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04 avril 2014

L’attribut du sujet - 2

Si je suis bien le serviteur, je suis en réalité vêtu de la tête aux pieds, et non pas nu comme je l’avais imaginé dans mon récit imaginaire. En revanche, l’excitation qui s’est emparée « du personnel » à l’arrivée des invités était au-delà de ce que j’avais suggéré.

« Les premiers invités arrivent ! Tout le monde en place ! » s’était écrié C*** dans le salon. J’ai abandonné un instant mes huitres pour écarter le rideau qui occultait nos préparatifs en cuisine. Au salon, chacun ajustait son masque, prenait une pose étudiée, et retenait son souffle. La tension était aussi forte pour les complices en coulisse que pour les convives dans l’expectative. A peine avais-je eu le temps de retourner m’escrimer contre les huitres, que C*** écartait le rideau de la cuisine en brandissant une bouteille de champagne à mettre au frais. « Ils sont arrivés ! Tenez-vous prêts » nous avait-il chuchotés. Il prit une longue inspiration et entra en scène comme on se jette dans l’arène.

Entre deux divins préparatifs réalisés grâce à l’adresse diabolique d’une succube, mes pensées allaient vers Mathilde, assise incognito dans la banquette du salon, superbe dans sa petite robe noire qui offre une vue vertigineuse sur sa chute de rein, mais aussi vers G*** et M*** qui avaient accepté mon invitation, sans savoir si Mathilde et moi serions présents, ni même être en mesure de nous reconnaitre après toutes ces années. Étaient-ils arrivés ? Déjà, les trois coups avaient été donnés, les deux anges étaient tombés du ciel, il ne manquait plus que le champagne et il était temps pour moi d’entrer à mon tour en scène, avec une solennité que je n’imaginais pas dans ma parodie saugrenue.

Les tableaux s’enchainaient à un rythme qui m’apparaissait bien plus rapide qu’au cours de cette première répétition où Mathilde et moi avions assisté, admiratifs et inquiets, au ballet des plats et des corps. Cette fois-ci, à la demande de C***, ma douce Mathilde improvisait avec maestria la scénographie des huitres, alliant le charme et les bons mots, pour initier les divines dégustations dont j’étais frustré. Car je jouais moi aussi ma modeste partition, à courir en cuisine, apporter les plats, remplir les verres – mais pas trop ! – avec une apparente servilité malgré les piques de celui que j’imaginais être G***, qui sans doute me cherchait lui aussi, et m’avait peut-être déjà reconnu.  Ce fut mon sentiment alors que je remplissais son verre et qu’il regardait mon masque impassible, quand il sortit tout de go : « Je veux le même esclave à la maison !
-    On ne peut pas être à la fois esclave et choisir son apparent esclavage ! rétorqua aussitôt P*** juste à côté de moi.»

J’ai tapoté son épaule en signe d’assentiment silencieux pour sa lumineuse répartie. Quelques minutes plus tard, P*** et son apparente soumise illustraient avec maestria ces propos.

À leur côté, derrière le rideau de bougies, je présentais le plateau d’accessoires à ceux et celles qui se succédaient devant la soumise agenouillée, entièrement nue. Sous couvert de mon masque qui ne laisse apparaitre aucune émotion, je m’amusais de leur maladresse, oubliant un instant combien j’avais été impressionné quand je m’étais livré à ce rituel. Entre deux passages, je regardais Mathilde, assise entre deux belles femmes entreprenantes, dont celle qui devait être M***. Leurs mains se baladaient, leurs lèvres s’embrasaient. La volupté coulait dans les décolletés, la sensualité s’insinuait sous les cuisses. Ce spectacle qui m’excitait et m’émouvait à la fois, c’était celui du plaisir de Mathilde. Je n’en étais pas l’instigateur et je me surprenais à ne pas en être frustré ni jaloux. Son bonheur est le mien.

Raide comme la justice, je devine que celui qui s’avance maintenant, à pas félins, est sans doute mon très cher G***. La quarantaine racée, il s’approche de la femme agenouillée avec une mordante assurance, s’accroupit à son tour, et ignorant le plateau que je lui tends, il croque directement sa part aux lèvres de la soumise. « Voilà un homme qui sait improviser ! » s’exclame une comédienne estomaquée.

Au tableau du peignoir, contemplatif, je retrouve Mathilde en étroite compagnie. Par derrière, ses hanches plaquées aux fesses de ma Naïade, M*** la trousse ostensiblement. Par devant, c’est le facétieux J*** qui s’attaque au décolleté de ma belle. Il fait glisser les bretelles de sa robe tout en cueillant des baisers à la douceur de ses lèvres, où je lis les « je t’aime » silencieux qu’elle m’adresse discrètement. Elle ne porte pas de soutien-gorge et ne tarderait pas à être nue si leur manège continuait. Je m’approche, et leur chuchote en écho les paroles de la comédienne en peignoir sur un ton faussement réprobateur : « Savez-vous que Casanova a vécu ici ? Un peu de dignité ! » Ma remontrance ne reçoit pour réponse que les soupirs appuyés de M***. En m’approchant au plus près, je réalise que les mains de ma belle ne sont pas inactives : glissées entre ses fesses et le ventre de M***, elles disparaissent entre les cuisses de celle-ci qui se pâme de plus belle derrière elle. « Ne savez-vous donc pas que Casanova a vécu ici ?» dis-je à nouveau en glissant à mon tour une main entre les cuisses de Mathilde. Mon doigt inquisiteur s’immisce dans une douce moiteur, Mathilde se mort les lèvres et je maudis mon masque qui ne me permet pas de les baiser. « Vous savez bien que Casanova a vécu ici ? Un peu de tenue mesdames !
-    Justement, comment pourrions-nous mieux lui présenter nos hommages, me rétorque M*** dans un soupir alangui.
-    Dans ce cas, je lui présente mes respects au garde à vous !
-    Ne sortez pas du rang mon brave, me reproche-t-elle à peine remise de sa jouissance fugace, l’attribut du sujet n’est pas le sexe du serviteur. »

Serveur.pngElle ponctue sa remarque d’un sourire victorieux, qu’elle adoucit un peu en glissant sa petite culotte humide dans ma poche. C’est ainsi que je ne réalisai pas mon fantasme d’être le serveur au premier plan du buffet dinatoire d’Alex Szekely, bien que j’en avais le rôle, le bon casting et les  principaux attributs sous la main.

À la fin de la répétition, les masques tombent. Ceux de G*** et M*** bien sûr, après nos longs échanges épistolaires, nos invraisemblables défis érotiques, et sept ans de silence, ce qui me permet de mettre enfin des visages sur ce couple fantasmatique. Mais aussi celui de ma douce Mathilde, que je peux enfin embrasser à loisir, et qui s’est révélée bien plus coquine que beaucoup l’imaginaient. Dans l’écrin merveilleux qu’offre les répétitions de C***, elle aura pu exprimer son besoin de séduire autant par le corps que l’esprit, pulsion irrésistible que j’avais moi aussi ressentie voici quelques années comme en témoigne ce blog, avec une telle charge érotique que ma belle me séduit toujours davantage. Lire les « je t’aime » silencieux que ses lèvres m’adressaient au cœur des caresses libertines m’aura bouleversé d’amour. Le masque d’une jalouse exclusivité serait-il aussi tombé ?

31 mars 2014

L'attribut du sujet - 1

Raide comme la justice, je regarde cet inconnu dont je devine l’identité. Masqué d’un loup à l’instar des autres convives, il avance à pas félins vers la jeune soumise offerte à mes pieds. Entièrement nue, sa tête renversée en arrière, la bouche ouverte, déjà pleine, elle est agenouillée aux pieds de son maître. À deux pas de ce couple, derrière un rideau de bougies, j’attends avec mes attributs, dont un plateau d’accessoires à présenter respectueusement aux convives, et ce masque qui me recouvre entièrement le visage. J’attends avec la patience feinte du majordome dont le rôle m’a été échu.

Par un de ces hasards inaccessibles au romancier mais que la vie seule peut susciter, j’ai la fonction de serviteur comme je l’avais écrit quelques semaines auparavant dans le récit imaginaire d’une des fameuses soirées de C***, fiction inspirée des notes de CUI dont cette illustration d’Alex Szekely intitulée le buffet dinatoire :

szekely.jpg

Au premier plan de cette scène grivoise, un serveur nu est l’objet de l’attention de plusieurs femmes, sans se départir de son professionnalisme ni masquer le plaisir d’être un objet de désir, plaisir qu’on attribue traditionnellement à la gent féminine, mais auquel un homme hétérosexuel peut aussi être sensible. Les femmes intéressées par le sexe du serveur sont certes nues dans ce tableau, mais leur posture dominatrice de cliente face au serveur soumis à sa fonction, avait immédiatement réveillé mes vieux fantasmes CFNM, où la nudité de l’homme face à la femme habillée caractérise la relation de Domination/soumission. J’avais aussitôt synthétisé ces éléments en un récit aussi onirique qu’ironique à propos de ces mystérieuses soirées dont je ne savais presque rien, mais auxquelles je rêvais pourtant de participer. J’étais sur le point de publier cette fiction extravagante lorsque Mathilde et moi avions été réellement conviés à une de ces soirées, et maintenant que j’y joue le rôle d'humble serviteur, les premiers paragraphes de cette fantasmagorie me reviennent à l’esprit tel un songe quand il s’avère prémonitoire :

Qui a bien pu dire que le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte les escaliers ? Encore faut-il avoir le regard vissé au postérieur de la jolie femme qui nous précède, alors que moi, j’ai le cœur haletant et l’angoisse pour seule perspective. Voilà, je suis arrivé au seuil de l’aventure, devant la porte d’entrée de l’appartement bourgeois où je sonne, en essayant de me composer un visage festif pour masquer mes appréhensions.

-    Pile à l’heure, me dit C*** en ouvrant la porte.
-    Oui, assez en avance pour mettre la tenue du personnel.
-    La mettre, façon de parler, me dit C*** avec un sourire en coin. La voici, ajoute-t-il narquois en me tendant un nœud papillon.
-    Je me change où ?
-    Dans le vestiaire, première chambre à gauche dans le couloir.
-    Je suis le premier ?
-    Non, une soubrette est déjà arrivée. Tu m’excuseras, je ne peux pas t’introduire, j’ai un souci avec les huitres…

Je pousse la porte entrouverte de la première chambre de gauche. La soubrette prête à l’emploi qui ajuste sa coiffe se tourne vers moi en m’adressant un sourire gêné.  De taille moyenne, la trentaine et les joues roses, elle ne porte essentiellement qu’un tablier qui surligne sa nudité, des bas noirs soutenus par l’incontournable porte jarretelle, des escarpins vernis, et quelques colifichets, dont le plus amusant est un nœud papillon entre ses seins nus, à la croisée d’une sorte de soutien-gorge sans bonnet ni autre fonction qu’un érotisme canaille.

-    Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je me présente: Vagant. Je vous fais la bise confraternelle…
-    Moi c’est F***, me dit-elle en rougissant de plus belle, vous faites aussi partie du… personnel ?
-    Oui…
-    Je me demande comment est votre costume ?
-    On ne peut plus simple, lui dis-je en lui montrant le nœud papillon.
-    Je vois… glousse-t-elle avec un air faussement apitoyé.
-    Pas encore, mais ça ne va pas tarder. C’est plutôt amusant, en fin de compte…
-    Oui, on peut dire ça, mais c’est tout de même très gênant, ajoute-t-elle en me regardant distraitement tandis que je me déshabille. Pour moi c’est un défi que j’ai décidé de relever. Je sais que je pourrai refuser les propositions licencieuses, qui ne manqueront pas, sans doute, enfin, j’ose l’espérer avec cette tenue ridicule…
-    Mais non, vous êtes parfaite et, pardonnez-moi cette grivoiserie, bandante, ajoutai-je sur un ton aussi neutre que possible tout en achevant de me déshabiller.
-    Oui… je vois… où en étais-je... Ah oui, je pourrai refuser les propositions licencieuses, bien que les invités se feront un devoir de m’en faire, mais mon rôle suggère qu’à priori, je devrais m’y soumettre, ce qui m’inquiète, mais… m’excite aussi terriblement !
-    A qui le dites-vous !
-    Ah, on sonne ! Sans doute les premiers invités. Je vous laisse pour aller les accueillir…

A suivre…

13 février 2014

Invitation

Mon très cher G***,


    Je suis surpris de ne plus avoir de vos nouvelles. A peine avions-nous repris notre collaboration littéraire, après une interruption de sept années pour prendre le recul nécessaire sur nos aventures, que vous disparaissez à nouveau comme une fuyante Baudelairienne. Allez, je ne vous hais point malgré toutes les turpitudes auxquelles vous m’avez soumis, puisque je dois avoir un cœur bien grand et une âme bien douce, comme vous me l’écriviez alors, à moins que ce ne soit l’inverse. Au contraire, je ne veux pour vous que le meilleur, aussi je me permets de vous convier à une soirée privée. Il ne s’agit pas d’une de ces vulgaires partouzes cocaïnées à la Beigbeder, peuplées de pubarivistes et de mannequins russes, mais d’une performance artistique sur le thème de Casanova. J’y étais hier soir.

    Il y a peu d’événements dont on peut dire avec émotion « j’y étais » et plus rares encore sont ceux dont on peut aussi dire « j’y serai ». C’est pourtant le cas de cette soirée mémorable qui était en effet une répétition. Mathilde et moi y avions été invités pour 20h30 précise, tout de noir vêtus, avec pour sésame le port d’un masque vénitien. Le maître de cérémonie nous ouvrit la porte de ce spacieux atelier d’artiste niché sous les toits de Paris, dont les œuvres aussi remarquables que l’artiste qui les a produits vous auraient probablement ravi. Nous qui craignions d’être les premiers, nous étions les derniers, et les convives rassemblés à l’atelier nous jetèrent des regards de loups ; nous ne tardâmes pas à porter les nôtres. J’eus à peine le temps d’admirer Mathilde, dont le masque en dentelle de métal ajoutait du mystère à l’attrait de sa silhouette de Naïade, que les trois coups furent bientôt portés, deux anges tombèrent du ciel, et un verre de champagne en main, nous partîmes en voyage. C’est un voyage immobile sur les cinq continents des sens, tour à tour abordés entre rires et baisers, pour retrouver l’esprit de Casanova en donnant libre cours à sa lettre, pour y défier les lois de l’Amour et pour mieux s’y soumettre. Que dire de plus sans en dévoiler les surprises, sinon que ce voyage sensuel, ce dîner marin, ce festin de gourmets, cette gourmande alchimie est une véritable quête libertine.
 
    L’esprit de Casanova est-il là ? Telle était la question rhétorique posée lors de cette performance, et à laquelle je crois pouvoir aujourd’hui répondre, mais jugez-en plutôt : La représentation terminée, la soirée se poursuivait entre chicanes et baisers. Très à son aise en une si bonne compagnie, plus bohème que bourgeoise et jamais compassée, Mathilde papillonnait de conversations endiablées en caresses effleurées, butinait les hommages et autant de baisers, et des hommes, et des femmes par son charme enivrés, pour mon plus grand plaisir de voir ainsi ma fleur épanouie. Ainsi Mathilde et moi nous trouvâmes à moitié nus, avec la délicieuse D***, son facétieux amant J*** et le jeune B***. La perspective d’ébats plus poussés s’effaça toutefois face au débat que souleva la jeune D*** qui ne voulait plus s’abandonner aux plaisirs de la chair sans Amour. Elle souffrait pourtant de l’abstinence qu’elle s’imposait d’autant plus que Cupidon ne semblait guère agréer son sacrifice, comme le souligna ma chère Mathilde en avocat du diable. Je sais Mathilde pouvoir tenir des propos plus propices à la chasteté, mais j’avais à ce moment-là mon doigt sur son clitoris, et je me sentais prêt à exhiber devant toute l’assemblée combien j’étais fier d’être son amant en la possédant sous leurs yeux.

mask.png

    Cette situation indécise était-elle indigne de l’esprit de Casanova ? Permettez-moi de citer ses mémoires :


Je tombe sur la matière de l’amour, et elle en raisonne en maîtresse.
— Si l’amour, me dit-elle, n’est pas suivi de la possession de ce qu’on aime, il ne peut être qu’un tourment, et si la possession est défendue, il faut donc se garder d’aimer.
— J’en conviens, d’autant plus que la jouissance même d’un bel objet n’est pas un vrai plaisir, si l’amour ne l’a pas précédée.
— Et s’il l’a précédée, il l’accompagne, ce n’est pas douteux ; mais on peut douter qu’il la suive.
— C’est vrai, car souvent elle le fait mourir.
— Et s’il ne reste pas mort dans l’un et dans l’autre des deux objets qui s’entraimaient, c’est pour lors un meurtre, car celui des deux dans lequel l’amour survit à la jouissance reste malheureux.
— Cela est certain, madame, et d’après ce raisonnement filé par la plus démonstrative dialectique, je dois inférer que vous condamnez les sens à une diète perpétuelle. C’est cruel.
— Dieu me garde de ce platonisme. Je condamne l’amour sans jouissance également que la jouissance sans amour. Je vous laisse maître de la conséquence.
— Aimer et jouir, jouir et aimer, tour à tour.
— Vous y êtes.
À cette conclusion elle ne put s’empêcher de rire, et le duc lui baisa la main.


    Et nos arguments n’eurent guère plus d’effet que le même rire de D***, ce qui interrompit nos ébats mais ce dont nous ne fûmes en vérité pas fâchés, tant la tension érotique atteinte était une jouissance en elle-même. L’esprit de Casanova, c’est-à-dire l’essence du libertinage, était à mon humble avis bel et bien là.

    « M*** apprécierait-elle une telle soirée ? Pourrais-je l’inviter ?» me demanda C***, le remarquable organisateur de cette cérémonie sybarite menée de main de maitre, lui qui a connu M*** dans les circonstances que nous savons. Je l’ai aussitôt encouragé à le faire par mon entremise, et à vous convier tous les deux tant je vous imagine bien dans ce cadre de « libertinage oblique », entre la chaste verticalité et la prévisible horizontalité, là où tout est possible mais rien n’est certain. Mathilde et moi assisterions-nous alors à la même répétition que vous ? Laissons aussi cela au principe d’incertitude, bien que ce cadre exceptionnel serait assurément digne de notre première rencontre.


    Bien amicalement,


    Vagant