit de fièvre diarrhéique.

Voilà sa place :

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   Mais ne tirons pas la chasse trop vite !

   Primo, il ne faudrait pas  jeter l’anathème contre toute sorte de libertinage comme le fait Thierry Giaccardi chez  Stalker, et je ne m’associerai certainement pas à ceux qui militent pour le retour du puritanisme. Je regrette d’ailleurs que l’adjectif « libertin » soit associé aux noms de Sade et de Robbe-Grillet, et je ne suis pas le premier à le faire. En 1798, Restif de la Bretonne, libertin s’il en est, publia Anti-Justine avec pour préface : « Personne n'a été plus indigné que moi des sales ouvrages de l'infâme de Sade [….] Ce scélérat ne présente les délices de l'amour qu'accompagnées de tourments, de la mort même pour les femmes. Mon but est de faire un livre plus savoureux que les siens et que les épouses pourront faire lire à leurs maris, pour en être mieux servies ; un livre où les sens parleront au cœur ; où le libertinage n’ait rien de cruel pour le sexe des grâces, et lui rende plutôt la vie, que de lui causer la mort ; où l’amour ramené à la nature, exempt de scrupules et de préjugés, ne présente que des images riantes et voluptueuses. On adorera les femmes en le lisant ; on les chérira en les enconnant : mais l’on en abhorrera davantage le vivodisséqueur […] »

   Secundo, Un roman sentimental a tout de même une vertu, celle de remettre la question de la morale sexuelle au goût du jour. Honnêtement, Robbe-Grillet n’a rien inventé comme le souligne Pierre Assouline : il n’a fait qu’écrire une nouvelle version de Justine, et il va moins loin que Pasolini et son insoutenable Salo , ou les 120 jours de Sodome qui avait osé mettre en images de semblables abominations – avec au moins l’intention (ou le faux prétexte ?) de les dénoncer en les attribuant au fascisme. C’est sans doute au niveau de l’image que devrait se situer aujourd’hui le débat.

   Dans un monde où on dispose des moyens techniques pour créer des images de toutes sortes, où la réalité virtuelle permet même d’envisager une seconde vie, rien n’empêche de mettre à la disposition du public des logiciels permettant de réaliser des images pédocriminelles plus vraies que nature. Alors que le fait de détenir des images « pédophiles » est sévèrement puni par la loi, on pourrait gagner « honnêtement » de l’argent en vendant des logiciels permettant de produire des images pédophiles virtuelles réalistes ? La frontière entre la légalité et le crime ne se jouerait alors qu’à quelques pixels près, ou bien il serait interdit de représenter graphiquement des scènes décrites avec tous les détails nauséeux (in)imaginables ? On retrouve curieusement le paradoxe de Robbe-Grillet qui veut enfermer ceux qui imaginent la mise en scène de ce qu’il écrit, et on peut légitimement se demander si l’arsenal législatif est vraiment adapté à ce type de question.

96b83235684f690a8e6e8e55aca7fc0b.jpg   La question de la morale sexuelle, toujours d’actualité, est épineuse mais remarquablement traitée par Jean-Claude Guillebaud dans un de ses essais, La tyrannie du plaisir : N’y aurait-il donc pas d’autres choix possibles qu’entre permissivité claironnante ou moralisme nostalgique ?
   Dans une tentative de remise à plat, Jean-claude Guillebaud prend d’abord un recul historique qui permet de tordre le cou à bien des idées préconçues dont la liberté sexuelle de l’antiquité, l’austérité du moyen âge ou celle du Christianisme, pour nous rappeler la répétition de l’histoire à laquelle nous croyons avoir échappé du haut de notre courte vue.  Il convie au débat historiens, philosophes, sexologues et sociologues pour aborder le sujet sous tous ses aspects, dont l’individualisme à outrance qui appauvrit l’échange qui devrait résulter du rapport sexuel où chacun des acteurs instrumentalise l’autre afin de parvenir à l’autosatisfaction motivée par l’acte en tant que fonction, et non plus en tant que moyen de communication privilégié : Le plaisir devient pure affaire anatomique, marchande et sportive (en attendant d’être cybernétique !) Il est prestation, rassasiement ou performance".
   Face à la complexité de ces questions, Jean-Claude Guillebaud examine la démission de la société qui relègue les questions de société aux experts médicaux impuissants et aux juristes partagés entre deux logiques contradictoires de l’individualisme contemporain, celle de la revendication infinie de droits et celle de la demande de protection…

 

   Comment ne serait-on pas troublés, dès qu’on se ressouvient du passé, par cette singulière situation ?
   Vers le milieu des années 60, nous avions congédié le prêtre, le moraliste, le politique en charge du bien commun. Nous nous sentions la capacité - historiquement sans précédent - d’accorder à l’individu une primauté définitive sur le groupe. Nous pensions être investis du pouvoir de récuser ces prudences immémoriales, concessions aux contraintes, ruses collectives infinies et transactions de toutes sortes par lesquelles les sociétés humaines conjuguaient tant bien que mal l’aspiration au plaisir et l’impératif communautaire.
   Voilà trente-cinq ans, nous fûmes, en matière de sexualité, plus intrépidement constructivistes qu’aucune société ne l’avait jamais été avant nous. L’apothéose de l’individu, son émancipation parachevée figuraient les vraies conquêtes de la modernité occidentale. Nous étions désormais assez riches, assez savants, assez raisonnables pour rejeter les superstitions du passé. Et assez libres, enfin, pour en dénoncer les tyrannies intimes.
   La raison ne disqualifiait-elle pas la religion ? La démocratie ne rendait-elle pas inopérante la perpétuation politique des contraintes ? La connaissance ne nous assurait-elle pas la maîtrise des anciennes fatalités de l’espèce ? La science ne nous livrait-elle pas les clés de la procréation elle-même ? La certitude du progrès ne nous dispensait-elle pas de cette fidélité peureuse aux traditions ? La foi en l’universel, enfin, ne nous autorisait-elle pas à toiser le « pathos spécifique » des cultures humaines comme s’il s’agissait d’aimables folklores, avec leurs tabous et leurs précautions holistes ? Ce droit au plaisir, nous nous l’accordions comme une extraordinaire récompense historique. Il l’était en effet. On aurait bien tort de sourire rétrospectivement de cet optimisme.
   Si l’on est troublé, aujourd’hui, c’est en voyant ce projet grandiose se heurter finalement aux mêmes obstacles, aux mêmes contradictions, aux mêmes risques mortels, surtout, que toutes les utopies qui l’avaient précédé. Le " climat " du moment, ces périls qui affleurent et ces peurs qui rôdent nous renvoient, au détail près, à des situations déjà vécues dans l’Histoire.
   Cette violence polymorphe qu’à tort ou à raison nous sentons autour de nous, ce vertige sécuritaire qui nous empoigne au point de nous pousser à la panique juridique, ce sont précisément - on l’a vu dans les chapitres qui précèdent - ce que s’entêtèrent à conjurer les sociétés du passé. Il faudra nous résoudre à admettre que ces cultures traditionnelles, dont nous voulions orgueilleusement nous démarquer, n’avaient pas si mal compris l’intrication indissociable entre la sexualité et la violence.


J.C. Guillebaud : La tyrannie du plaisir, p. 379-381

   Aujourd’hui, l’appareil judiciaire et les dispositifs pénaux nous tiennent lieu de directeur de conscience. Je crois que Un roman sentimental n’est qu’une grotesque provocation à leur endroit : je soupçonne que Robbe-Grillet a pour dernière ambition de se faire censurer afin de siéger aux côtés d’un Sade au panthéon des célébrités sulfureuses, lui qui a toujours méprisé « l’immortalité » bien pensante de l’académie Française. Ce vieillard n’a plus grand-chose à perdre. Nous, nous risquons de perdre encore un peu de liberté d’expression à cause de nouvelles législations réactionnaires qui pourraient être appliquées à tort et à travers. Le mieux que nous puissions faire est bien de laisser Un roman sentimental partir au pilon et de s'en convaincre en lisant La tyrannie du plaisir.

Commentaires

Le vendredi 02/11/2007 à 12:23 par Plum' :

BEURK !!!

Le vendredi 02/11/2007 à 12:36 par Vagant pour Plum :

mais encore ?
Beurk pour "Un roman sentimental" ?
Beurk pour "La tyrannie du plaisir" ?
Beurk pour ma note ?
Beurk pour ma photo choc et pas chic ?

Le vendredi 02/11/2007 à 13:01 par Plum' :

Beurk pour "Un roman..." qui n'en mérite pas l'appellation.
Beurk pour "La tyrannie du..." je ne pense pas que plaisir soit le mot qui convienne vraiment.
Beurk pour le fait de faire de la pub à une horreur pareille.
Pour la photo, j'aurai préféré voir le livre brûler... L'eau des toilettes reste encore trop douce, trop pure.

Ce ne sont pas les fantasmes de ce monsieur qui me choquent, parce qu'effectivement, fantasmer ne mène pas forcément à l'acte. L'imaginaire peut aussu être un exutoire de nos parties sombres et peu recommandables. Mais coucher par écrit de telles horreurs, sciemment, en sachant que ce livre peut se retrouver entre les mains de gens malades et qui, eux, ne font pas de distingo entre fantasme et passage à l'acte, c'est presqu'un acte meurtrier. Je pense avoir l'esprit large mais là, je suis désolée, je n'arrive pas à comprendre que cette personne ait réussi à se faire éditer. Son livre est dangereux.

Le vendredi 02/11/2007 à 13:55 par Vagant pour Plum :

La tyrannie du plaisir de Guillebaud, dont le titre est parfaitement adapté à son sujet, est un excellent essai que j’ai cité parce qu’il me permet d’appuyer mon argumentation contre le dernier Robbe-Grillet. Je te conseille vivement de lire cet essai.

Je ne fais bien entendu aucune publicité pour cet infâme roman « sentimental », à propos duquel ma note est assez explicite, et dont la photo ne devrait certainement pas être apparentée à un autodafé: il ne manquerait plus que son auteur malade devienne un martyre de la liberté d’expression ! Je n’ai fait que montrer d’où ses fantasmes criminels abjects n’auraient jamais dû sortir. Cet exutoire pathologique n’aurait jamais dû quitter le journal intime de son auteur.

Faut-il pour autant faire de nouvelles législations pour interdire la publication de tout écrit littéraire susceptible d’être mal interprété par des malades qui seront dans la « mimesis » plutôt que dans la supposée « catharsis » ? C’est le cœur de la question.

Je déplore que l’éditeur n’ait pas eu le recul moral nécessaire pour s’auto-censurer : sans doute n’a-t-il considéré le problème que sous un angle juridique afin de pouvoir faire un coup commercial juteux, sans la moindre réflexion citoyenne quant à la portée néfaste de ce roman. Ne peut-on donc plus penser qu’en terme de lois et de profits ? A-t-on abandonné toute conscience quant à la portée de ses actes ?
Il n’y a pas que la science sans conscience qui soit ruine de l’âme : il en va de même pour la littérature.

Le vendredi 02/11/2007 à 18:05 par A.D. :

Voilà un article on ne peut plus complet sur la question Robbe-Grillet (entre autres), chapeau bas... Je vais quand même aiguiser mon coupe-papier, car tu as aiguisé ma curiosité...

Le vendredi 02/11/2007 à 19:41 par Vagant pour AD :

Arnaud Dudek en personne ! Je suis flatté. J’en profite pour te féliciter pour la publication de tes nouvelles aux éditions Filaplomb. J’ai essayé de les acheter, mais le formulaire ne semble pas très au point. Sais-tu si elles sont disponibles sur Amazon ?
En ce qui concerne le dernier Robbe-Grillet, je suis déçu de ne pas parvenir à décourager mes lecteurs de l’acheter. Enfin, si c’est pour la bonne cause et le plaisir de te voir l’étriller à ton tour…

Le vendredi 02/11/2007 à 20:45 par Ex-mot :

Je suis plus nuancé même si cette violence imaginaire, qu'elle soit exercée contre des enfants ou n'importe quel être vivant, me répugne profondément.

La nuance porte sur le fait que le politiquement correct et la pensée unique détruisent de plus en plus la capacité de l'individu à se forger une opinion, à distinguer lui-même le bien du mal, à avoir l'oeil critique sans préjugés, à chercher la vérité au-delà du déluge des médias. Nos politiques ont à cet égard une responsabilité: ils 'juridisent' ou 'règlementent' en fonction de l'attention des médias (cet auteur que je découvre là fait sans doute de même) et abandonnent de ce fait toute vision digne d'un homme d'état.

Sur ce, je ne lirai pas ce livre. J'ai vu des victimes mutilés et connu une personne qui était proche, assassinée par un malade mental dans des conditions abominables. Témoigner de cela, même s'il s'agit d'une triste réalité qui ne me quittera jamais, je ne le pourrais pas. La violence, autant qu'elle attire les regards, elle est abjecte, sous toutes ses formes.

Le mérite de votre note est de susciter la réflexion sur le sujet de la violence et de se poser la question comment apprendre aux gens le sens critique qui dépasse les slogans et les apparences.

(désolé pour le squatage)

Le vendredi 02/11/2007 à 23:16 par Vagant pour Ex-Mot :

Vous ne squatez pas du tout, mon cher, vous répondez à mon attente de débats constructifs !

Je vous rejoins tout à fait dans votre analyse ! J’accuse moi aussi l’absence de tout sens moral de l’auteur et de l’éditeur qui se basent sur des textes juridiques assez permissifs pour publier une provocation juteuse. Si des procès sont engagés à l’encontre de ce roman, cela entraînera de nouvelles législations. Ce sont ces législations qui font le socle de la « bien pensance » que vous déplorez, qui nous privent de notre libre arbitre dans le choix de ce que nous devons faire de notre liberté.

Le samedi 03/11/2007 à 18:44 par Loguil :

Hmm, je vais attendre d'avoir lu encore plus de critiques pour me prononcer.
Lire un tel livre après avoir lu Sade (et je suis comme Restif : les scènes de violence, les sévices, me laissent froid) et d'autres, je n'en vois guère l'utilité.
Éventuellement, si entre les passages répétitifs, se nichait un autre propos, je lirai et me prononcerai peut-être.

Mais franchement, je ne crois pas que Robbe-Grillet ait voulu se faire censurer. Pas plus qu'Apollinaire ne devait chercher à se faire un nom aussi en tant qu'auteur sulfureux. Et je ne crois pas non plus que l'inflation de lois s'alimentera à ce prétexte.

Le dimanche 04/11/2007 à 02:33 par Vagant pour Loguil :

Inutile de claquer 19 euros, je n’ai rien trouvé de plus que l’absurde répétition des supplices, mais j’avoue ne pas avoir démassicoté toutes les pages.

Le dimanche 04/11/2007 à 13:52 par Penny :

Je n'ai pas pu lire en entier... c'est trop dur pour moi, ça me ramène à trop de choses. J'ai glané des extraits et j'ai eu la tête qui s'est mise à tourner.
Je pense qu'effectivement, le chiotte est la meilleure des choses. Je n'aime pas la censure, mais là, c'est au delà. Et si je n'ai pas tout compris car je n'ai pas tout lu, j'espère que tu m'excuseras. c'était au dessus de mes forces. Bises Penny

Le dimanche 04/11/2007 à 16:48 par A.D. :

Ah, Vagant, va falloir t'armer de patience si tu veux acheter qqch sur Filaplomb.fr... Des débuts laborieux, ça s'appelle... Dixit l'éditeur : " En attendant qu’une solution soit trouvée, je vous prie de bien vouloir patienter pour vos commandes et d’accepter toutes nos excuses pour ce contretemps. " Merci beaucoup en tout cas, je suis touché!

Quant à R-G, je ne manquerai pas de te donner mon avis :-)

Le dimanche 04/11/2007 à 19:50 par Miss S :

Ouf...
Merci.
Maintenant je sais que ça ne vaut pas le coup d'acheter cette chose.
C'est seulement parce que l'avertissement en lui même n'était pas assez explicite quant au contenu et connaissant un peu le style de l'auteur que j'ai su résisté à la phrase "L’ouvrage n’étant pas massicoté". (le langage technique de l'imprimerie m'excite, j'avoue)
PS : il me semble improbable d'utiliser le terme "démassicoter" sans vouloir t'offenser. Puisque, massicoter veut dire refendre des feuilles à l'aide d'un massicot (du nom de son inventeur Guillaume Massicot). Oui, je fais ma savante (ça fait du bien des fois), mais en fait j'ai ressortie mon exemplaire de Graphicum (une vieille édition de 92/93, carrément) et vérifié sur Wikipédia ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Massicot )... Bon, je me sauve, sur cette belle introduction au façonnage. :p

Le dimanche 04/11/2007 à 20:25 par françoise :

Robbe Grillet a raison de différencier fantasme et concrétisation du fantasme, et de dire que fantasmer ne fait de tort personne... si ce n'est qu'en l'occurrence il ne se contente pas de penser ces atrocités, il les écrit et leur donne ainsi un début de réalité, début qui peut perturber des personnes sujettes aux mêmes fantasmes, et les conforter dans la tentation d'aller plus loin dans le réel.
Avez-vous remarqué qu'on ne parle de sexe dans les medias que de trois façons: médicale (risque du SIDA, MST, contraception, éducation sexuelle des jeunes) pénale: pédophilie, viol, agressions, crimes sexuels. Commerciale: sex-toys, clubs, sites Internet, films porno. Du désir, du plaisir, de la relation vécue comme quelque chose de positif et joyeux, nada. De la femme comme sujet désirant, rien. ( ou alors c'est une salope, une chaudasse qui mérite qu'on la méprise ou la maltraite) . Y a du judéo-chrétien, y a du mercantile, y a de la volonté totalitaro machiste dans tout cela; Et le (la) meilleure antidote est de se détacher de ces ambiances morbides et délétères qui sécrètent en retour les réactions des censeurs et des "politiquement correct" et la pudibonderie. Ne pas répondre à l'offre commerciale et triste (comme ce livre de Robbe-Grillet) et s'en tenir aux désirs et plaisirs libres et gratuits. C'est franchement meilleur. A la décharge (si j'ose m'exprimer ainsi) du vieil auteur, la nostalgie de sa virilité d'antan, sans doute, qui le rend violent et hargneux... ou plus vraisemblablement des soucis financiers qui le poussent à tirer un coup commercial à défaut d'être érotique. Dommage car il a écrit autrefois de belles choses.

Le dimanche 04/11/2007 à 23:25 par Vagant pour Francoise :

J’espérais lire votre analyse ! Une fois de plus je suis globalement d’accord avec vous qui, à juste titre nuancez mes propos un peu trop belliqueux. Votre analyse rejoint celle de Guillebaud concernant la sexualité qui se définit aujourd’hui par les trois pôles que sont le médical, le pénal et le commercial, c'est-à-dire qu’elle est parfaitement libérale et plus du tout libertaire.
Là où je ne suis pas tout à fait d’accord (il fallait bien que je ne sois pas complètement d’accord avec vous), c’est sur l’adjectif judéo-chrétien. Arrêtons de stigmatiser à tort et à travers 2000 ans de civilisation dite judéo-chrétienne quand nous jetons à juste titre la pierre sur un siècle de puritanisme. À ce titre, j’aimerais vraiment votre avis à propos de l’essai de Guillebaud qui, j’en suis certain, vous passionnerait !

Le dimanche 04/11/2007 à 23:25 par Vagant pour Miss S :

Et bien moi aussi, j’avais un doute, mais il me semble bien avoir entendu Robbe-Grillet utiliser le mot « démassicoter » dans l’interview de Taddei. Il est peut-être pervers mais ne lui retirons pas sa qualité d’académicien ;)

Le dimanche 04/11/2007 à 23:30 par Vagant pour A.D :

C’est la question que j’avais posée à notre ami et à laquelle il n’avait pas répondu: Je ne comprends pas pourquoi un éditeur devrait aussi être un distributeur ? Il me semble qu’il vendrait bien plus de livres via Amazon qu’en direct, non ? Enfin, c’est là un autre sujet…

Le dimanche 04/11/2007 à 23:39 par Vagant pour Penny :

Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui est trop dur ? Ma note ? Ou bien « Un roman sentimental » ? Si tu parles du roman d’ARG, je te prie d’accepter mon réconfort pour avoir tenté de le lire, ce dont je dissuade tout le monde tant il me semble nocif !

Le lundi 05/11/2007 à 11:55 par françoise :

Cher Vagant, j'ai été élevée dans la religion, comme on dit, et je peux vous assurer que "bonnes soeurs" et curés étaient assez obsédés par nos petites culottes forcément coupables dès lors qu'on manifestait un quelconque intérêt, même visuel, pour ceux de l'autre sexe. Mais il n'y a pas que cela, bien sûr, ni que la religion chrétienne! J'ai aussi parlé du mercantile et du machisme. Avez-vous lu la mâle peur" du Dr Gérard Leleu? Un très intéressant essai sur la peur ancestrale du mâle face à la jouissance féminine qu'il pressent (ou redoute) insatiable, et donc, effrayé à l'idée de ne pouvoir la satisfaire, cherche depuis des siècles à la réprimer. C'est très documenté, et le plus étrange, c'est que ce livre n'a eu quasiment aucune presse, y compris dans les magazines féminins qu'il aurait dû passionner.
Vous décrivez complaisamment quelques "supplices dans votre billet suivant" après vous être insurgés contre le texte de Robbe-Grillet. La différence, outre l'âge des victimes et l'intensité de la violence? C'est que vous acceptez cette domination avec une personne qui vous est chère, en qui vous avez confiance. Les mêmes sévices, si anodins soient-ils, vous auraient sans doute déplu avec une inconnue. Qu'en pensez-vous?

Le lundi 05/11/2007 à 13:24 par Vagant pour Francoise :

Ne comptez pas sur moi pour faire l’apologie des dérives de l’église catholique dont l’abstinence des prêtres a focalisé toute leur attention sur le sexe. Comme si cela était la chose la plus importante au monde, alors qu’à la lecture des évangiles, on constate que le Christ n’en a pour ainsi dire jamais parlé. Il faut attendre les épîtres de Paul pour trouver quelques directives à ce sujet. L’intérêt du livre de Guillebaud est d’apporter ce recul historique pour éviter de mettre dans le grand fourre tout de la civilisation judéo-chrétienne toutes les frustrations héritées du puritanisme du 19ème. Il souligne par exemple qu’au moyen âge, l’église elle-même recommandait aux maris de faire jouir leur femme car cela était censé augmenter leur fécondité.
Comme vous le dites, la frayeur de l’homme impuissant à satisfaire la supposée insatiabilité féminine, et qui cherche donc à la réprimer par toutes sortes de moyens dont l’excision dans certaines régions de l’Afrique sub-saharienne, n’est pas l’apanage de l’occident mais de toutes les civilisations patriarcales dont les pères ne veulent pas risquer de voir les biens familiaux dispersés entre des enfants qui ne seraient pas les siens. Quoiqu’il en soit je lirai volontiers cet essai du Dr LeLeu dont vous nous ferez peut-être une critique sur votre blog ?
Vous vous doutez que la juxtaposition de cette note et de la suivante n’est pas innocente. Je voulais par la même souligner le fait que je n’ai rien contre certaines pratiques SM soft entre adultes consentants, alors que Robbe-Grillet a publié ses fantasmes de meurtres. On pourrait alors me reprocher de faire tout un fromage à propos d’un recueil de fantasmes de meurtres, alors que les polars en sont pleins, mais vous me posez heureusement une autre question : Aurais-je apprécié cela de la part d’une véritable inconnue ? La réponse est négative. Comme je l’ai écrit dans ma note complaisante - dont j’osais espérer un adjectif plus élogieux de votre part - ce jeu était bien plus cérébral que charnel : Ce qui m’excitait, c’était de pousser Sarah dans la composition d’un rôle qu’elle n’imaginait (peut-être) pas, de la pousser au vice dans une sorte de jeu de domination inversé. Sans doute n’ai-je pas assez insisté sur cette dimension de mon histoire, mais la douleur y joue un rôle anecdotique. Si une inconnue m’avait fait cela, toute cette dimension cérébrale aurait disparue. Il ne serait resté que la douleur qui ne m’excite pas intrinsèquement.

Le mercredi 07/11/2007 à 17:45 par Briscard :

Juste une question... De passage ici par hasard, je tombe sur ce billet... L'auteur est-il le même que celui de ce billet-ci: http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/enfer-de-bibliobs/un-roman-sentimental-dalain-robbe-grillet ?
Parce que le billet lui est le même...

Le jeudi 08/11/2007 à 00:39 par Vagant pour Briscard :

Oui c’est bien moi. J’ai mis un résumé de ma critique sur ce site, et je n’ai pas encore pris le temps de répondre à l’auteur de cette chronique.

Le vendredi 16/11/2007 à 09:05 par Julien Hommage :

Quelques points de vue complementaires sur cet objet litteraire et Robbe-Grillet :
- Sur les epoux Robbe-Grillet
http://lavenuslitteraire.com/LeBonheurSansLeCrime.htm
Egalemennt, sur portail du Nouvel Obs :
http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/enfer-de-bibliobs
Cordialement,

Le vendredi 16/11/2007 à 14:25 par Vagant pour Julien Hommage :

Je vous remercie pour votre passage par ici. Je ne sais pas ce point de vue est complémentaire ou opposé, mais de la pluralité naît la richesse ! En tous cas, je repasserai sur ce site qui me semble être une véritable mine d’or !