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31 octobre 2015

Terreur à Chaville

Lorsque Camille monta à Brétigny dans le RER en direction de Paris, elle se sentait déjà épuisée. La perspective de retrouver Jérôme la réjouissait, mais faire tout le trajet en portant au plus intime un plug anal qui se terminait en queue de renard ne l’enchantait guère. Elle avait eu beau essayer d’en enrouler la queue, son extrémité poilue arrivait tout de même à la limite de sa courte jupe. Un regard aguerri aurait pu remarquer quelques poils roux entre ses jambes, suscitant autant d’interrogations quant à cette nouvelle mode vestimentaire. Mais après tout, un soir d’Halloween, tous les délires étaient permis. Elle essaya de s’asseoir tant bien que mal sur une banquette tout en pestant intérieurement contre son amant qui lui avait imposé pareil gage. Elle parvint à se caler contre la cloison, se laissa bercer par le roulis du train de banlieue, et pour tenter de se reposer un peu avant une longue nuit festive, elle ferma un instant les yeux.

Quand elle les ouvrit de nouveau, l’esprit encore embrumé de sommeil, elle sentit une certaine gêne entre les cuisses. Elle n’avait jamais ressenti cette queue de renard avec autant d’acuité. Les poils lui semblaient plus drus contre ses fesses, sans doute irritées par le contact prolongé avec cette matière synthétiques. Toutefois, elle ne ressentait aucune gêne au niveau anal. Mais ce qui la dérangeait le plus, c’était surtout le regard étrange de ce jeune homme assis face à elle dans la rame curieusement déserte. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son maquillage était particulièrement réussi. Ses oreilles pointues et velues paraissaient si naturelles qu’elles semblaient être des oreilles de berger allemand greffées à la place d’oreilles humaines. Aurait-il poussé le macabre jusqu’à se coller des oreilles de chien naturalisées, se demanda-t-elle en détournant les yeux, tant les fausses dents jaunes qui venaient d’apparaître dans son sourire carnassier lui inspiraient un profond dégoût. Elle  regarda par la fenêtre pour ne voir qu’une obscurité insondable. Le train semblait traverser des bois alors qu’il était censé arriver à Paris. Il ralentit en arrivant dans une station en plein air, éclairée par les lueurs blafardes de quelques lampadaires. Elle lut le nom avec incrédulité « Chaville – Vélizy »

Sans prendre plus de temps pour réfléchir, elle se précipita sur le quai. Elle dégaina aussitôt son portable de sa poche pour prévenir Jérôme qu’elle s’était endormie dans le train, qu’elle n’était pas descendue comme prévu à Saint-Michel, mais qu’elle avait traversé tout Paris en ronflant pour ne se réveiller que dans une lointaine banlieue à l’autre bout de la ligne. Peine perdue. Même pas de réseau dans cette station du bout du monde. Les portes du train se refermaient tandis qu’un voyageur s’en extirpait pour atterrir sur le quai après un saut de cascadeur. « Mademoiselle ! Mademoiselle ! » entendit-elle brailler derrière elle. Camille accéléra le pas pour échapper à la voix grave et pâteuse du dragueur de banlieue. A l’autre bout du quai, deux ombres claudicantes d’assez petite taille se dirigeaient vers elle. Elle allait passer en feignant de les ignorer mais ils lui barrèrent le chemin. « Alors ma petite chatte, on vient fêter Halloween avec les vrais gars ? » 

Camille ne voyait pas les visages des deux jeunes sous leur capuche. Elle ne distinguait que la lueur jaune de leur regard mauvais. Elle essaya de se composer une voix menaçante tout en réalisant vaguement le ridicule consommé de sa queue qui battait entre ses jambes, étrangement chaude dans la fraîcheur de cette nuit brumeuse.

—Je ne suis pas votre petite chatte et je n’ai rien à faire avec vous !

—Tu l’entends Marco, elle nous dit qu’elle n’est pas notre petite chatte avec ses petites oreilles pointues et ses yeux en amande.

Mue par un réflexe idiot elle porta une de ses mains à son oreille tandis que les deux jeunes faisaient tomber leur capuche. À ce moment-là, elle ne sut ce qui la pétrifiait le plus. Les deux jeunes n’avaient pas un visage humain. Ils avaient sur les épaules une tête de bouledogue noirâtre au museau écrasé et aux babines ruisselantes, qui semblaient lui adresser un mauvais rictus. Ces têtes de chien étaient si vivantes, d’apparence si peu artificielle que cela aurait été fascinant si ces deux gnomes n’avaient pas été aussi effrayants, ni menaçants. Mais ce qui la pétrifia véritablement, c’est ce qu’elle sentit sous ses propres doigts.

« Mademoiselle, vous avez oublié votre sac ! ». La voix qu’elle entendit derrière elle était si grave qu’elle n’avait plus grand-chose d’humain. Elle se retourna et dut lever la tête pour reconnaître le jeune homme du train. Elle ne lui arrivait qu’à l’épaule. Elle reprit son sac d’une main tremblante tandis que le jeune homme fixait les deux bouledogues avec un étrange rictus, tout en émettant un grognement guttural. Les deux gnomes s’écartèrent en renfrognant le museau. Camille avança à pas comptés avec le jeune homme dans son dos, à peine plus rassurée d’avoir échappé à ces deux loubards si incroyablement maquillés que d’être auprès de son inquiétant sauveur. Elle réalisa avec effroi qu’ils ne s’étaient écartés que lorsque le colosse, qui l’escortait maintenant d’un peu trop près, leur avait montré les crocs. Ils descendirent les escaliers de la station et elle s’apprêtait à les remonter pour prendre la direction opposée quand le jeune homme lui barra à son tour la route. « Alors ma petite chatte, on ne remercie pas son sauveur ? »

C’est à ce moment-là qu’elle vit clairement ce que ses yeux avaient évité depuis son réveil dans le train, ou qu’elle avait refoulé par un étrange mécanisme de déni, mais qui lui avait littéralement hérissé le poil dès qu’elle avait été en présence de cet homme maintenant menaçant. Mais était-ce seulement un homme puisqu’il n’avait pas des jambes humaines, mais des pattes de chien au pelage luisant qui disparaissaient sous son imperméable. Camille fit un saut en arrière et dévala les marches avec une rapidité inédite, poursuivie par l’homme-chien qui avançait sur elle en gloussant. Elle sortit de la station et s’enfonça dans la nuit en courant. Elle fila sur le parking de la gare, passa sous le pont, remonta totalement la rue de Jouy entre les tristes pavillons de banlieue avec l’homme-chien toujours à ses trousses, qui aboyait régulièrement des « Mademoiselle !» inhumains. Curieusement, elle voyait tout comme en plein jour malgré la distance entre les réverbères et la profondeur de la nuit. Camille savait qu’elle ne parviendrait pas à distancer l’homme-chien à la course, mais pressentait instinctivement qu’elle pouvait le semer dans l’obscurité. Lorsqu’elle vit le panneau indiquant l’Allée Noire qui traverse la forêt domaniale de Meudon, elle s’y précipita sans plus réfléchir. L’homme-chien l’avait déjà presque rattrapée.

AlleeNoire.pngElle se jeta dans un chemin de terre sur la droite, se faufila entre les arbres, choisissant les passages les plus étroits susceptibles de gêner la grande carcasse de son poursuivant. Petit à petit, elle regagnait du terrain. Quand elle passa à côté de l’étang des écrevisses, plongé dans la plus totale obscurité mais où il lui semblait pouvoir distinguer les grenouilles au bord de l’eau, elle s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Sa queue qui continuait de battre entre ses jambes commençait sérieusement à l’agacer. Elle la saisit d’une main et tira dessus d’un coup. Elle ne put réprimer un miaulement de douleur. Elle porta sa main à la base de la queue. Son cul était libre. Cette queue épaisse, dont elle ne pouvait maîtriser les mouvements, comme si elle avait une vie propre, était plantée dans son corps dans le prolongement de sa colonne vertébrale, en lieu et place du coccyx. Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang pour ne pas pousser un autre cri, mais un cri d’horreur cette fois. Camille venait d’entendre un grand plouf suivi d’un aboiement rageur. Comme elle l’avait deviné, l’homme-chien y voyait moins bien qu’elle et il venait de tomber à l’eau. Elle sentit sur ses tempes s’agiter ses oreilles aux aguets. Elle n’eut pas besoin d’y porter la main pour savoir qu’elles n’étaient plus celles d’une femme.

Elle s’enfonça de nouveau dans les bois, mais dans l’autre direction cette fois, profitant de la débâcle de son poursuivant pour le semer complètement. Elle finit par tomber sur un grand carrefour au croisement d'une sombre départementale et de l’avenue de Vélizy, où passaient encore quelques rares voitures à cette heure tardive. Consciente qu’elle pouvait effrayer les automobilistes avec ses oreilles pointues qui s’orientaient en tous sens au moindre bruit, Camille s’enfonça un bonnet sur le crâne pour les masquer au mieux. Elle ne se projetait pas plus loin que le bout de la nuit, aspirant seulement à rentrer entière chez elle au plus vite. Demain serait un autre jour. Il lui vint tout de même à l’esprit l’idée saugrenue qu’elle pourrait faire fortune dans le porno avec l’appendice velu qu’elle avait désormais sur le cul. Etait-elle jolie avec des yeux en amande, ou plus précisément les pupilles verticales ? Elle abandonna ces considérations esthétiques en voyant arriver un poids lourd. Pas question de faire du stop poliment, elle se mit carrément en travers de la route, les bras en croix, pour forcer le camion à s’arrêter, ce qu’il fit dans un crissement de freins. La porte de la cabine s’ouvrit, mais ce qu’il en sortit était une telle abomination que Camille s’enfuit à toutes jambes et sauta par-dessus le premier portail venu.

Là, tout semblait calme, mais guère plus rassurant. Elle venait d’atterrir à pieds joints dans le cimetière de Viroflay. Elle se faufila entre les tombes, s’attendant à tout moment à voir surgir un monstre devant elle. Mais c’est une main qui se posa sur son épaule. Elle fit volte-face pour se retrouver devant l’homme-chien qui lui barrait le chemin. Encore tout dégoulinant, il émanait de son corps fumant une odeur répugnante de sueur humaine et de chien mouillé. Son imperméable était ouvert sur son corps nu monstrueux, à peu près humain jusqu’à la taille mais canin plus bas, là où les yeux de Camille refusaient de s’aventurer. Elle recula lentement jusqu’à se retrouver dos à un mausolée.

L’homme-chien se jeta sur elle. Il lui bloqua les poignets en tenailles entre ses doigts et lui planta les crocs dans le cou sans toutefois la blesser, bien qu’il pût aisément l’égorger. Voulait-il jouer avec sa victime avant de la mettre à mort comme le font souvent les prédateurs ? Camille n’eut guère le temps de se poser la question. L’homme-chien lui déchiquetait maintenant ses vêtements en remuant la tête frénétiquement, lui égratignant l’épiderme à chaque coup de dent. Qu’allait faire le chien qui régnait en lui devant une faible chatte, une fois qu’il sentirait le goût du sang ? Camille connaissait la réponse. Son seul salut était de réveiller ce qui restait d’humain dans ce monstre. Tandis que les crocs lui déchiraient son chemisier, arrachant au passage la dentelle de sa lingerie fine, elle essaya de tendre sa jambe entre les pattes de la bête, non pas pour la frapper au plus sensible, ce qui aurait pu lui faire gagner quelques minutes avant que ce monstre ne la dévore pour de bon, mais pour tenter d’exciter les instincts les plus primaires de son humanité, s’il en subsistait encore une part.

Le monstre recula et tira violemment Camille sur une stèle. Il plaqua le dos nu de sa victime sur le marbre froid et, ses pattes arrière de part et d’autre du visage de Camille, il lui arracha la jupe d’un coup de mâchoire. Elle avait sous ses yeux, juste au-dessus d’elle, l’anatomie de la bête dans toute son aberration. La taille humaine, les cuisses d’un chien et entre les deux, des organes qui tenaient à la fois des deux espèces. Elle surmonta son dégoût pour le toucher là, juste au milieu, très doucement, comme une douce flatterie. L’homme-chien émit un grondement qu’elle interpréta comme un grognement de plaisir. Il lui découpa son slip d’un coup de dent et fourra sa gueule entre les cuisses de Camille, femme-chat dont la queue battait l’air comme prise de panique. Elle retint son souffle, approcha son visage de l’aine du monstre et lui donna un petit coup de langue sur le fourreau. La bête ne tarda pas à réagir. Comme son pénis s’érigeait sous les yeux de Camille, il semblait peu à peu prendre forme humaine. Cela l’encouragea et elle commença à le sucer plus franchement. Quand l’érection de la bête fut totale, c’était un fier phallus qu’elle avait en bouche.

Le comportement du monstre s’adoucissait peu à peu. Il ne lui mordillait plus les chaires au point de la blesser, mais la léchait en profondeur, semblant prendre plaisir à boire sa mouille à la source. L’excitation avait fini par s’emparer de la jeune femme. Elle attrapa les fesses de l’homme-chien pour les trouver glabre sous ses doigts. En descendant ses mains assez lentement le long des jambes du monstre, elle sentait les pattes devenir des cuisses. C’est au bord de l’extase, car les lècheries de la bête devenue son amant s’avéraient redoutablement efficaces, c’est au bord de l’orgasme donc, lorsque ses mains atteignirent les genoux au lieu des jarrets qu’elle toucha par hasard ses oreilles. Elles n’étaient plus pointues ni velues, mais avait repris forme humaine. Le plaisir la submergea, et elle ne sentit plus sa propre queue battre entre ses cuisses. Quand son amant se répandit enfin, la seule queue dont il était encore question était dans sa bouche. Elle s’endormit en le tétant et s’est ainsi qu’elle se réveilla, entre les cuisses de son amant. Elle reconnut la voix de Jérôme qui lui dit qu’elle avait eu une nuit agitée, et qu’il avait dû donner quelque chose à sucer à son bébé d’amour. Pour la peine, elle aurait un gage, ce soir, pour Halloween.

 

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Edit du 2 Novembre: Cette courte nouvelle erotico-fantastique que je vous venez de lire est profondément malsaine. Vous en êtes-vous rendu compte ? L’explication de texte est ici…

21:55 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : halloween

16 septembre 2014

Perdre la tête

depardon_turin.jpg

J’ai perdu la tête. Ne me demandez pas ce qui m’a pris, je n’en sais rien, on n’avait plus la tête sur les épaules. Quand j’ai ouvert mon opinel face aux copains, je ne savais pas trop ce que j’allais faire. C’est la lame qui m’a guidé, comme toujours. Tout ce que je sais, c’est qu’on rigolait bien trop fort. A gorges déployées et ça tapait dans le crane après tout ce qu’on avait déjà bu... « Pas cap ! Pas cap ! » qu’ils me disaient. Moi, faut pas trop me pousser. Alors je l’ai attrapée, à pleines mains. Elle paraissait pas bien grosse entre mes doigts de bourreau, j’aurais presque pu faire le tour de son ventre d’une seule main. Et puis je l’ai prise par le cul. Quand j’ai mis ma lame sur son col, personne ne bougeait plus. Tout le monde retenait son souffle. J’ai donné un coup, à la fois ample et sec, comme un coup de grâce. Ça a giclé de partout, à gros bouillons. Hourra ! Hourra ! Qu’ils criaient et on s’est abreuvés de champagne à même la bouteille décapitée… comment qu’on dit déjà… sabrée.

L’après-midi, on étaient bourrés comme des coings, mais on est quand même montés sur la plate-forme, le petit Jean-Paul et moi. Il a commencé à bricoler les galets de la machine avec sa burette d’huile. Il en mettait partout ce con. C’est à cause de lui que j’ai glissé ! J’ai essayé de me rattraper comme j’ai pu aux montants, j’ai basculé sur la manette, et le couperet est tombé. Jean-Paul a été raccourci pour de bon. C’est pas ma faute monsieur l’officier ! Dites, on va pas m’y renvoyer pour me faire raccourcir, moi aussi, à la guillotine ?

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Photo sélectionnée par Ellie selon la consigne d’écriture de Marie Tropique.

Liste des participants au jeu :

Un jour d'été et Rien que nous deux de Venise

Vieux Treddy de Charmithorinx

Main blanche, main noire  de Barbara

Le temps n’a plus aucune emprise sur moi de Sofie

Chant de fleur de Princessepepette

La bague au doigt de Ellie

12:37 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (8)

14 juillet 2014

Ça roule !

bal_des_pompiers.jpg« Alors, ça roule ? »

Aude a détaché ses lèvres des miennes en rougissant, tandis que je levais les yeux vers Mathieu pour lui décocher le regard de la mort qui tue. Je l’ai vu s’éloigner en rigolant, tout content de sa blague de potache. Heureusement que cet abruti ne s’est pas avisé à me regarder de haut. Il ne perdait rien pour attendre, ce gros jaloux avec sa face constellée d’acné, lui qui n’avait même pas pu approcher une fille depuis le début de la soirée.

On était pourtant arrivés ensemble à ce bal du 14 Juillet. Seuls. Il y avait là deux filles qui faisaient tapisserie, surement dans l’attente de beaux pompiers aux épaules larges et aux cheveux courts. Mais avec ses longs cheveux graisseux et son allure dégingandée, Mathieu n’avait de pompier que des boutons brillants comme des gyrophares. Alerte au puceau !  Alerte au puceau ! Croyait-on entendre quand il rappliquait, et je suis sûr que c’est ce que la petite brune avait chuchoté à l’oreille de la grande blonde, quand elle l’avait vu approcher à pas comptés, avec une prudence de charmeur de serpents. Il n’avait même pas eu l’occasion de leur jouer du pipeau qu’elles lui avaient ri à la gueule un venin cristallin.

Moi, j’avais vu sa débâcle de loin. Pas question d’être associé à sa loose. J’avais attendu qu’elles cessent de ricaner avant de tenter ma chance à mon tour. Elles ne m’avaient pas vu venir, ou plus précisément elles ne s’attendaient pas à ça de ma part.

J’avais visé la blonde parce qu’elle semblait moins retorse que la brune, et parce qu’elle était assise aussi. Je l’avais invitée tout de go à danser, sans chercher à baratiner. « Comment qu’on fait ?» m’avait-elle répondu. J’avais bien scruté ses yeux bleus écarquillés et je n’avais rien vu, rien d’autre que de la surprise. Un regard neutre en somme. « Viens, je vais te montrer » avais-je répondu, et elle était venue, tout simplement. J’avais évacué le regard dédaigneux de la brune en me félicitant de mon choix. Les yeux, ça me connaît. Je sais y lire plein de trucs. J’avais beau avoir les cheveux courts, les épaules larges, et même des attributs de camion de pompier, j’aurais perdu mon temps avec la petite brune.

C’est comme ça qu’on avait commencé à glisser sur la piste, Aude et moi. J’avais choisi mon morceau, une valse tout en langueur et tournoiements, car ça, je sais bien faire. Ses pieds ne touchaient pas terre. Aude avait même éclaté de rire quand j’avais basculé en arrière. Les papis et les mamies nous regardaient avec bienveillance, un peu de curiosité aussi. Et puis ça avait été le tour du rock. J’aime moins. Sans sautiller pour marquer le rythme, j’ai toujours un peu de mal à mener la danse. Remarquez, la vue de sa robe tourbillonnante avait bien compensé le désagrément. Pour un peu, même sans faire d’acrobaties, j’aurais vu la couleur de sa petite culotte. Enfin est venu le moment des slows. Aude n’avait pas cherché à danser avec un autre. Elle était restée tout contre moi qui l’enlaçait d’un bras, à une portée de baiser. Je ne m’étais pas gêné. Elle n’avait pas retiré sa bouche non plus. Jusqu’à ce que Mathieu vienne déconner.

Mathieu est retourné au bar et Aude m’a rendu ses lèvres. C’est tout ce que je voulais d’elle, ses lèvres au beau milieu de la piste, avec des regards envieux en prime. Parce qu’on finit par en avoir assez de la pitié. Aude a bien senti que je ne voulais rien d’autre, avec ses fesses lovées entre mes cuisses inertes, et ses jambes qui reposaient sur l’accoudoir de mon fauteuil roulant.

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Si vous avez (très) bonne mémoire, vous vous souvenez peut-être de ce texte qu’Arnaud Dudek m’avait fait l’honneur de publier sur le blog qu’il tenait à l’époque, intitulé j’irai cracher sur vos blogs, titre en quelque sorte prémonitoire au vu de ce qu’il en est advenu. J’avais d’ailleurs acheté Copenhague, son premier texte publié, avant de découvrir avec joie et un peu de retard qu’en 2012, son premier roman avait été sélectionné pour le Goncourt du premier roman, justement. Il faudrait que je le lise, après tout Rester sage demeure pour moi d’actualité.

13 juin 2014

À force de céder sur les mots

« Quoiqu’elle vive par ailleurs, son amour pour Thomas demeurait intact, elle savait le lui dire et surtout le lui montrer. Ainsi, se savoir être toujours le roi de cœur de sa femme rassurait assez Thomas pour juguler d’éventuels accès de jalousie. La jalousie, c’est la peur de perdre l’être aimé quand on n’a pas confiance en soi. Judith avait si bien su rassurer Thomas que le récit de ce vernissage avait fini par émoustiller son époux imaginatif et éveiller chez lui quelques idées coquines. De là à lui faire rencontrer Fabien, il y avait un pas qu’elle n’était pas prête à faire. Mais à force de céder sur les mots…»

Les chemins du désir sont parfois bien sinueux. Une rencontre impromptue, des envies réprimées, une résurgence de tentations et des mots à la clef. Ces mots composent aujourd'hui ma dernière nouvelle publiée sur nouvelles-erotiques.fr , illustrée autant qu’inspirée par une œuvre de Joël Person.

joel_person.jpg

31 mars 2014

L'attribut du sujet - 1

Raide comme la justice, je regarde cet inconnu dont je devine l’identité. Masqué d’un loup à l’instar des autres convives, il avance à pas félins vers la jeune soumise offerte à mes pieds. Entièrement nue, sa tête renversée en arrière, la bouche ouverte, déjà pleine, elle est agenouillée aux pieds de son maître. À deux pas de ce couple, derrière un rideau de bougies, j’attends avec mes attributs, dont un plateau d’accessoires à présenter respectueusement aux convives, et ce masque qui me recouvre entièrement le visage. J’attends avec la patience feinte du majordome dont le rôle m’a été échu.

Par un de ces hasards inaccessibles au romancier mais que la vie seule peut susciter, j’ai la fonction de serviteur comme je l’avais écrit quelques semaines auparavant dans le récit imaginaire d’une des fameuses soirées de C***, fiction inspirée des notes de CUI dont cette illustration d’Alex Szekely intitulée le buffet dinatoire :

szekely.jpg

Au premier plan de cette scène grivoise, un serveur nu est l’objet de l’attention de plusieurs femmes, sans se départir de son professionnalisme ni masquer le plaisir d’être un objet de désir, plaisir qu’on attribue traditionnellement à la gent féminine, mais auquel un homme hétérosexuel peut aussi être sensible. Les femmes intéressées par le sexe du serveur sont certes nues dans ce tableau, mais leur posture dominatrice de cliente face au serveur soumis à sa fonction, avait immédiatement réveillé mes vieux fantasmes CFNM, où la nudité de l’homme face à la femme habillée caractérise la relation de Domination/soumission. J’avais aussitôt synthétisé ces éléments en un récit aussi onirique qu’ironique à propos de ces mystérieuses soirées dont je ne savais presque rien, mais auxquelles je rêvais pourtant de participer. J’étais sur le point de publier cette fiction extravagante lorsque Mathilde et moi avions été réellement conviés à une de ces soirées, et maintenant que j’y joue le rôle d'humble serviteur, les premiers paragraphes de cette fantasmagorie me reviennent à l’esprit tel un songe quand il s’avère prémonitoire :

Qui a bien pu dire que le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte les escaliers ? Encore faut-il avoir le regard vissé au postérieur de la jolie femme qui nous précède, alors que moi, j’ai le cœur haletant et l’angoisse pour seule perspective. Voilà, je suis arrivé au seuil de l’aventure, devant la porte d’entrée de l’appartement bourgeois où je sonne, en essayant de me composer un visage festif pour masquer mes appréhensions.

-    Pile à l’heure, me dit C*** en ouvrant la porte.
-    Oui, assez en avance pour mettre la tenue du personnel.
-    La mettre, façon de parler, me dit C*** avec un sourire en coin. La voici, ajoute-t-il narquois en me tendant un nœud papillon.
-    Je me change où ?
-    Dans le vestiaire, première chambre à gauche dans le couloir.
-    Je suis le premier ?
-    Non, une soubrette est déjà arrivée. Tu m’excuseras, je ne peux pas t’introduire, j’ai un souci avec les huitres…

Je pousse la porte entrouverte de la première chambre de gauche. La soubrette prête à l’emploi qui ajuste sa coiffe se tourne vers moi en m’adressant un sourire gêné.  De taille moyenne, la trentaine et les joues roses, elle ne porte essentiellement qu’un tablier qui surligne sa nudité, des bas noirs soutenus par l’incontournable porte jarretelle, des escarpins vernis, et quelques colifichets, dont le plus amusant est un nœud papillon entre ses seins nus, à la croisée d’une sorte de soutien-gorge sans bonnet ni autre fonction qu’un érotisme canaille.

-    Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je me présente: Vagant. Je vous fais la bise confraternelle…
-    Moi c’est F***, me dit-elle en rougissant de plus belle, vous faites aussi partie du… personnel ?
-    Oui…
-    Je me demande comment est votre costume ?
-    On ne peut plus simple, lui dis-je en lui montrant le nœud papillon.
-    Je vois… glousse-t-elle avec un air faussement apitoyé.
-    Pas encore, mais ça ne va pas tarder. C’est plutôt amusant, en fin de compte…
-    Oui, on peut dire ça, mais c’est tout de même très gênant, ajoute-t-elle en me regardant distraitement tandis que je me déshabille. Pour moi c’est un défi que j’ai décidé de relever. Je sais que je pourrai refuser les propositions licencieuses, qui ne manqueront pas, sans doute, enfin, j’ose l’espérer avec cette tenue ridicule…
-    Mais non, vous êtes parfaite et, pardonnez-moi cette grivoiserie, bandante, ajoutai-je sur un ton aussi neutre que possible tout en achevant de me déshabiller.
-    Oui… je vois… où en étais-je... Ah oui, je pourrai refuser les propositions licencieuses, bien que les invités se feront un devoir de m’en faire, mais mon rôle suggère qu’à priori, je devrais m’y soumettre, ce qui m’inquiète, mais… m’excite aussi terriblement !
-    A qui le dites-vous !
-    Ah, on sonne ! Sans doute les premiers invités. Je vous laisse pour aller les accueillir…

A suivre…

19 mars 2014

Tutoiement-2

«   C’est tout ? qu’elle me dit, je voulais me faire défoncer le cul et la chatte !
-    Tu veux que j’aille chercher les deux grands blacks sur le parking ? »

Sarah pose sur moi un regard interrogateur. J’embraye aussitôt : « tu n’avais pas pour fantasme de te faire un black ? Tu en auras deux pour le prix d’un ! » et j’ajoute le mot magique « Chiche ? ».  « Chiche ! » me répond-t-elle, le défi aux yeux. Je me lève, me rhabille en vitesse et sort de la chambre sans un regard pour elle. Les deux africains sont toujours là.

Je m’approche d’eux tandis qu’ils sont penchés sur le capot d'une voiture à remplir un certificat de cession. Ils palabrent en Nouchi mâtiné de Verlan du neuf trois, surtout pour le plus jeune des deux qui ne doit pas avoir trente ans. Le plus âgé porte des bracelets et des bagues en argent typiques des Sahéliens. Il a la quarantaine, peut-être. Une quarantaine usée aux mains calleuses.
-    Salut !  que je leur dis.
-    Bonjour, me répondent-ils avec un air méfiant.
-    Il fait pas chaud, hein ? J’ai pris une chambre avec ma copine, si vous voulez vous réchauffer un peu…
-    Non… Non… Ça va comme ça, me dit le plus vieux de plus en plus méfiant.
-    Vous avez peut-être vu ma copine, c’est la jolie blonde qui attendait sur le parking. Elle vous trouve mignons.

Mignon. Franchement, je me demande où j’ai été cherché cet adjectif en voyant le plus âgé écarquiller les yeux, mais je perçois dans le visage du plus jeune l'esquisse d’un sourire et un regard en coin. Si les femmes ont un radar pour détecter leurs rivales potentielles, les hommes voient le vice de leurs pairs à trois kilomètres. Je m’approche du jeune et joue mon va-tout : « elle aime les beaux blacks ». Le gars me sourit plus franchement puis s’adresse à son acolyte toujours sur la défensive. Je ne comprends pas tout, mais je saisis les grandes lignes de l’argumentaire : Primo, un coup gratuit ça ne se refuse pas, et les épouses du vieux restées au village seront bien contentes de recevoir, en plus des économies sur son maigre salaire, le prix de la passe mensuelle avec Fatoumata du foyer Sonacotra. Secundo, il passerait vraiment pour un con s’il rentrait au pays en ayant joué du marteau-piqueur sur tous les chantiers d’Île-de-France sans jamais s’être tapé une toubab. Tertio, il fait froid dêh. Le jeune se tourne vers moi : « OK, on te suit, mais papiers là, on pourra remplir ça dans la chambre ?
-    Sans aucun souci que je lui réponds » en sentant maintenant monter la pression sur mes frêles épaules.

loup.pngEn entrant dans la chambre, je suis saisi par l’atmosphère surchauffée d’effluves de baise. Sarah est sous les draps. Malgré la pénombre, je saisis une lueur d’inquiétude dans son regard en me voyant entrer suivi des deux compères. Je me demande si je n’ai pas poussé le curseur un peu trop loin, mais maintenant que le vin est tiré… Sarah se redresse d’un coup d’orgueil et lance un « salut les gars » qui m’épate de bravache. «  Moi c’est Jennifer ! » poursuit-elle en ponctuant sa présentation d’une moue suggestive qui ne lui ressemble guère. Elle a remis sa lingerie avantageuse et j’ai l’impression d’avoir à mes côté deux mimes du loup de Tex Avery. « Bonjour ma gazelle, moi c’est Boubakar, mais tu peux m’appeler Boub ! » dis le plus jeune des deux en s’approchant. » Il s’assied au chevet de Sarah et soupèse directement ses seins plantureux :  « Eh la go t’es seincère dêh !
-    Tu m’as l’air bien gréé toi aussi, mais tu ne veux pas prendre une douche pour être plus à l’aise ?
-    Tout de suite ma colombe. T’envole pas ! »

aya3.jpgEn quelques secondes, je suis passé de Tex Avery à Aya de Yopougon. Tandis que Boubakar se précipite dans le cabinet de toilette, son acolyte reste pétrifié au pied du lit, son certificat de cession toujours en main. « ça va ? lui lance Jennifer,  tu ne serais pas un peu timide ?
-    Oui…
-    Comment tu t’appelles ?
-    Dramane.
-    J’ai l’impression que je ne te plais pas !
-    Si… mais… je sais pas ô… j’ai pas trop l’habitude…
-    Crois-moi, moi non plus ! Assieds-toi, mets-toi à l’aise, on va voir si je te plais ou non, puisque tu ne sais pas… »

Éberlué à mon tour, je vois Sarah se redresser, à genoux sur le lit, prendre des poses provocantes, offrant aux yeux exorbités de Dramane une vue plongeante sur son décolleté, à quatre pattes, ses fesses rebondies entre lesquelles disparait le liseré de son string pourpre, sur le dos, ses jambes gainées de bas nylon dressées vers le ciel. Le pauvre homme, bouche bée, n’en perd pas une miette, esquissant pour seul mouvement celui de sa verge qui déforme peu à peu son pantalon. « On dirait que je te plais » annonce Jennifer en terminant son show tandis que Boubakar sort de la douche. Il est nu, avec une serviette blanche autour des reins, tendue comme une grand-voile bordée sur son phallus en bôme. Bien gréé, c’était le mot.

Boubakar ne tarde pas à rejoindre Sarah sur le lit, plonge son nez entre les seins offerts alors qu’elle découvre la mâture du bout des doigts. Elle me jette un regard ambigu tandis que je me déshabille à mon tour, et que Dramane opère un repli stratégique dans le cabinet de toilette. Je crois qu’il ne faudra pas trop compter sur lui pour faire le troisième. Boubakar est au contraire tout feu tout flammes. Sarah doit tempérer ses ardeurs pour qu’il n’escamote pas les préliminaires, mais en entrant à mon tour dans la danse, tout s’emballe : à peine a-t-elle commencé à me sucer, à quatre pattes, qu’il la prend en levrette. « T’inquiète pas ma gazelle, j’ai mis le protège tibia » lance-t-il en lui enfonçant profondément son chibre. Elle gémit, se mort les lèvres, ses yeux perdus dans les miens. Je vois poindre des larmes à la commissure de ses paupières. Des larmes de bonheur, sans doute.

À suivre…

21 février 2014

Le meilleur des mondes

« Bonjour Aldous, je vous attendais.
- Bonjour Henry, je suis très honoré par cette invitation dominicale, aussi mystérieuse qu’impromptue…
- Vous me connaissez, je suis un homme énergique, impulsif parfois, on me le reproche assez, mais voyez-vous Aldous, j’ai eu une soudaine inspiration qu’il me fallait aussitôt confronter à un jeune esprit clairvoyant.
- Vous me faites bien trop d’honneur. Vous ne manquez pourtant pas de jeunes et brillants conseillers dans votre entreprise…
- Ces crétins qui ne font que répéter ce qu’ils ont appris sur les bancs de leur école de commerce pour fils à papa ? Non, ils se seraient contentés de m’écouter poliment et d’acquiescer servilement, alors que je compte sur votre franchise absolue. Après tout, vous ne risquez rien de plus que d’être mis à la porte de chez moi si vos réserves m’agacent ! Ah ! Ah ! Ah ! Je plaisante, bien sûr !
- Je n’en doute pas…
- Plus sérieusement, ce que j’ai à vous montrer est d’ordre privé, et tout ce qui sera dit à cet égard ne doit pas sortir de ma maison.
- Vous pouvez compter sur moi, Henry. »

   Aldous et Henry traversèrent de longs corridors déserts, somptueusement décorés, et pénétrèrent dans un vaste cabinet de travail, au mobilier solide et fonctionnel, mais à la décoration modeste. Seul un poste de radio troublait l’ambiance austère de la pièce, d’où s’élevait Black and Tan Fantasy, le dernier tube de Duke Ellington. Nous étions en 1929, c’était l’été et il faisait chaud. A peine furent-ils entrés que la jeune femme et le photographe qui attendaient là se levèrent obséquieusement.

   « Vous pouvez vous asseoir ! » lança Henry sur un ton de maître d’école, tout en se dirigeant vers deux fauteuils capitonnés au fond de la pièce dans la pénombre. Ils s’y installèrent après s’être servi un verre de whisky. « Augmentez la musique ! » ordonna Henry, avant de s’adresser à Aldous sur le ton de la confidence : « La jeune femme que vous voyez là est une ouvrière employée dans une de mes usines. Vous savez que je dispose d’un service de renseignement efficace afin de tuer dans l’œuf les mouvements syndicaux, et mes contremaîtres zélés m’informent aussi des mœurs des uns et des autres, ce qui peut toujours être utile. Ainsi celle-ci aurait, comment dire, la cuisse légère, et j’ai bien l’intention de favoriser ses penchants. »

   Aldous regarda la jeune femme, avec laquelle il ne devait avoir en commun que la jeunesse. Assise sur une chaise inconfortable en pleine lumière, elle portait une jupe en toile bleue grossière, un maillot de coton qui laissait voir ses épaules et deviner de petits seins, et une casquette vissée sur la tête. Aldous se demanda pourquoi elle était en tenue de travail un dimanche. Il lui sembla qu’elle leur adressait un vague sourire, mélange de servilité et de connivence.

   « Elle ne me connait pas, repris Henry guilleret, elle s’imagine être chez un éditeur de magazines érotiques qui va lui permettre de sortir les mains du cambouis, pas chez son patron qui les lui a mis dedans depuis ses douze ans. On lui a fait savoir qu’elle devrait porter une tenue de travail, et non pas s’apprêter comme pour aller au bal. Maintenant, elle va nous montrer son cul gratuitement. Vous pouvez commencer ! Ordonna Henry un ton plus haut.
- Henry, si vous m’avez fait venir chez vous de toute urgence pour me montrer une pornographie abjecte…
- Votre chasteté vous honore, Aldous, mais elle vous aveugle. Restez je vous prie. Je vous ai invité à contempler l’avenir de l’homme. »

   A l’autre bout de la pièce, le photographe demanda à la jeune femme de prendre des poses lascives tandis qu’il la photographiait. Elle obéissait docilement à ses ordres avec un plaisir apparent, jetant de temps en temps des regards aguicheurs vers les deux hommes qui la regardaient, assis dans la pénombre. Elle savait que le pouvoir était caché là, auprès de ces hommes de la haute société qui pouvaient la sortir de l’usine. Pour ça, elle était prête à tout, même à faire la pute. Après tout, quitte à se faire trousser, autant que ce soit par les mains lisses des bourgeois plutôt que les pognes calleuses des contremaitres avinés. Et puis, au plus profond d’elle-même, sentir ce pouvoir, si proche, ça l’excitait. Elle s’imaginait déjà une coupe de champagne en main, danser dans les somptueux salons qu’elle venait de traverser.

   « Je ne comprends pas, répondit sobrement Aldous.
- Malgré les apparences et mon caractère inflexible, je me définis comme un humaniste. J’offre du travail à nos concitoyens, ce qui leur permet d’élever leur progéniture sous un toit à peu près décent et de manger à leur faim. Cela devrait leur suffire.
- Vous pensez vraiment que les gens n’aspirent pas à plus ? Au bonheur par exemple…
- Si ! Justement, c’est pourquoi ils conspirent au sein de leurs syndicats contre la main qui les nourrit, en bravant l’ordre social auquel aspire légitimement tout gouvernement. Alors le bonheur, on va le leur offrir, dès le plus jeune âge.
- Offrez-leur donc des écoles, plutôt que de mettre des enfants sur des chaines de montage…
- L’école, oui, à condition de réduire de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir demeure difficile et élitiste. Que le fossé entre le peuple et la science ne soit jamais comblé, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif (a). »

   A l’autre bout de la pièce, le photographe demanda à la jeune femme de faire lentement glisser sa jupe tout au long de ses jambes, tout en lui tournant le dos, ce qu’elle fit de la façon la plus obscène possible, les jambes tendues, son cul pointé vers l’objectif.

   «  Regardez-moi ça, ajouta Henry, elle ne porte même pas de culotte. Elle est décidément parfaite !
- Comment pouvez-vous parler d’éducation sans une once de culture ni de philosophie…
- Surtout pas de philosophie ! Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif (a). A la radio bien sûr, mais je fonde aussi de grands espoirs sur la télévision dans cette œuvre de pacification. Quel beau cul !
- Je ne comprends toujours pas pourquoi vous m’avez fait venir assister à ça !
- Regardez là bien, mon cher Aldous. »

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   « Cette pauvre fille est à moitié nue, et alors ?
- Regardez ce qu’elle a précisément sous les yeux, et imaginez l’effet qu’auront mes photos obscènes sur les syndicalistes que je vais écraser. (b)
- Une gravure… Oh ! C’est piquant en effet !
- N’est-ce pas ? Un de mes contremaîtres a saisi ça sur un syndicaliste qui voulait faire de la propagande chez moi ! Avec votre esprit séditieux, j’imagine que vous devez connaitre cette pyramide du système capitaliste ?vintage-infographic-capitalist-pyramid-640x805.jpg
- Je l’ai vue, en effet. C’est caricatural, mais avouez que c’est plutôt bien vu.
- Je pense que ce n’est plus à l’ordre du jour. La première et la quatrième couche vont être considérablement remaniées.
-  Ah oui ?
- Oui, le prolétariat produisait jusqu’à présent pour la bourgeoisie, mais avec les gains de productivité, la bourgeoisie seule ne va pouvoir tout acheter, ce qui entrainerait une intolérable stagnation de mes bénéfices. Ce sera donc aux ouvriers d’acquérir ce qu’ils produisent.
- Vous comptez augmenter les salaires ?
- Non, le crédit. Ils consommeront le bonheur qu’ils fabriquent à crédit. Les malheureux ne le seront plus car ils pourront tous acquérir une radio, et bientôt la télévision pour se distraire ! Quand je vous disais que je suis un véritable humaniste.
- Mais comment vont-ils rembourser avec leur salaire de misère ?
- En prenant d’autres crédits pardi ! Il faut bien faire vivre les banquiers. Vous les voyez en haut de la pyramide ?
-  Mais vous allez remplacer cette pyramide sociale par une pyramide de dettes à l’échelle nationale !
- Vous êtes terrible Aldous ! Je vous parle de bonheur et vous me parlez chiffres. Laissez cela aux argentiers, ils savent ce qu’ils font.
- Le peuple va se révolter car il aura au moins appris à compter.
- Regardez-là Aldous ! Elle a l’air de se révolter, elle ? Non ! Elle a sous les yeux un modèle de la société dans laquelle elle vit, qui lui montre qu’elle est tout en bas de l’échelle sociale. Elle va pourtant se faire enculer dans tous les sens du terme et elle en sera très heureuse, car elle aura l’impression d’être en marche pour la seconde couche de la pyramide sociale, celle qui s’amuse.
- Tous ne réagiront pas comme cette pauvre fille…
- C’est une question de conditionnement. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux (a).
- Le sexe pour nouvel opium du peuple ?
- Absolument. La religion, c’est terminé. On l’expulse de la quatrième couche de la pyramide !
- Pourquoi ?
- Parce qu’elle n’a pas su évoluer avec son temps. La science l’a remplacée. Ne croyez-vous pas en la science, vous ?
- La science n’est pas de la même nature, Henry, elle est prouvée, irréfutable…
- Fariboles ! Ce n’est qu’un tissu d’hypothèses qui se contredisent successivement. Qui peut lire les démonstrations de cet Einstein ? Qui comprend les miracles de la pénicilline ? Des spécialistes qu’on est bien obligés de croire sur la base de leurs titres ronflants. Le bon peuple doit croire à la marche inexorable de la science qui les mènera bien plus surement au bonheur ici-bas que la pénitence au paradis. Croyez-moi, il sera bien plus léger de bazarder sur les ondes la dernière affirmation scientifique vulgarisée entre deux chansonnettes, que des harangues d’ecclésiastiques.
- Vous passez à la trappe près de deux mille ans d’histoire…
- Justement, ces vieilleries ont fait leur temps. Et les chrétiens ne sont pas fiables. Ils seraient bien capables d’élire un Pape qui prend vraiment parti pour les pauvres. Nous préférons les journalistes, plus efficaces, plus contrôlables, ils apparaitront comme les nouveaux garants de la liberté. Ils désigneront la religion à la populace comme l’éternel ennemi de la liberté individuelle, et de notre bonheur consumériste. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur (a).
- Je commence à comprendre… cette fille serait donc l’archétype de votre consommateur de bonheur préfabriqué ?
- Regardez-là s’épanouir dans la légèreté et la luxure, cette truie. Elle est l’avenir, le prototype de l’homme de masse que nous allons produire, et qui devra être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels (a).
- Me mettriez-vous dans ce camp de ces « terroristes » ?
- Libre à vous de choisir, Aldous. Sachez simplement que ceux qui ne seront pas avec nous, seront contre nous.

  Quelques semaines plus tard, la crise boursière de 1929 fut l’élément déclencheur de la grande dépression qui mit à mal l’empire industriel d’Henry, et la guerre qui suivit retarda de quelques décennies l’avènement de sa vision du monde. Aldous Huxley choisit son camp et publia en 1932 le meilleur des mondes.

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(a) Sagesse et révolte de Serge Carfantan
(b) La photo qui m’a inspiré cette histoire a été trouvée sur ce blog dont l’auteur fait une analyse différente de la mienne…

03 février 2014

L’homme trophée 3 – le coup de grâce

Assis dans un café à côté de Judith, l’ordinateur portable posé face à eux sur la table, Thomas termine les deux premiers chapitres de cette histoire. Judith avait d’abord été contrariée que Thomas, son vieil amant, s’emparât de sa malheureuse liaison avec Victor, pour décrire une vengeance qui n’aurait jamais lieu. Elle reconnaissait dans cette fable des portions de vérité, mais enchâssées dans une trame romanesque dont elle n’aurait jamais pu tenir le premier rôle. Sa liaison avec Victor était toute fraîche, et elle n’avait pas rompu officiellement avec lui. Comment l’aurait-elle pu alors qu’elle n’était officiellement  qu’un sex friend dans le meilleur des cas. « Comment veux-tu que je sorte de ta vie, puisque  je n’y suis pas ! » lui aurait-il certainement rétorqué si elle s’était avisée de rompre en bonne et due forme. Ainsi la fable de Thomas était un succédanée de rupture qui permettait à Julie d’éviter un affront de plus, et de prendre un peu de distance vis-à-vis de cette relation nocive. Sans avoir besoin de l’écrire explicitement, Thomas s’était attribué le beau rôle de l’inconnu, et il se vengeait ainsi de son rival qu’il savait bien plus jeune et qu’il imaginait bien plus beau. En partageant ce fantasme avec Judith, il espérait ridiculiser Victor dans l’esprit de son amante afin qu’elle l’oublie définitivement.

En fin de compte, Judith finit par s’amuser de la fable de Thomas, remanie les SMS selon le style lapidaire que Victor avait institué, et rebaptise tous les intervenants : Ludivine fait bonne copine, Victor serait victorieux, et Judith évoque l’héroïne de l’Ancien Testament immortalisée par un tableau du Caravage où elle décapite Holopherne.

Judith décapitant HolopherneSelon le récit biblique, le général Holopherne, envoyé par Nabuchodonosor II pour massacrer tout le proche Orient, est arrêté à Béthulie. Il assiège la ville qui est sur le point de se rendre, quand une habitante entreprend un acte héroïque. Seule avec sa servante et des cruches de vin, elle pénètre dans le camp d’Holopherne, qui est immédiatement ensorcelé par la beauté et l’intelligence de Judith. Il organise un banquet en l’honneur de cette femme qui, une fois que les domestiques se sont retirés et qu’Holopherne est complètement ivre, le décapite sans autre forme de procès. La Judith biblique s’enfuie alors du camp avec la tête d’Holopherne pour trophée, tout comme la Judith de Thomas quitte l’Overside après avoir tué son désir pour Victor, l’homme trophée.

Ravis du fruit illégitime de leur union littéraire, Judith propose à Thomas de terminer la soirée dans un club libertin parisien, Le Mask, où ils pourront assouvir leurs désirs depuis trop longtemps frustrés. Quelques couples sont déjà là, accoudés au bar, d’autres sur les banquettes des alcôves du fond, où des tables basses permettent de poser son verre avant de s’abandonner à d’autres douceurs. Après avoir fait le tour du club, Judith et Thomas s’asseyent confortablement dans ces coins câlins de plus en plus bondés qui permettent tous les ébats. Pour eux, ce serait plutôt tous les débats, car l’ombre de Victor qui les a suivis depuis le café est toujours là.

Confortablement blottie dans les bras de Thomas, dont la petite fable a remué de douloureux souvenirs dans l’esprit de Judith, elle évoque ses doutes et ses frustrations, lui explique combien elle a eu besoin de simple tendresse, tandis qu’elle livrait son corps au sexe sans état d’âme avec Victor. Tendrement enlacée à Thomas, dont la position ne lui permet que de toucher les seins de Judith, elle revit intérieurement sa liaison délétère avec Victor, qui fut pour Thomas source de frustration et d’incompréhension puisqu’il n’en avait pas connaissance. Dégoutée du sexe  brut avec Victor, elle ne pouvait plus offrir à Thomas qu’un amour épuré de la sexualité, qu’elle  réduisait avec lui à sa plus simple expression quand elle ne fuyait pas dans le sommeil dès qu’ils étaient enlacés. Ainsi les corps alanguis qui se vautrent tout autour d’eux dans la luxure illustrent cette baise dégoûtante tandis qu’elle s’assoupit dans les bras de son tendre amant. À force de céder sur les mots, on finit par céder sur la chose. Pour ce crétin de Thomas à la verge désespérément dressée, la réalité a rejoint la fiction, sauf qu’au lieu d’être l’artisan d’une vengeance, il en est la victime face à Victor le bien nommé. Judith l’a bel et bien attiré dans un club libertin pour le frustrer dans les bras d’un vieux rival : Morphée !

La morale de cette histoire, à l’usage des machos soucieux d’arriver à leurs fins avec les femmes, c’est Kundera qui nous la donne dans Le livre du rire et de l’oubli :

Le regard de l’homme a déjà été souvent décrit. Il se pose froidement sur la femme, paraît-il, comme s’il la mesurait, la pesait, l’évaluait, la choisissait, autrement dit comme s’il la changeait en chose.

Ce qu’on sait moins, c’est que la femme n’est pas tout à fait désarmée contre ce regard. Si elle est changée en chose, elle observe donc l’homme avec le regard d’une chose. C’est comme si le marteau avait soudain des yeux et observait fixement le maçon qui s’en sert pour enfoncer un clou. Le maçon voit le regard mauvais du marteau, il perd son assurance et se donne un coup sur le pouce.

Le maçon est le maitre du marteau, pourtant c’est le marteau qui a l’avantage sur le maçon, parce que l’outil sait exactement comment il doit être manié, tandis que celui qui le manie ne peut le savoir qu’à peu près.

Le pouvoir de regarder change le marteau en être vivant, mais le brave maçon doit soutenir son regard insolent et, d’une main ferme, le changer de nouveau en chose. On dit que la femme vit ainsi un mouvement cosmique vers le haut puis vers le bas : l’essor d’une chose se muant en créature et la chute d’une créature se muant en chose.

Toute l'histoire...

27 janvier 2014

L’homme trophée 2 – l’hallali

Quelques jours plus tard, Judith et Victor entrèrent à l’Overside, club libertin parisien célèbre pour ses fameuses soirées mixtes du dimanche soir. Victor qui ne fréquentait pas ce milieu ne se sentait pas à son aise.

-    Elle arrive quand ta copine ?
-    Dans une petite heure, le temps de finir sa soirée d’au revoir. On peut manger un truc en attendant.
-    Oui, n’empêche qu’on aurait été mieux chez moi.
-    Avec ton colocataire qui écoute aux portes ?
-    Tu trouves que c’est mieux ici ? Non seulement on va nous entendre mais aussi nous mater ! T’as pas vu la haie d’honneur des mecs qui attendent pour rentrer ?
-    T’inquiète pas darling, il ne peut rien arriver à un grand garçon comme toi ! Ludivine m’a dit qu’on peut vraiment s’éclater dans cette boîte. Il paraît que tout est bien géré et que les gens sont respectueux.

Judith et Victor furent conduits par le personnel vers un somptueux buffet que des couples de tous âges butinaient. S’il n’y avait pas eu ces alcôves encore vides, disposées le long d’un couloir à l’entrée du club, ils auraient pu s’imaginer dans une simple discothèque. La musique battait déjà son plein et la piste de danse, assez grande, entourée de podiums ornés de barre de pole dance, était peu à peu prise d’assaut par des couples de fêtards hétéroclites. Du balcon qui surplombait la piste, Judith et Victor assis côte à côte terminaient leur dîner en observant la faune qui, si elle était apparemment libertine au vu des tenues outrageuses de certaines femmes et des caresses impudiques de certains couples, n’apparaissait pas particulièrement portée sur l’échangisme. D’ailleurs, aucun couple n’était venu les aborder. « On va danser ? » proposa Judith à Victor, qui la suivit rasséréné, mais toutefois impatient que la fameuse Ludivine arrive.

Ils se dandinèrent tant et si bien sur la piste, qu’ils ne virent pas qu’on enlevait le buffet pendant que des hommes seuls faisaient leur apparition ici et là. À  l’image des couples présents, certains avaient l’apparence d’hommes d’affaire propres sur eux, d’autres de clubbers avertis. Sous le feu roulant des regards masculins, Judith semblait déchainée alors que Victor apparaissait fatigué et inquiet. «  Tu peux aller au vestiaire pour voir si Ludivine a laissé un message sur mon portable ? »  lui cria-t-elle à l’oreille. Victor hésita un instant à empoigner Judith manu militari pour sortir aussitôt de ce club, mais l’espoir de culbuter deux jolies femmes était plus grand que son angoisse, et il s’éclipsa momentanément. Pour la meute des hommes seuls, c’était l’hallali. Chacun d’entre eux vint tenter sa chance tour à tour ou deux par deux, les plus audacieux n’hésitant pas à saisir Judith par les hanches, les plus timides se contentant de lui sourire ostensiblement. Sans cesser de danser, Judith repoussait les plus collants.

Elle aurait pu choisir celui ou ceux qu’elle voulait pour son bon plaisir, mais comment un homme aurait-il pu trouver grâce à ses yeux dans ce contexte ? Aucun d’entre eux ne semblait convoité, les plus mignons ayant déjà été happés par les couples d’habitués. Les regards libidineux de ces seconds couteaux ne la flattaient pas, car elle ne percevait chez ces hommes en chasse aucune admiration pour elle, mais juste un désir bestial à assouvir avec la première qui le voudrait bien. Elle aurait certes pu profiter de la situation avec ces hommes interchangeables pour les consommer à loisir, alternativement ou simultanément, et en tirer un plaisir purement sexuel, ce dont Victor ne se serait pas privé dans la situation inverse. Il aurait fallu pour cela qu’elle ait suffisamment de force en elle pour ne pas avoir besoin de se sentir valorisée par ces hommes-là qui, après l’avoir baisée, iraient certainement tenter d’en baiser une autre. Judith se laissa toutefois approcher par un des hommes présents avant que Victor ne revienne, afin qu’il ressente ce qu’elle devait endurer quand elle le trouvait au bras de la première venue.

Lorsque Victor revint bredouille du vestiaire, car il n’avait bien entendu trouvé aucun message de la fameuse Ludivine, il trouva Judith enlacée à un inconnu. Tétanisé, il s’approcha pour exiger des explications. Avant qu’il n’ait ouvert la bouche, Judith s’exclama cajoleuse « Ah  enfin !  tu me prends une coupe de champagne s’il-te-plaît, j’ai tellement chaud ! ». Elle colla aussitôt ses lèvres aux siennes comme pour le rassurer, mais elle reprit son slow avec l’inconnu. En quelques minutes, le rapport de force s’était totalement inversé. Pour Victor, la surprise était telle qu’elle bâillonnait sa colère. Entre faire un esclandre parfaitement déplacé dans ce cadre libertin, où Judith avait le comportement attendu, et aller chercher le verre de champagne, il opta pour le champagne dont il siffla un verre au bar, seul.

Overside.jpgÀ peine Victor avait-il le dos tourné que Judith entraina l’inconnu vers les coins câlins. Le couple – elle et l’inconnu formaient désormais un couple au sens premier du terme – se dirigea vers la première alcôve venue, le salon Grec, au centre duquel trônait un lit hexagonal où s’ébattait un trio. La femme, une plantureuse quinquagénaire aux seins gros comme des pastèques, y suçait son conjoint dégarni, notaire à Brie-Comte-Robert, tandis qu’un pompier musculeux la prenait en levrette. C’était un couple d’habitués qui venait régulièrement s’ébattre en trio à Paris, ce qui constituait l’essentiel de leur vie sexuelle. Le notaire, en tout point fidèle à son épouse, souffrait de quelques difficultés érectiles qu’il avait d’abord attribuées à l’âge. Titillée par l’incontournable rubrique sexe des magazines féminins dont elle s’abreuvait quotidiennement, son épouse frustrée avait fini par convaincre son mari de franchir les portes d’un club libertin, juste pour voir. Ce fut une révélation. Constatant le désir que sa femme provoquait chez les hommes présents – la bougresse savait y faire, entre œillades et moues suggestives – notre notaire ressentit, par une sorte de désir mimétique, un retour de flammes pour son épouse en femme fatale, au point que sa verge se dressa miraculeusement. Depuis, madame choisissait un modèle d’étalon différent à chacune de leur escapade, mais toujours une grosse pointure, et tous y trouvaient leur compte. Lorsque le notaire se jugea assez dur, il ordonna au pompier, d’un geste impérieux, d’échanger leurs positions respectives. Ainsi put-il se lâcher dans madame qui, dans un même mouvement, offrait à la grosse lance d’incendie du pompier la fameuse cravate de notaire. Judith et l’inconnu s’assirent sur une banquette sans se quitter des yeux, ignorant le trio burlesque au centre du salon. Ils s’embrassèrent tendrement tout en se déshabillant, comme seuls au monde au cœur de l’orgie.

Victor déambulait en vain dans la zone discothèque du club à la recherche de Judith. Lorsqu’il voulut emprunter le couloir qui mène aux coins câlins, sa coupe de champagne toujours à la main, une armoire à glace lui barra le chemin : « Vous ne pouvez pas aller dans les coins câlins avec une boisson ! » Face à lui, le videur de la boite, une sorte de Chabal au fort accent serbo-croate. Victor bu son verre cul sec et le laissa sur une table, bien décidé à retrouver Judith où qu’elle se cache. Le colosse lui barra à nouveau le chemin :

-    Vous ne pouvez pas entrer seul dans les coins câlins !
-    Mais je ne suis pas seul, je suis accompagné !
-    Je ne vois pas madame.
-    Moi non plus, je la cherche justement !
-    Les hommes seuls ne peuvent aller dans les coins câlins que s’ils sont invités par un couple.
-    Mais puisque je vous dis…
-    Vous pensiez m’avoir avec ce coup-là ? Allez donc draguer dans la discothèque ! Au boulot !
-    Mais…
-    Tu veux que je te fasse un gros câlin ? grogna le videur entre ses dents.

Fou de rage, mais pas au point d’affronter le videur, Victor décida que cette soirée catastrophique avait assez durée. Bien décidé à abandonner Judith où qu’elle fût, il demanda son manteau au vestiaire.

-    Votre prénom ?
-    Victor.
-    Je ne vois pas de Victor…
-    Je suis rentré avec Judith.
-    Elle doit sortir avec vous monsieur.
-    Comment ça ?
-    Quand on entre à deux, on sort à deux !

Déconfit, Victor s’écroula dans une banquette à côté de la piste de danse. La majorité de la faune baisait bruyamment à quelques mètres de là, seuls restaient les hommes seuls, les indésirables dont il partageait le triste sort. Plusieurs verres s’étaient écoulés dans son gosier quand Judith réapparu. « Je suis épuisée,  on s’en va ? ». En le retrouvant affalé sur une banquette parmi les loosers, Judith perdit les dernières bribes de désir qu’elle éprouvait pour lui.

Ludivine n’avait jamais existé que dans l’imagination de Victor, et sur un astucieux montage photographique présentant  Judith aux côtés d’une illustre inconnue dont elle avait pêché la photo sur le web. Grâce à ce subterfuge, Judith avait pu amener Victor dans une soirée échangiste avec des hommes seuls, afin de l’humilier dans les bras d’un autre homme, ce qui avait fonctionné au-delà de ses espérances. Elle avait organisé ce piège pour se venger de tous les affronts subis, sans réaliser qu’elle allait faire chuter le trophée de son piédestal et tuer son désir envers lui. Si elle n’avait été qu’une femme parmi d’autres sur le tableau de chasse de Victor, il ne serait plus à son tour dans l’esprit de Judith, qu’un trophée de chasse tout juste bon à prendre la poussière dans le couloir de ses souvenirs.

Victor se releva péniblement. Derrière Judith, il paya la note en maugréant et reprit son manteau sans laisser de pourboire au vestiaire. Arrivés dehors, l’air frais lui remis un peu les idées en place. Il jeta un regard sombre à Judith.

-    Faut qu’on parle Judith !
-    Pas envie… Salut ! lui lança-t-elle en marchant vers un inconnu qui attendait là, celui-là même avec lequel elle dansait avant de lui fausser compagnie.
-    Salope !  beugla-t-il derrière les amants qui partaient en riant.

A suivre

22 janvier 2014

L’homme trophée 1 – le son du cor

connard.pngJudith décrocha son téléphone et, sans utiliser le répertoire, elle composa comme un compte à rebours le numéro qu’elle connaissait par cœur. Après trois sonneries, elle tomba une fois de plus sur la boite vocale et son annonce standardisée, sans âme. Elle prit son inspiration et se jeta à l’eau. «Allô Victor, c’est Judith. J’ai quelque chose à te proposer qui t’aurait fait plaisir. Très plaisir si tu vois ce que je veux dire… Rappelle-moi si tu l’oses ! Salut !». Elle raccrocha à bout de souffle. Elle avait essayé de se montrer cajoleuse, voire racoleuse au fil de son message, mais une fois de plus, elle eut rétrospectivement l’impression d’avoir été nulle.


Accoudé au comptoir d’un bar festif, Victor n’avait pas entendu sonner son téléphone et n’avait pas décroché à temps. Il sortait d’un rendez-vous Tinder© peu concluant et il noyait sa libido en compagnie de Grégoire, un impénitent séducteur que la quarantaine auréolait d’un charme ravageur et qui s’apprêtait à retrouver une de ses nombreuses maîtresses. Le message de Judith le tira de sa morosité, et il en fit part à son compère :


-    Ah elle me relance !
-    Une de perdue, dix de retrouvées. Laquelle ?
-    Bac-plus-sept.
-    Ça rime avec prise de tête.
-    Attends, je vais la cadrer direct, pérora Victor le téléphone en main. Il composa aussitôt un SMS outrageux pour impressionner Grégoire.
-    Quel homme ! siffla Grégoire entre ses dents en lisant le message.


De Victor à Judith : Alors petit cul, tu es en manque ? Chez toi ou chez moi ?


Ce SMS bouleversa Judith d’une triste joie. Victor lui avait répondu bien vite, pour une fois, mais il fallait beaucoup d’imagination pour déceler de la tendresse derrière la muflerie de ce message lapidaire. Judith n’allait donc pas pouvoir faire sa proposition indécente de vive voix, ce qui n’était finalement pas plus mal. Elle aurait ainsi le temps de la réflexion, pour faire le point sur leur liaison et se donner le courage d’aller jusqu’au bout. Elle se remémora leur rencontre, dont les prémices auguraient déjà la suite de leur relation. Une soirée, un dragueur, un verre de trop. Une banquette salvatrice quand les jambes se dérobent et la tête tourne. Tandis qu’elle pouvait encore papoter avec les uns et les autres, non seulement son dragueur ne l’avait pas lâchée, mais il avait poussé l’audace jusqu’à dénuder son épaule pour y déposer des baisers enivrés, tout en faisant glisser la bretelle de son soutien-gorge. Elle l’avait repoussé une première fois plutôt maladroitement, mais assez fermement pour qu’il cesse cette approche grossière. C’était sans compter avec la ténacité de ce dragueur invétéré qui était revenu à la charge et lui avait joué la sérénade tant et si bien qu’elle s’était sentie succomber à cet homme qui, du regard et des lèvres, lui disait combien il la trouvait belle. Pourtant elle avait sa dignité et n’était pas du genre à tomber comme ça dans les bras du premier venu, fût-il beau et sûr de lui, surtout devant ses copines, ou bien n’était-elle tout simplement pas assez ivre. Quand elle avait décidé qu’il était temps de rentrer, il lui avait emboité le pas tout à l’ivresse de pouvoir « dormir avec elle ». Au pied de l’immeuble, il lui avait proposée de la raccompagner, plus personne pour la juger pas même sa conscience et ils avaient fini la nuit ensemble. Rétrospectivement, cette première nuit avait été la meilleure, non seulement parce qu’ils avaient fait l’amour, ou plutôt baisé toute la nuit rectifia Judith intérieurement mais il l’avait tenu enlacée contre lui toute la nuit si bien qu’elle espérait alors avoir fait La Rencontre. Après cette première nuit, il avait mis trois semaines à lui donner signe de vie. La rencontre de l’une était le plan cul de l’autre. Puisqu’il voulait du sexe, il allait en avoir pensa Judith le téléphone en main, tout en escomptant bien attiser ses ardeurs, comme dans les bonnes vieilles leçons d’Aubade©.


Aubade99.jpgDe Judith à Victor : Toujours tenté par un plan à 3 ?


Un trio… après l’avoir baisée dans tous les sens, Victor n’avait pas cherché à connaitre autre chose d’elle qu’un plan à trois avec une fille d’un soir, songea Judith. Elle ne demandait pourtant pas la lune, n’exigeait pas de déclarations sirupeuses ni de sermensonges. Seulement partager un peu plus qu’une paire de draps de temps en temps, une sortie au restaurant, un tour au cinéma, apprendre à se connaitre. Les ballades la main dans la main, Judith  s’interdisait d’y penser.


De Victor à Judith : Pourquoi ?


Accoudé au bar, Léonard n’en croyait pas ses yeux. Son grand fantasme allait-il enfin se réaliser ? Judith allait-elle enfin céder et accéder à ses désirs ? Il en fit part à Grégoire qui regardait son jeune compagnon avec l’affection du maître pour l’apprenti, une bonne douzaine d’années séparant les deux compères, mais aussi une pointe de jalousie. Léonard avait ses plus belles années devant lui, et il était bien parti pour les croquer à pleines dents, alors que pour un célibataire endurci comme Grégoire se profilait le spectre du déclin et de la solitude, lorsque son charme naturel ne lui permettrait plus d’accéder aux jeunes femmes, toujours aussi jeunes et donc toujours plus jeunes que lui.


De Judith à Victor : Ne répond pas à une question par une question !


Qu’est-ce qu’elle peut être chiante quand elle s’y met ! s’exclama Léonard, on ne peut rien dire sans qu’elle ne plombe l’ambiance avec ses remarques acerbes. On ne sait jamais où on met les pieds avec ses questions existentielles. Je n’ai pas envie de tomber encore dans un de ses pièges qui va se refermer en crise de jalousie où chacun voudra avoir le dernier mot ! Pas question de jouer encore au chat et à la souris avec elle.


De Victor à Judith : So what ?


Encore une question en guise de réponse, ragea Judith. Il se moque vraiment de moi ! Les messages de Victor, essentiellement interrogatifs, excédaient rarement plus de trois ou quatre mots, et Judith en avait assez d’en extrapoler des phrases dignes de ce nom pour imaginer ses intentions. Depuis qu’elle avait rencontré Victor, que savait-elle de lui au juste ? Pas grand-chose en vérité, hormis un tableau de chasse qu’il exposait avec ostentation. Avec lui, impossible d’aller au fond des choses, de connaître ses aspirations profondes, de savoir, car c’était là la véritable question de Judith, s’il était prêt à se fixer, c’est-à-dire se fixer un moment à ses côtés pour vivre quelque chose avec elle. Judith savait bien qu’elle ne pouvait pas poser une telle question ouvertement, car elle pressentait, à juste titre, que Victor prendrait immédiatement la tangente.


De Judith à Victor : J’en ai parlé à une pote, ça pourrait s’arranger…


Les hommes d’aujourd’hui sont immatures, ils ne pensent qu’à leur plaisir immédiat, ressassait-elle  tandis qu’elle recevait immédiatement la réponse de Victor en confirmation de sa thèse favorite.


De Victor à Judith : Cool ! T’as une photo ?

Le physique, il n’y avait que ça qui comptait pour lui. Combien de fois Judith avait-elle dû affronter les photos des ex ou des futures ex de Victor, qu’il lui montrait ostensiblement avec autant de commentaires élogieux, leçons du corps à la Aubade qui renvoyaient Judith à plus d’angoisses féminines que tous les magazines de mode réunis. « Tu es belle Judith », lui avait-il dit un jour après quelques galipettes, « mais je suis plus beau que  toi ! » avait-il aussitôt ajouté. Elle s’était gardée de lui rétorquer qu’il avait un peu d’esprit, mais pas assez pour comprendre le second degré de ses messages. Il l’aurait sans doute jugée « chiante » alors qu’elle s’efforçait de lui présenter un heureux caractère par peur de le perdre. Quand Judith se regardait dans la glace, elle ignorait l’harmonie de ses traits, la ligne de sa nuque, la fraîcheur de sa silhouette, la profondeur de son regard. Elle ne percevait rien de tout ce qui lui conférait un charme fou, obnubilée par le moindre défaut apparent selon les critères normatifs martelés par les magazines féminins. Ainsi chaque photo de rivale brandie par Victor était une occasion de complexe, car elle y trouvait toujours une supposée qualité physique dont  elle aurait été dépourvue, qui justifiât qu’il la néglige. Paradoxalement, plus elle découvrait ces femmes, pour ainsi dire ses rivales photographiques que Victor avait pourtant quittées, mais qu’elle jugeait d’autant plus belles qu’elle était complexée, plus elle s’attachait à son amant. « Les femmes ne recherchent pas le bel homme. Les femmes recherchent l’homme qui a eu de belles femmes », tel est le grand secret de la vie selon Kundera, et Victor avait toujours été très aimé.


De Judith à Victor : Voilà Ludivine, une copine rencontrée en soirée.


Comme tous les hommes, songea Judith, il lui en fallait toujours plus, c’est-à-dire plus de femmes. Dans cette réflexion ruminée jusqu’à devenir un lieu commun, Judith ne réalisait pas qu’elle excluait de «  tous les hommes » ceux qu’elle ignorait, ou tout au moins ceux qu’elle n’envisageait pas sur un plan intime, et son observation était exacte puisqu’elle s’intéressait essentiellement aux hommes convoités. Ce qui excitait sa convoitise et celle de ses pairs, ce n’était pas simplement une question de beauté plastique, car l’attrait d’un homme ne se résumait pas à une jolie figure, mais était pour elle une question d’esprit, de prestance, d’audace, d’assurance, résultaient de tout un ensemble de qualités comportementales plus qu’intrinsèques, qui confèrent à l’homme son charme social et faisait rêver Judith. Pour juger de toutes ces qualités, rien de tel qu’un palmarès. La rencontre tant attendue, qu’on imagine être celle de deux individus sous l’auspice de la providence comme dans les romances, résultait d’une compétition d’autant plus ardue que Judith et Victor vivaient dans un microcosme citadin hyper connecté. Avec les réseaux sociaux pour vecteur de la réputation, la plupart des regards étaient braqués sur les même personnes, celles qui apparaissaient à tort ou à raison être les plus brillantes. À ce jeu, Victor faisait partie des gagnants, et Judith était flattée qu’un tel homme s’intéressât à elle.  Avoir Victor pour petit ami officiel constituait un véritable trophée pour lequel elle pouvait tout sacrifier. Pour elle qui était si complexée, supplanter toutes ses rivales photographiques aurait constitué une revalorisation narcissique telle qu’elle était prête à pardonner tous les affronts de ce séducteur, alors que pour Victor installé dans la spirale du succès, Judith n’était qu’une femelle de son cheptel pour laquelle il n’avait aucun égard particulier. Pourquoi donc aurait-il dû s’attacher à une seule femme, à l’exclusion de toutes les autres, alors qu’il pouvait jouir d’elles toutes alternativement ? Pour lui, l’étape suivante de la marche du plaisir consistait à jouir d’elles simultanément.


À peine eût-il reçu la photo de Judith et Ludivine que Victor la brandit sous le nez de Grégoire :


-    Elles sont bonnes, hein ?
-    Joli petit lot, c’est le cas de le dire, les deux font la paire. C’est laquelle bac-plus-sept ?
-    Judith, c’est celle de gauche. Dans tous les sens du terme.
-   Eh bien, tu ne vas pas t’embêter ! ajouta Grégoire narquois, un trio avec des féministes gauchistes, je ne sais pas si tu vas en sortir vivant !
-   Ça me changera des pétasses Sarkozistes. Une fille avec un beau cul mais sans esprit ni conversation, ça va bien pour une nuit, mais c’est à mourir d’ennui après deux semaines de vacances. Avoir Judith dans mon lit me donne l’impression d’être intelligent. Je me dis que si j’ai pu la séduire, c’est que je ne dois pas être trop con. Elle au moins, elle peut parler philo ou politique entre deux rounds sous les draps.
-    Tant que ça tourne pas au pugilat, persifla Grégoire.


Victor sentit une pointe d’admiration derrière les remarques de Grégoire. Ce dernier s’était pourtant vanté d’avoir vécu de mirifiques trios avec quelques-unes de ses maîtresses, ce qui avait titillé les désirs plus classiques de Victor, au point que cela devienne une idée fixe et qu’il fasse part de cette lubie à toutes ses amantes, sans aucun succès jusqu’alors. Victor enviait donc Grégoire pour les trios dont il parlait, et Grégoire enviait Victor pour le trio qu’il allait vivre, ainsi que pour son amante intellectuelle dont il se moquait. Le glorieux méprise ce qu’il ne peut avoir.


De Victor à Judith : Au moins tu as bon goût, elle est bonne. Dans quel lit ?


Judith fut une fois de plus blessée par son message, tout particulièrement par ce « Au moins » qui lui déniait les atouts dont elle se croyait déjà dépourvue, alors que c’était un compliment dans l’esprit de Victor qui aurait dû écrire « Toi au moins, tu as bon goût ». Un seul mot vous manque et le sens tout entier peut changer. Cette dévalorisation ressentie par Judith n’était pourtant rien comparativement à la dernière humiliation qu’il lui avait infligée. Tandis qu’il répondait rarement aux appels de Judith, tant il était occupé par ailleurs, il ne se gênait pas pour lui demander de le rejoindre à toute heure de la nuit, et elle courait se faire baiser comme une junkie en manque cherche sa dose, avec le fol espoir de conquérir le cœur de son amant. Ainsi était-elle venue chez lui  à l’heure où les derniers métros dorment depuis longtemps. Il l’avait accueillie avec l’empressement du désir qu’il voulait assouvir. Judith avait un peu temporisé en s’échappant vers la salle de bain pour mieux se préparer aux étreintes de son amant. Là, elle avait découvert des sous-vêtements féminins. « Pourquoi faut-il toujours que tu sois si chiante ! » lui avait-il répondu quand elle osa le questionner sur cette lingerie, « c’est à une cousine de passage, elle ne sera pas là ce soir. Viens ! J’ai envie de toi ! ». Une heure plus tard, repus de sexe, Judith se préparait à passer le reste de la nuit tendrement enlacée à son bourru d’amant, quand il lui avait dit à l’autre bout du lit « Et maintenant tu dégages ! ». « Tu ne comprends pas que je suis un salaud ? Dégage ! »  Avait-il ajouté encore un ton plus haut. Judith avait claqué la porte après l’avoir copieusement insulté, et s’était retrouvée en larmes sur le trottoir, contrainte de prendre un taxi pour rentrer seule chez elle. Il suffisait qu’elle se remémorât ce pathétique épisode pour avoir le courage de continuer.


De Judith à Victor : Aucun, on a trouvé un club où on peut baiser et danser. C’est dimanche ou c’est mort. Après, elle part au Japon.

LouisVuitton.pngLe matin même, Judith avait croisé une troupe de Japonais sur les Champs-Elysées. Ils ressortaient de la boutique Louis Vuitton, et toutes les femmes portaient le même sac à main. Elle s’était demandée pourquoi toutes ces femmes désiraient le même modèle, sans se demander pourquoi elle désirait Victor sur la base du désir qu’il inspirait aux autres femmes. Il y avait effectivement une grande différence entre avoir à son bras Victor, l’homme trophée de l’amour, et un de ces icônes de la mode. Chaque sac, produit à des milliers d’exemplaires, appartenait à une seule femme, ce qui n’était pas le cas de Victor pour lequel elle luttait dans l’espoir d’en accaparer l’unique exemplaire. Elle n’était pas pour autant dans une logique consumériste : un seul Victor lui suffisait amplement, aussi ne voulait-elle pas le voir à d’autres bras, mais savoir qu’il avait été aux bras de belles femmes justifiait son désir.


On peut d’ailleurs se demander si la concentration humaine en milieu urbain ne favorise pas un certain mimétisme social, dont le mimétisme du désir, ce qui atteindrait son paroxysme au Japon où l’individu s’efface au profit du groupe.  Ainsi « Je vous aime » est traduit par « 大好きです»  ce qui signifie littéralement « vous êtes très aimé ». Le « Je », qui nous parait paraît primordial dans l’expression d’un sentiment aussi subjectif que l’amour, est éludé au profit d’un groupe impersonnel : Vous êtes très aimé (par tous dont moi (et peut-être ne vous aimerais-je pas si les autres ne vous aimaient pas autant))

A suivre...

29 septembre 2008

Le reflet du miroir


podcast

- Tu te souviens du moment où je t’ai caressé la nuque ?
- Oui.
- Tu as aimé ça ?
- Oui. Beaucoup.
- Et les reins, ça te fait plaisir que je pose ma main au creux de tes reins ?
- Oui
- Et lorsque mes doigts dessinent des arabesques sur tes cuisses, ça te fait plaisir aussi ?
- Oui. J’aime beaucoup tes mains sur mon corps.
- Et ma bouche ?
- Aussi.
- Tu te souviens quand je t’ai léché la chatte ?
- Oui.
- Ça te fait jouir quand je te lèche la chatte ?
- Oui, toujours.
- Et quand je te prends en levrette, ça te fait jouir ?
- Oui, énormément.
- Qu’est-ce que tu préfères, quand je te prends en levrette ou quand je te sodomise ?
- Je sais pas. C’est pas pareil…. Mais j’aime autant l’un que l’autre.
- Et quand je te prends en missionnaire, ça te fait jouir ?
- Oui.
- Moi j’ai l’impression de ne pas te prendre aussi fort. Et quand je me répands sur ton visage ?
- Aussi.
- Partout ? Sur la bouche, le nez, les cheveux ?
- Oui, partout.
- Donc je te fais jouir totalement ?
- Oui, tu me fais jouir totalement, tendrement, tragiquement.
- Toi aussi...

20:15 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : le mepris

02 juillet 2008

La nuit démasque (6)

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    - Je ferai avec ces hommes ce que tu me diras, lui dit-elle de sa bouche incendiaire avec un délicieux accent italien, je ferai tout ce qu’il te plaira !

    Alexandre accepta volontiers le rôle de dominateur dont il venait d’être investi. Grâce au tutoiement qu’elle venait d’utiliser – mais pourquoi cette petite garce s’était-elle ainsi adressée à lui, et en Français de surcroît ? - il imagina qu’elle n’était autre que sa femme. Mais une femme générique, sans identité véritable, légère et interchangeable. Pas Aurore. L’ombre d’un instant, l’espace d’un jeu, sa femme était devenue cette libertine excitante en diable qui s’abandonnait à plusieurs hommes à la fois. Sans même s’en rendre compte, il avait exclu Aurore du champ de sa pensée, pour pouvoir jouer au candauliste avec cette inconnue qui adoptait si bien le rôle d’épouse lubrique, et fuir lâchement ses angoisses dans l’obscénité du sexe.

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12 mai 2008

La nuit démasque (5)

Masquerade par ~mythfairy sur DeviantART
 
    L’inconnue leva les yeux et tendit une main tremblante vers le nouveau venu qui se penchait vers elle. Il avait les mains jointes en avant, prêtes à accueillir celle de cette martyre avec toute la compassion que lui permettait sa lâcheté naturelle. Dans cette posture, il avait l’air patelin du prêtre qui donne les derniers sacrements au condamné. La suppliciée ne s’y trompa pas en dédaignant ce bouclier de bonne conscience. Elle esquiva les mains d’Alexandre pour l’atteindre à l’endroit qui faisait de lui un homme, un vrai. D’un geste leste, elle eut son sexe en main. Alexandre constata avec horreur qu’il bandait plus que jamais. Face à lui, l’autre homme lui adressa un sourire coquin tout en faisant coulisser la tige de la cravache dans la raie de la victime qui, dans un même mouvement, fit coulisser ses lèvres humides tout au long de la hampe d’Alexandre, de son gland arrogant jusqu’à ses couilles molles.

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07 mai 2008

Post-it (9)

13 Septembre 1977, 9h25

Chéri,

Hubert vient de me déposer à la bibliothèque. Je suis exténuée. Je n’ai presque pas dormi du week-end, même si j’ai passé le plus clair de mon temps à l’horizontale. C’était dé-men-tiel. J’en ai plus fait en deux jours qu’en cinq ans de mariage. Apparemment, je n’ai pas le ventre aussi froid que tu le pensais, ce qui est signe de bonne santé n’est-ce pas ?

Angélique

 

13 Septembre 1977, 10h35

Mon amour,

Je te prie de me pardonner mon écriture vacillante, mais l’émotion me submerge. Nadia, l’insolente indolente, a des atouts que j’avais sous-estimés. Au moment où je t’écris, elle est agenouillée sous le bureau, juste entre mes cuisses. Elle a palpé la bosse indécente qui déformait mon pantalon, et elle m’a demandé avec son accent inimitable : « tu veux que je te suce, Monsieur Courrrteneau ? ». J’ai aussitôt accepté, tu penses bien. J’ai rudement bien fait : jamais on ne m’avait aussi bien taillé un narguilé. Ah, elle vient de recracher ma queue raide pour te donner le bonjour.

Jean-Jacques

 

13 Septembre 1977, 10h45

Mon chéri,

Crache lui au visage de ma part. Je ne t’ai pas dit, Hubert m’a invitée dans un club échangiste samedi dernier. Je n’étais pas très à mon aise, au début. Hubert m’a présentée à un couple de ses amis, dont j’ai oublié les prénoms – il m’aurait été impossible de tous les retenir – mais dont l’homme arborait de belles bacchantes. Lorsqu’il m’a léchée, sa langue fouillait les pétales de ma chatte tandis que ses moustaches me picotaient le clitoris. Cela m’a fait un de ses effets ! Si l’idée que tu me touches ne me révulsait pas, je te demanderais de te laisser pousser une grosse moustache, faute de mieux.

Angélique

 

13 Septembre 1977, 10h55

Amour de ma vie,

C’est fait, je viens d’arroser le joli minois de Nadia. La pointe de sa langue est passée sur sa lèvre supérieure pour recueillir l’écume de ma bite. Tu es bien mauvaise langue, ma chérie. Nadia ne partage pas ton opinion, elle apprécie vivement ma queue et elle ne simule pas, elle. Je vais d’ailleurs la lui mettre en profondeur, en levrette, lorsque je l’aurai ligotée sur l'étagère. Elle adore ça !

Jean-Jacques

 

13 Septembre 1977, 11h01

Mon amour,

Tu as toujours eu un faible pour les potiches. Je suis désolée de te contredire, mon chéri, mais tandis que le moustachu m’envoyait au septième ciel en un tournemain - c’est le cas de le dire : il m’a fistée aussi - je suis parvenue à avaler la longue verge de Hubert. Compte tenu de ce dont la nature avare t’a nanti, je n’ai définitivement rien à apprendre de ta tunisienne.

Angélique

 

13 Septembre 1977, 11h07

Angélique chérie,

Tu comptes te reconvertir en avaleuse de sabre ou en gare de triage ?
Figure-toi que viens de fouetter Nadia avec mon ceinturon, ce qui m’excite d’autant plus que ses formes généreuses débordent un peu de ta lingerie. Ton ensemble Charmel souligne sa chair rosie par la morsure du cuir sur sa croupe rebondie. Ça l’excite tellement qu’elle en jute dans ta dentelle, mais pas autant que lorsque je l’ai sodomisée dans notre lit hier matin. Elle portait une de tes nuisettes en soie que nous avons un peu malmenée. Tu me pardonnes mon amour ?

Jean-Jacques

 

13 Septembre 1977, 11h25

Mon cœur,

Quelle coïncidence ! Il était minuit passé, samedi soir, lorsque j’ai offert ma virginité anale à un grand black. J’étais à quatre pattes, attirée bien qu’intimidée par la vulve noire au cœur de corail d’une jeune antillaise que je m’apprêtais à lécher, lorsque son mari m’a surprise par derrière! Tandis qu’elle m’arrosait le visage de sa mouille, il m’a sodomisée comme une chienne. J’étais affreusement excitée et Hubert était aux anges. Il s’est glissé par en dessous pour me prendre la chatte en même temps. Inoubliable !
Je vais m’acheter de la nouvelle lingerie ce soir. Ta tunisienne peut garder mes vieilleries.

Angélique

 

13 Septembre 1977, 11h35

Amour de ma vie,

Après tes emplettes, peux-tu prendre du pain pour trois ? Nadia passe la nuit à la maison. Tu pourras dormir dans la chambre d’amis car notre lit a beau être large, tu risquerais d’être gênée. Il n’est pas question qu’aucun de nous te touche, mais Nadia est si expressive que tu ne fermerais pas l’œil de la nuit.

Jean-Jacques

 

13 Septembre 1977, 11h39

Je demande le divorce !

Angélique

 

13 Septembre 1977, 11h49

Jamais !
Tu es la lune noire de ma nuit, le sens de ma vie. Si tu me quittais, j’en mourrais, et si je meurs on finirai bien par découvrir tous ces
post-it que nous nous écrivons à longueur de journée. Je ne te l’ai jamais dit, mais j’ai tout archivé depuis le jour de notre rencontre, même mes propres mots recopiés au papier carbone. Mes mémoires sont devenues mon assurance vie : s’il m’arrivait malheur, ta chère réputation n’y survivrait pas.
N’oublie surtout pas le pain !

Jean-Jacques

Fin

07:00 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : post-it

06 mai 2008

Post-it (8)

10 Septembre 1977, 10h25

Jean-Jacques,

Que tu aies décidé de me tromper à tour de bras pour te venger de ma petite escapade avec Hubert, je le conçois. Mais tu aurais pu choisir autre chose que la femme de ménage tunisienne qui officie dans nos bureaux. Son insolence m'insupporte davantage que son indolence.

A.

 

10 Septembre 1977, 10h30

Le saumon revient frayer à sa source : à toi les aristos, à moi la populace. Tu n’imagines pas le bien que ça fait de baiser avec entrain. Ça change de ton ventre froid comme une pierre tombale.

JJ

 

10 Septembre 1977, 11h30

Chéri,

Je viens d’avoir Hubert au téléphone. Il m’invite à passer une nuit de folie à Paris ce week-end. J’ai aussitôt accepté, tu penses bien. Il te donne le bonjour.

Angélique

 

10 Septembre 1977, 11h37

Je demande le divorce !

JJ

 

10 Septembre 1977, 11h54

Jamais !
Être la maîtresse d’Hubert me va très bien. Même s’il faisait la folie de divorcer pour moi, quel intérêt aurais-je à transformer un amant pétulant en mari ventripotent ? Je préfère que tu sauves les apparences et que tu gardes la maison pendant mes frasques parisiennes.

A.

À suivre...

06:20 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : post-it

05 mai 2008

La nuit démasque (4)

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    Instinctivement, il se massa les couilles à travers le pantalon de son costume tout en regardant une jeune coquine au corps de liane. Sur un lit de fortune, tout juste couverte par un déshabillé de dentelles rouges, elle goûtait l’imposante queue d’un hidalgo passablement excité, tandis qu’un marquis avide étanchait sa soif entre les cuisses de la jeune fille gracile. Survolté comme il l’était, on l’entendait grogner de plaisir tandis qu’il enfonçait sa langue inquisitrice.

Lire la suite...

04 mai 2008

Post-it (7)

11 Juillet 1977, 17h25

Chéri,

Tu ne devineras jamais qui emprunte Venus Erotica. Hubert ! Ce brave Hubert de Chevilly ! Il est de retour de Floride, bronzé comme une biscotte. Pense à prendre le pain ce soir, Il m’invite à boire un verre à la fermeture de la bibliothèque.

Angélique

 

11 Juillet 1977, 17h30

OK, tu décolleras les pages en pensant à moi. Tu ne veux pas que je prépare l’Amant de Duras pendant que j’y suis ?

JJ

 

12 Juillet 1977, 10h30

Angélique,

Tu n’es pas rentrée de la nuit. J’exige une explication.

JJ.

 

12 Juillet 1977, 10h35

J’étais aux champignons.

A.

À suivre...

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03 mai 2008

Post-it (6)

13 Janvier 1973, 9h25

Ma chérie,

J’espère que tu vas bien, enfin, aussi bien que possible. Ne force pas trop, tout le monde sait que la reprise est difficile dans ces conditions.
Je t’aime,

Jean-Jacques

 

13 Janvier 1973, 11h35

Chéri,

Henri-Pierre - je peux l’appeler Henri-Pierre n’est-ce pas, puisque c’était un garçon - me manque horriblement. Ce matin, j’ai un peu appuyé sur mon ventre comme si j’allais encore sentir ses coups de pied à l’intérieur. J’aimerais avoir un autre enfant…

Angélique

 

13 Janvier 1973, 11h45

Angélique,

Tout cela me semble un peu prématuré. Tout a été tellement précipité l’année dernière. J’aimerais un peu profiter de toi, de nous.

Jean-Jacques

 

13 Janvier 1973, 11h55

Prématuré… précipité… C’est le cas de le dire.
Merci pour ta compréhension,

A.

À suivre...

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02 mai 2008

Post-it (5)

03 Septembre 1972, 9h05

Angie,

J’ai oublié de te dire, mon frère à des prix au VVF de Contrexéville. Qu’en penses-tu, pour le voyage de noces ?

Jean-Jacques

 

03 Septembre 1972, 11h05

Jacky,

Ça te plait, Jacky ? Ça fait assez prolétaire pour toi ? Quant au VVF, « même pas en rêve » comme on dit dans ton milieu.

A.

 

03 Septembre 1972, 11h15

Madame Courteneau,

Il va falloir vous faire à votre nouveau patronyme : je ne m’appelle pas Hubert de Chevilly prout prout. Quant au voyage de noces, ce sera une croisière en barque sur le lac d’Annecy, le fils de prolétaire n’a pas les moyens de vous payer le Nil.

JJ

À suivre...

06:45 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : Post-it

01 mai 2008

Post-it (4)

03 Juillet 1972, 9h05

Jean-Jacques, mon amour,

J’ai bien réfléchi, je suis prête à tout pour vivre avec toi. Régularisons la situation au plus vite. Es-tu toujours prêt à m’épouser ?

Angélique

 

03 Juillet 1972, 9h10

Amour de ma vie,

C’est le soleil qui vient de prendre la navette pour descendre jusqu’à moi ! J’exulte de joie ! Pour le mariage comme pour le reste, c’est où tu veux, quand tu veux...
Et ta garden partie ?

Jean-Jacques

 

03 Juillet 1972, 9h15

Horrible.
Pour le mariage, le plus tôt sera le mieux. En toute discrétion.

A.

À suivre...

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30 avril 2008

Post-it (3)

22 Juin 1972, 8h35

Jean-Jacques,

On nous a vus dans la forêt du Grand Roc, depuis la route du Semnoz. Mon fiancé est au courant. Il veut des explications. Je suis perdue !

Angélique

 

24 Juin 1972, 8h45

Mon amour,

Je n’aurai pas l’hypocrisie d’en être désolé. Comment pourrais-je regretter nos étreintes ! Dieu que tes lèvres furent douces sur les miennes, et ta chatte fondante sur ma langue. Rien qu’à t’imaginer penchée en avant, mon nez planté aux tréfonds de ta croupe ouverte, j’ai soif de toi ! Quand le vin est tiré, il faut le boire ! Vivons au grand jour notre passion ! 

Jean-Jacques

 

24 Juin 1972, 9h00

Tu n’es qu’un égoïste ! On voit que ce n’est pas de toi dont on va persifler à la garden partie du domaine de Chevilly. Hubert et moi devions décider de la date du mariage… Qu’est-ce que je vais lui dire pour arranger la situation ?

A.

 

24 Juin 1972, 9h05

Que tu étais aux champignons !

JJ

 

24 Juin 1972, 16h05

Jean-Jacques,

Je n’en reviens pas. Hubert a gobé les champignons. À propos, je crois bien que j’en ai attrapés. Ce n’est pourtant pas la saison… ça me démange de te revoir, mon grand fou. T’es pas fâché, dis ?

Angélique

À suivre...

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29 avril 2008

Post-it (2)

24 Mai 1972, 16h35

Grand fou,

Il a suffit qu’un vieux pervers syphilitique me demande Vénus Erotica, pour que tu en profites pour encoller les pages les plus licencieuses. J’en ai plein les doigts. Ce n’est pas sérieux. Par pitié pour les archives otages de ta lubricité, j’accède à tes desiderata : ma petite culotte est dans l’enveloppe ci-jointe. Alors je t’en prie, aie pitié de Marguerite Duras, c’est pour madame Dupré.

Angélique

 

24 Mai 1972, 17h15

Mon ange,

Jamais je n’ai éprouvé une telle émotion à décacheter une enveloppe municipale. À peine avais-je extrait ta lingerie fine que je l’ai snifée comme une ligne de coke. Me voilà Angélicomane, accro au parfum de ta mouille que j’ai cru déceler aux confins de la dentelle. Voici un exemplaire illustré de Justine pour te donner une idée de mon érection, avant que j’aie répandu mon foutre au fond de ta culotte. Je rêve que tu la portes, que nos nectars se mélangent tout contre ta vulve… 

Jean-Jacques

 

24 Mai 1972, 17h42

Jean-Jacques,

Je reviens des toilettes. J’ai remis ma culotte pleine de ton sperme frais. Il était froid mais il sentait bon. Je l’ai réchauffé contre ma chatte bouillante. C’est malin, j’ai peur de me lever de mon siège maintenant, et qu’on remarque les tâches. C’est la dernière fois que je consens à ces cochonneries pour te faire plaisir. Et je t’en prie, ne t’avise pas de me suivre dans la rue avec tes yeux exorbités, ça fait jaser tout le quartier.

Angélique

PS: Je t’avais demandé L’amant de Marguerite Duras, pas Justine de Sade ! Tant pis, le clitoris de Madame Dupré devra patienter jusqu'à demain.

 

25 Mai 1972, 9h10

Ange de mes nuits, démon de mes jours,

Hier soir, j’ai attendu que tout le monde soit parti pour remonter des archives et sniffer ton siège. Ça sentait bon la salope et j’aime ça ! Je suis raide dingue Angélique, raide pour toi et dingue de toi. Quand accepteras-tu enfin de me voir, ne serait-ce que pour boire un verre ?

Jean-Jacques

 

25 Mai 1972, 9h25

Jean-Jacques,

Tu sais très bien que ce que tu me demandes est impossible. N’oublie pas que je suis fiancée ! Voilà mon soutien-gorge dans la grande enveloppe. C’est bien parce que c’est toi.

Angélique

À suivre...

06:15 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Post-it

28 avril 2008

La nuit démasque (3)

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    Alexandre ne refoule pas l’idée que Daniel touche Aurore. Sa langue glisse sur ses lèvres, intimes. Daniel la lèche plus qu’il ne l’embrasse. Sa langue coule dans la fente ruisselante aux replis de nacre pourpre. Aurore gémit, elle dit « non » tout doucement, elle dit « c’est mal », accentuant le ‘a’ trop grave pour être honnête. Alexandre la rassure, susurre des mots sirupeux : parenthèse, plaisir, ouverture. Il lui donne les excuses qu’elle attend autant que de la verge raide dans sa croupe fendue. Pousser par derrière tandis que Daniel lèche par devant, dedans et aux abords, farfouille dans toutes les encoignures, engloutis des flots de cyprine et une couille de temps en temps. Déraper dans la mollesse du cul qui s’encastre comme sur un platane. S’arrêter de pousser pour essayer de sentir les froncements de l’œillet sur le gland. Reprendre. S’enfoncer millimètre par millimètre. Enculer Aurore en lui disant combien il l’aime…

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27 avril 2008

Post-it (1)

    « Avez-vous rempli correctement la fiche avec la cote de l'ouvrage afin que nous puissions la faire parvenir aux archives dans les meilleurs délais ? »

    Madame Courteneau, bibliothécaire à Annecy depuis 1972, répétait la même question une centaine de fois par jour depuis 36 ans. Pourtant, que la fiche ait été dûment remplie ou pas, Madame Courteneau l’accompagnait toujours d’un post-it, rédigé de son écriture rêche et nerveuse, en parfaite harmonie avec son caractère acariâtre et sa physionomie à la raideur militaire. Elle glissait ensuite la fiche dans la navette, une sorte de petit ascenseur qui descendait jusqu’aux archives souterraines. Les mystérieuses entrailles de la bibliothèque savoyarde finissaient toujours par régurgiter l’ouvrage demandé, mais après une interminable digestion digne d’une fondue sans vin blanc. Madame Courteneau ouvrait alors le livre, prenait la fiche et en décollait le post-it qu’elle lisait rapidement. La plupart du temps, elle le froissait aussitôt et le jetait à la corbeille d’un petit geste sec, mais elle le collait parfois dans un dossier, à l’abri d’éventuels regards indiscrets, et elle appelait enfin le lecteur assoupi. Les délais d’attente étaient tels qu’ils étaient devenus légendaires, au point de susciter à certains lecteurs imaginatifs les plus folles explications. Toutes ces hypothèses farfelues étaient pourtant bien en deçà de l’incroyable vérité.

    Tout le monde fut surpris d’apprendre que Madame Courteneau avait pris sa retraite anticipée juste après le décès de son époux. Contre toute attente, elle avait bazardé son appartement au centre d’Annecy pour partir en catimini au fin fond de la Bretagne, bien qu’elle n’y connût personne. Une longue page de bons et loyaux services municipaux venait d’être tournée sans qu’on ne verse une larme de champagne. Madame Courteneau fût prestement remplacée avec d’autant plus d’entrain qu’avec la nouvelle bibliothécaire, les délais d’attente furent aussitôt divisés de moitié. La jeune femme s’en excusait pourtant, car ils demeuraient bien trop longs selon les normes en vigueur, à cause des fiches archaïques et du classement des archives en dépit du bon sens. Il était temps d’informatiser tout ça, et surtout de commander de nouveaux rayonnages pour mettre un peu d’ordre dans les archives étrangement exiguës où s’empilaient les livres en stalagmites branlantes. C’est au cours des travaux d’aménagement des archives qu’on découvrit le pot au rose : en poussant une vieille étagère bancale, elle pivota sur elle-même et s’ouvrit sur de vastes archives secrètes, composées de dossiers impeccablement classés par ordre chronologique jusqu’en 1972. Dans ces dossiers, des post-it, plus d’un million de post-it collés à la suite !

    Leur contenu était tel que la nouvelle bibliothécaire, aussi soucieuse d’épargner la vie privée de son prédécesseur que la réputation de son établissement, décida de détruire aussitôt ces dossiers compromettants. Elle eut cependant le tort de déléguer cette tâche ingrate à un employé qui trouva là l’occasion de se venger de la vieille acariâtre. La majeure partie des post-it finit par atterrir sur le bureau du rédacteur en chef de la feuille de chou locale, bien content d’avoir quelque chose de croustillant à publier. Affairiste avisé aux prétentions littéraires contrariées, l’opportuniste comprit aussitôt que l’heure de sa gloriole était venue. Il écrivit lui-même une série d’articles sulfureux pour faire enfler la rumeur et préparer la publication des archives secrètes, sous la forme d’un roman à son nom afin d’éviter d’éventuelles poursuites judiciaires. La fiction a tous les droits, et toute ressemblance etc... De toutes façons, la veille Courteneau, percluse de honte et de rhumatismes, n’eut même pas la force de retenir ses larmes en relisant sa vie massicotée en 300 pages. Le roman « épostitaire » commençait le 17 Avril 1972…


17 Avril 1972, 8h15

Mademoiselle de Montmorency,

Sans doute trouverez-vous ce message étrange, sûrement déplacé, peut-être ridicule, mais depuis que j’ai entendu votre voix, je n’ai de cesse de penser à vous. Tout seul au fond de mes archives, je ne vis que pour ces rares moments où je vous entends prononcer le mot « correctement », le seul à parvenir distinctement au travers du puits de la navette jusqu’au fond de mes enfers où je brûle de vous connaître, passant le plus clair de mes sombres journées la tête dans le puits et l’oreille aux aguets…

Dans l’attente d’entendre à nouveau votre voix angélique,

Jean-Jacques Courteneau.

 

17 Avril 1972, 8h22

Mademoiselle de Montmorency,

Je viens d’entendre votre rire cristallin résonner jusqu’à moi. Si je n’avais su qu’il sonnait à mes dépends, il aurait été le soleil de ma journée. Il sera la lune noire de ma nuit.

Courteneau

 

17 Avril 1972, 17h37

Monsieur Courteneau,

Avant de prendre ce premier poste à la bibliothèque d’Annecy, je n’aurais jamais imaginé que les fiches de cotes puissent être l’objet d’une correspondance personnelle. Je vous prie de croire que mon rire n’était que l’expression de ma surprise. Que votre nuit soit étoilée.

Angélique de Montmorency

 

18 Avril 1972, 8h15

Angélique,

Grâce à vous ma nuit a brillé de mille feux : une véritable voie lactée répandue entre mes draps, toute luisante à la lumière des espoirs que vous avez fait naître en moi.
Dans l’attente de vous lire et de vous entendre,

Jean-Jacques

 

18 Avril 1972, 8h35

Monsieur Courteneau,

Il en faut bien peu pour vous enflammer ! Après tout, nous n’avons pas été présentés et vous ne savez rien de moi. Peut-être suis-je affublée d’un abominable strabisme, et qui me dit que vous n’avez pas une jambe de bois bien sec pour brûler si facilement ?

Angélique de Montmorency

 

18 Avril 1972,  8h52

Mademoiselle de Montmorency,

Je vous prie de pardonner mon imagination galopante. Je plaide coupable mais j’ai les circonstances atténuantes de mon métier, qui m’ouvre l’esprit au plus romanesque autant qu’il m’enferme dans le plus âpre célibat.
Je vous assure que seul mon troisième jambage est dur comme du bois, mais je vous prie de croire qu’il ne manque pas de sève.

Jean-Jacques Courteneau

À suivre...

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Si vous voulez lire plein d’autres histoires sur la bibliothèque d’Annecy, Madame Courteneau et l’archiviste, vous en trouverez chez Monsieurmonsieur, STV, Le roi Ubu, Ardalia, Sandrine et Tiphaine.

Et si vous vous demandez encore pourquoi, sachez juste que c’est la faute à Melle Bille !

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21 avril 2008

La nuit démasque (2)

c8c7d8772c370a77fe486bdd2c4a5b84.jpg    Alexandre s’était attendu à voir un lieu de ténèbres et d’obscurité ; mais il fut surpris d’en voir un bien éclairé, d’un seul tenant et sans colonne, dont les murs peints d’une couleur blanc crème donnaient une atmosphère apaisante typique à l’esthétique palladienne. Les fenêtres en demi-lune, le long du bord du plafond, dispensaient un flot de lumière propre à flatter les tableaux qui y étaient accrochés. Les yeux d’Alexandre ne furent malheureusement pas captivés par la vue d’Aurore, mais par une toile inquiétante de Giambattista Tiepolo : le martyre de St Bartholomé, dans laquelle l’énorme couteau de l’exécuteur forme un contraste dramatique avec la pâle chair vulnérable de la victime. Alexandre courut hors de l’église avant même que de sinistres pensées ne soient parvenues à sa conscience.

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14 avril 2008

La nuit démasque (1)

1ba7119075da1900ab16c67c96d29a1a.jpg    Son visage de pâtre grec encadré de boucles brunes respire la sérénité de l’atmosphère douce et feutrée. Son bras droit, replié au dessus de sa tête, se perd dans la mollesse des coussins à franges. Le gauche sort timidement de sous les draps. Il se tend lentement vers la droite dans un mouvement imperceptible. Son index qui semble glisser langoureusement entre les étoffes soyeuses évoquerait presque celui de l’Homme au plafond de la chapelle sixtine. Sauf que lui ne rencontre rien. Le vide. L’absence. Ni Dieu ni femme.

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20 mars 2008

Sex-Toy Story

Mon histoire sur Pinkeo: Sex-Toy StoryJe participe à un petit concours "littéraire" organisé par Pinkeo, dont le thème est : Une journée dans la peau d’un sex toy. J’en ai profité pour reprendre un ancien texte inédit sur ce blog, et je vous invite à lire ma note du jour ici.

Ce concours est ouvert jusqu’au 15 Avril, avec 4 godes à gagner (au total, hein, par pour la même personne parce qu’il ne faut pas être trop gourmande non plus, un peu de tempérance bon sang !) N’hésitez donc pas à y aller de votre petit délire, plus on est de fous, plus on ri !

15 mars 2008

Short story

À vendre : chaussures bébé, jamais portées.

Faut pas trop lui en vouloir, il n’avait jamais lu Hemingway. En vérité, il n’avait jamais rien lu d’autre que l’Equipe, alors il n’a pas compris pourquoi on le traitait de plagiaire quand il a publié cette annonce sur ebay. Comme si être un père indigne ne suffisait pas. C’est ce que sa femme lui avait jeté à la gueule quand il avait voulu vendre les chaussures. Ex père aurait été plus juste mais il lui avait semblé inutile d’apporter cette précision. Cela n’aurait fait qu’envenimer les choses. Il reçut tout de même une offre acceptable, payée d’avance. Il profita que sa femme était partie pleurnicher chez sa mère pour envoyer le petit paquet par la poste. La jeune maman célibataire lui envoya un gentil mot pour le remercier, avec une photo de son marmot. Cela ne lui sembla pas bien malin, et c’était d’autant plus attendrissant. Il ne révisa jamais ce jugement. L’intelligence n’était pas ce qu’il estimait le plus. Surtout chez les femmes. Six mois plus tard, tout allait beaucoup mieux, pour lui. Il publia une nouvelle annonce sur ebay :

À vendre : alliance cause double emploi.

12 mars 2008

Suggestions et stéganographie érotiques

    Le docteur Cénas jouissait d’une notoriété départementale. On peut même affirmer qu’il était une véritable célébrité communale, et à ce titre le convive le plus en vue aux dîners mondains du sous-préfet. C’était en ces mémorables occasions que le pétulant docteur Cénas donnait toute la mesure de sa Science, dont les traitements de chocs si imaginatifs étaient illustrés d’anecdotes croustillantes qui n’épargnaient que les convives présents. Tenu au secret médical, il ne révélait pas les noms de ses patients, mais il n’était pas nécessaire de s’appeler Sherlock Holmes pour deviner quelle comtesse avait été guérie de sa constipation légendaire grâce à des lavements au bicarbonate de soude. Il y avait toutefois un cas qu’il ne mentionnait jamais, bien qu’il le préoccupât constamment, celui de Madame Auber, épouse de Monsieur Auber, pharmacien à Saint-Victor-sur-Loire.

    Lorsque Monsieur Auber fit appel au docteur Cénas, c’est parce que ce médecin était assez proche pour que sa brillante réputation lui parvînt, et assez éloigné pour qu’on ne jasât pas plus qu’on ne le faisait déjà. L’affaire était délicate, et Monsieur Auber ne savait plus par quel bout la prendre : menaces, injonctions, douches glacées, bromure et narcotiques réunis, le pharmacien avait tout essayé pour tenter de guérir son épouse, rien n’y faisait, elle demeurait insatiable. S’il ne l’avait pas aimée, l’affaire aurait été vite réglée et le divorce prononcé aux torts de la nymphomane. Mais voilà, non seulement il n’avait jamais eu la preuve qu’elle l’eût trompé, et quand bien même eût il su une telle infidélité, il l’aurait bien pardonnée tant que tous ne la sussent pas. Car Monsieur Auber avait fait un mariage d’amour maquillé en mariage de raison.

    Issu de la petite bourgeoisie Stéphanoise, Monsieur Auber venait d’ouvrir une modeste officine lorsqu’on lui avait présenté Mademoiselle Clémence de St Hilaire, un parti plus beau qu’il ne pouvait en espérer. Non seulement cette fille unique était issue d’une vieille et riche famille de propriétaires terriens, mais elle avait reçu la meilleure éducation dans un strict pensionnat catholique et surtout, elle était d’une grande beauté. Lui n’était pas laid, mais il était si gourmand que l’embonpoint avait fini par déformer ses traits.
    La première fois qu’il vît Mademoiselle de St Hilaire, il fut bien sur frappé par sa carnation pâle, ses traits de porcelaine, ses cheveux de jais ramassés en un chignon délicat qui mettait en valeur la finesse de sa nuque, et toute la noblesse de son allure. Mais il fut littéralement envoûté par ses grands yeux tristes, d’un noir profond, qui brillaient néanmoins d’un éclat fascinant. Quelques semaines plus tard, les noces étaient expédiées. Il en gardait un souvenir ému, non pas pour les sobres festivités mais pour la nuit nuptiale.

    Contre toute attente, ses rares expériences préalables et tarifées lui apparurent incomparablement plus fades que les transports trépidants de sa nuit de noce, au cours de laquelle son épouse montra un goût prononcé pour les mots autant que pour la chose. L’éventail de son champ lexical était aussi large que celui des pratiques auxquelles elle se livra, ainsi que les voies pour mener à bien ses aspirations sensuelles désormais légitimes. Le moraliste arguerait sans doute qu’elles étaient bien au-delà du devoir conjugal, fût-il accompli avec tout le zèle qu’autorisent les saints sacrements du mariage, mais le jeune pharmacien n’était pas fâché que son épouse ne lui refusât rien qu’il pût imaginer. Enivré de désirs, il but le nectar de leur union au calice de son égérie, jusqu’à la lie. Six mois plus tard naquit un robuste petit garçon.

    En pénétrant dans la pénombre de la chambre à coucher des Auber, dont les volets étaient clos et la porte fermée à clef, le docteur Cénas s’attendait à trouver une jeune mère neurasthénique. Madame Auber gisait dans son lit, à peine recouverte d’une chemise de nuit défaite qui s’ouvrait sur sa gorge haletante. Le drap repoussé dévoilait ses jambes jusqu’aux cuisses frémissantes, dont la peau glabre semblait luire d’une mauvaise fièvre.
    Lorsqu’il s’assit au chevet de la malheureuse, celle-ci tourna vers lui un visage si pâle, aux yeux charbonneux si luisants, un visage si touchant en vérité que le docteur en fut tout ému. D’une main fébrile mais étonnement forte, elle saisit le poignet du docteur en le suppliant de la soulager du feu qui la consumait de l’intérieur, qui n’avait de cesse de la tourmenter, elle et son brave époux épuisé, et tout en disant cela, elle attirait vers elle le bon docteur pour qu’il l’examinât en profondeur. Il interrogea du regard le pharmacien abattu au pied du lit, fit mettre un peu de lumière et il palpa tant et si bien sa patiente gémissante qu’elle se répandit en chaleureuses effusions.
    Malheureusement, son soulagement fut de courte durée, et le docteur s’était à peine rhabillé que la pauvre femme était prise de nouveaux tremblements sous le regard accablé de son mari. Le docteur Cénas tenta alors de masquer son impuissance à combler de telles attentes avec un lieu commun énoncé sur un ton docte : « Il faut combattre le mal par le mal ». « Oui, le mâle ! » renchérit Madame Auber avec un tel accent de sincérité que le docteur Cénas ne trouva pas l’idée si mauvaise. Il s’en félicita même, tandis qu’un nom lui venait à l’esprit : Paul Duboeuf, dit Paulo le Boucher.
    « Il va falloir être courageux » dit le docteur Cénas plein de compassion envers le pharmacien amaigri par les soucis et les efforts déjà fournis.

    Les doigts des bouchers ont parfois une certaine ressemblance avec les saucisses qu’ils manipulent. Cylindriques, les phalanges à peine marquées, les ongles engoncés dans une chair exubérante, chacun des doigts de Paul Duboeuf ressemblait déjà à une saucisse de Francfort. Mais Paulo le Boucher poussait le zèle jusqu’à incarner tout son fond de commerce : des cuisses épaisses comme des jambons de Bayonne, un poitrail de bœuf, une encolure de taureau, et une tête de veau où roulaient ses gros yeux humides au regard bovin. S'il eût pu inscrire sa colossale carcasse au concours agricole, il aurait remporté le premier prix dans toutes les catégories.
    Le docteur Cénas avait rencontré ce phénomène au début de sa carrière, quand il faisait ses premières armes en tant que médecin militaire. Le colosse avait été mis au trou pour avoir littéralement démonté toutes les filles à soldat qui avaient eu le malheur de croiser sa route. L’expertise médicale du docteur Cénas avait été déterminante pour sortir Paulo de ce mauvais pas : non seulement le pauvre garçon soufrait de priapisme, mais la nature facétieuse l’avait pourvu d’un organe calibré comme un saucisson à l’ail, dont le fougueux jeune homme ne savait tempérer les ardeurs.
    Afin de s’amender lorsqu’il eut repris la boucherie de son père à Besançon, Paulo s’était lancé dans la fabrication des préservatifs en boyau d’ovins au profit de la maison close locale. Il avait fini par en épouser la tenancière, une veuve qui en avait vu d’autres, et qui avait aussi vu l’intérêt qu’elle pouvait tirer de cette union : elle organisait de célèbres bacchanales estivales dans le jardin de son établissement, dont Paulo pouvait assurer l’approvisionnement.
    Fidèle en amitié, Paul Duboeuf se sentait encore redevable envers le docteur Cénas. Ce n’est pourtant pas la seule raison qui poussa les Duboeuf à accepter sa curieuse proposition.

recto...    Quelques jours plus tard, les Auber étaient plongés en pleine cure de chair : pendant que Madame était livrée aux mains du boucher, Monsieur était aux bons soins de la tenancière. Bienheureuse de ne pas avoir à endurer quotidiennement son char d’assaut de mari, Madame Duboeuf avait tout le loisir de s’adonner sans retenue à son péché mignon : la cuisine. Attablé du matin au soir en attendant les rares apparitions de son épouse, le pharmacien devait affronter les extravagances culinaires de son hôtesse.

    Rien que le petit déjeuner aurait rassasié un ogre: de la chiffonnade de jambon, des dentelles de gruyère, du lait frais à peine jaillit de la mamelle, l’orange aussitôt pressée, du rocamadour moulé à pleines mains ainsi que les miches de pain encore chaudes. Cela ne marquait que le début des hostilités, car pendant qu’il croquait tout cela avec un certain plaisir, surtout pour le croissant, elle lui préparait des œufs qu’elle saisissait à feux vif, ou plus délicatement : ses fameux œufs mollets aux lardons, avec lesquels il pouvait faire une mouillette à la confiture en attendant que la saucisse soit cuite à point. Car à peine avait-il terminé qu’elle préparait déjà la table pour midi. Lorsqu’elle était bien dressée, elle retournait en cuisine tandis qu’il se suçait encore le bout des doigts, salivant malgré lui pendant qu’elle chantonnait à la simple évocation du plaisir qu’elle allait prendre à tout lui faire engouffrer !

    Dès qu’il était midi, le déjeuner était prêt, et il était temps de passer aux choses sérieuses : après les petites bouchées financières et autres mignardises, crevettes au beurre, turbot sauce mousseline… peu à peu, Auber sentait qu’il s’enfonçait lentement, entre les cuisses de cailles à l’orange et les huîtres ouvertes, comme dans une douce béatitude, en remplissant la béance de son gosier extatique. Cela n’était pourtant que le coup d’envoi de va-et-vient effrénés entre la salle à manger et la cuisine, véritable marathon gastronomique qui se poursuivait tout au long de l’après-midi. Il ne cessait que pour dilater son estomac à l’occasion d’un petit trou normand, dans le seul but de mieux le lui remplir par la suite.

    Le soir venu, les filles sortaient de leur tanière avec l’arrivée des clients réguliers, ou d’autres hommes. Madame Duboeuf, même si elle était abondamment sollicitée, ne délaissait pas sa cuisine pour autant: pintade sautée au fenouil sur canapé, truite saumonée arrosée de chablis, consommé de crème d’asperge entre autres plats jaillissaient de ses fourneaux, sans qu’elle ne ressente rien d’autre qu’une folle allégresse à faire la cuisine comme son époux à faire l’amour. Auber, en revanche, était au bord du renvoi tant il l’avait avalée, cette cuisine  pantagruélique, de la poularde fourrée jusqu’à la crème de marron à la moelle. Parfois, une des filles venait lui tenir compagnie tandis qu’il s’attaquait aux desserts, Saraudin de fraises glacées ou pièce montée mousseline bourguignonne, et qui l’achevait d’une langue de chat.

verso    Après trois semaines de ce régime, les Auber prirent congé, définitivement guéris de leur penchant : ils avaient atteint l’indigestion escomptée.

 

 

 

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Cette nouvelle est ma réponse au défi lancé par le Cartophile : écrire une nouvelle inspirée par la carte postale qui illustre cette note. Je m’en suis imposé un autre : écrire un texte dont l’érotisme n’est que suggéré, voire même caché.

Je vous invite à lire les autres histoires à partir de là…

Toutes les histoires de la carte 22


 

28 février 2008

J’avoue tout !

    Chaque matin, je me lève à 5:55. J’aime ouvrir les yeux sur une belle symétrie, même si je déplore les deux points entre les deux premiers chiffres sur mon réveil matin. On pourrait sans doute me reprocher de ne pas le programmer pour 6 heures pile, mais un peu de fantaisie ne nuit pas n’est-ce pas ? Je commence par me laver les mains avant d’aller aux toilettes à 5:56. J’en sors à 5:59. Après m’être lavé les mains, je rentre dans la cuisine à 6:00, heure à laquelle le second radio réveil déclenche le flot des informations.

    Je n’ai qu’à tourner le bouton de ma gazinière pour chauffer la casserole de 35 cl d’eau minérale. Elle est assez chaude à 6:02. Après m’être lavé les mains, je n’ai qu’à la verser dans ma tasse pour dissoudre le sucre et la cuillérée de café instantané, puisque tout a été préparé la veille.

    Une double angoisse m’étreint au moment de beurrer mes biscottes. D’une part, je ne suis jamais certain que les biscottes vont toutes résister à la pression du couteau, même si j’ai toujours pris soin de sortir le beurrier du frigo depuis la veille. D’autre part, le nombre de victimes du dernier attentat en Irak pourrait être impair, ce qui est un mauvais présage. J’ai remarqué qu’une biscotte sur quatre se brise inopinément malgré tous mes efforts. Puisque j’en mange quatre, la probabilité qu’aucune ne se brise n’est que de 81/256 exactement, à multiplier par celle d’un nombre de victime pair qui est légèrement supérieure à ½ car il n’y a pas d’attentat en Irak tous les jours, de sorte que je suis angoissé environ 5 jours sur 6. Mes collègues ne me pardonnent pas ce léger manque de précision. Ils en profitent pour dire que je suis lunatique, que mon humeur dépend du pied avec lequel je me suis levé. Vous comprenez que ces allégations sont fausses et que mes craintes sont parfaitement fondées : Le temps de me laver les mains, de nettoyer ma tasse et mon couteau, de ranger la casserole et le beurre, traquer les miettes des biscottes me fait perdre de précieuses secondes, ce qui pourrait me faire entrer dans la salle de bain après 6:10.

    Car à partir de là, je n’ai plus une seconde à perdre, tout est chronométré : je fais couler l’eau de la douche préréglée à la bonne température tandis que je me rince la bouche avec une solution antiseptique; je me lave la tête avec du shampoing antipelliculaire ; je me savonne scrupuleusement le corps avec un savon surgras tandis que le shampoing fait effet ; je me rince les cheveux ; je me sèche avant de sortir de la douche ; je rince la douche ; j’étale la crème à raser sur mon visage légèrement humide ; je me rase précautionneusement ; je me lave les mains ; j’applique un baume après rasage sans alcool ; je me taille les poils des narines avec une tondeuse spécialement conçue à cet effet ; je m’épile les oreilles à la pince; je me lave les dents à la brosse électrique ; je me lave les mains ; je me sèche les cheveux au séchoir avec une brosse à brushing ; je passe l’aspirateur et je me lave les mains. Je dois être sorti de la salle de bain à 7:00 dernier carat.

    Je suis maintenant dans la dernière ligne droite : Il me reste à faire mon lit au carré – sans doute une manie contractée durant mon service militaire. Et puis mettre ma chemise blanche repassée la veille : elle m’attend au garde à vous sur son cintre ainsi que mon costume. Alors arrive l’instant le plus délicat: nouer ma cravate.

410ed32280fdef85f4711e436edaa162.jpg    J’ai la marotte des cravates à motifs, de préférence géométriques, très souvent à rayures, et je dois donc ajuster le raccord au niveau du nœud. Un peu comme les raccords de papier peint, si vous voyez ce que je veux dire. Bien sûr, je pourrais tricher, serrer plus ou moins au niveau du cou de sorte que les rayures du nœud s’ajustent parfaitement aux rayures de la cravate. Mais alors la cravate flotterait autour du col de ma chemise, ce qui est inacceptable. Il me faut au contraire jouer sur la longueur de la cravate, au millimètre près, pour que tout soit parfaitement ajusté, et donc tout recommencer en cas d’échec. Chaque matin, j’ai droit à trois essais. Si je n’y parviens pas, je dois me résoudre à porter ma cravate grise unie, la cravate des très mauvais jours car avec l’entraînement et certains repères qu’il serait trop long de vous expliquer, je réussis souvent premier coup. Je sais bien que mon nœud ne va pas cesser de se relâcher au cours de la journée, mais je pourrai réajuster le raccord de ma cravate devant le lavabo des toilettes de ma société à chaque fois que je me laverai les mains.

    Je me lave les mains, j’enfile mes gants de cuir, j’attrape mon fidèle attaché case qui m’attend devant la porte et je la claque à 7:15. Je dévale la première volée de marches qui mènent à l’ascenseur, et je les remonte aussitôt quatre à quatre. Je dois bien sûr vérifier que toutes les serrures de la porte ont bien été fermées à double tour, ce qui m’oblige à ouvrir à nouveau la porte. J’en profite pour me déchausser, pour aller jusqu’à la cuisine afin de vérifier que le gaz a bien été fermé, et parcourir de fond en comble mon studio où je vis seul depuis que ma femme m’a quitté pour être tout à fait certain qu’aucune lampe n’est restée allumée. Tout cela demande une très grande concentration, car je dois être vraiment sûr que tout est bien contrôlé. Autrement je serais bien obligé de tout recommencer. Par conséquent, il me faut aussi contrôler ma concentration tout au long du processus qui doit me mener de chez moi jusqu’au pied de l’immeuble. Heureusement, j’ai trouvé une méthode infaillible : dès que je suis à nouveau sur le pallier, à 7:20 au plus tard, je descends chaque marche des escaliers en les comptant à voix basse. J’habite au troisième, il y a deux volées de 9 marches à chaque étage, ce qui nous donne 55 marches en comptant celle au pied de l’immeuble.

    Ce matin, tout allait de travers : 37 morts en Irak, 2 biscottes cassées et je portais ma cravate grise. J’ai croisé madame Dupré à 7:21 à la trente septième marche. Un signe du destin ; elle venait de sortir son caniche qui m’a reniflé le bas du pantalon en remuant la queue ; je ne me souviens plus très bien de ce qu’elle m’a dit, elle pleurnichait en s’excusant du dérangement à cause des obsèques de son mari, mais moi j’étais déjà en retard, je l’ai un peu bousculée pour passer mais je me suis pris les pieds dans la laisse du chien et j’ai perdu l’équilibre et le compte des marches il fallait tout recommencer tout et j’allais être en retard à mon poste pour la première fois en vingt ans de carrière c’est pour ça que je l’ai tuée monsieur le commissaire il faut que je me lave les mains je vous en prie !

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    J’ai inventé de toutes pièces cette petite histoire en réponse à la requête de Bric à Brac pour me faire avouer 5 manies. La voilà bien servie, tout comme je m’étais inventé des péchés de jeunesse lorsqu’on m’avait demandé 7 aveux inavouables. Et il faudrait en plus que je recopie les règles de ce courrier en chaîne en désignant d’autres victimes ? Sachez, ami tagueur, que toute requête de ce type ne sera pour moi qu’un sujet de fiction.

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