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31 octobre 2015

Terreur à Chaville

Lorsque Camille monta à Brétigny dans le RER en direction de Paris, elle se sentait déjà épuisée. La perspective de retrouver Jérôme la réjouissait, mais faire tout le trajet en portant au plus intime un plug anal qui se terminait en queue de renard ne l’enchantait guère. Elle avait eu beau essayer d’en enrouler la queue, son extrémité poilue arrivait tout de même à la limite de sa courte jupe. Un regard aguerri aurait pu remarquer quelques poils roux entre ses jambes, suscitant autant d’interrogations quant à cette nouvelle mode vestimentaire. Mais après tout, un soir d’Halloween, tous les délires étaient permis. Elle essaya de s’asseoir tant bien que mal sur une banquette tout en pestant intérieurement contre son amant qui lui avait imposé pareil gage. Elle parvint à se caler contre la cloison, se laissa bercer par le roulis du train de banlieue, et pour tenter de se reposer un peu avant une longue nuit festive, elle ferma un instant les yeux.

Quand elle les ouvrit de nouveau, l’esprit encore embrumé de sommeil, elle sentit une certaine gêne entre les cuisses. Elle n’avait jamais ressenti cette queue de renard avec autant d’acuité. Les poils lui semblaient plus drus contre ses fesses, sans doute irritées par le contact prolongé avec cette matière synthétiques. Toutefois, elle ne ressentait aucune gêne au niveau anal. Mais ce qui la dérangeait le plus, c’était surtout le regard étrange de ce jeune homme assis face à elle dans la rame curieusement déserte. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son maquillage était particulièrement réussi. Ses oreilles pointues et velues paraissaient si naturelles qu’elles semblaient être des oreilles de berger allemand greffées à la place d’oreilles humaines. Aurait-il poussé le macabre jusqu’à se coller des oreilles de chien naturalisées, se demanda-t-elle en détournant les yeux, tant les fausses dents jaunes qui venaient d’apparaître dans son sourire carnassier lui inspiraient un profond dégoût. Elle  regarda par la fenêtre pour ne voir qu’une obscurité insondable. Le train semblait traverser des bois alors qu’il était censé arriver à Paris. Il ralentit en arrivant dans une station en plein air, éclairée par les lueurs blafardes de quelques lampadaires. Elle lut le nom avec incrédulité « Chaville – Vélizy »

Sans prendre plus de temps pour réfléchir, elle se précipita sur le quai. Elle dégaina aussitôt son portable de sa poche pour prévenir Jérôme qu’elle s’était endormie dans le train, qu’elle n’était pas descendue comme prévu à Saint-Michel, mais qu’elle avait traversé tout Paris en ronflant pour ne se réveiller que dans une lointaine banlieue à l’autre bout de la ligne. Peine perdue. Même pas de réseau dans cette station du bout du monde. Les portes du train se refermaient tandis qu’un voyageur s’en extirpait pour atterrir sur le quai après un saut de cascadeur. « Mademoiselle ! Mademoiselle ! » entendit-elle brailler derrière elle. Camille accéléra le pas pour échapper à la voix grave et pâteuse du dragueur de banlieue. A l’autre bout du quai, deux ombres claudicantes d’assez petite taille se dirigeaient vers elle. Elle allait passer en feignant de les ignorer mais ils lui barrèrent le chemin. « Alors ma petite chatte, on vient fêter Halloween avec les vrais gars ? » 

Camille ne voyait pas les visages des deux jeunes sous leur capuche. Elle ne distinguait que la lueur jaune de leur regard mauvais. Elle essaya de se composer une voix menaçante tout en réalisant vaguement le ridicule consommé de sa queue qui battait entre ses jambes, étrangement chaude dans la fraîcheur de cette nuit brumeuse.

—Je ne suis pas votre petite chatte et je n’ai rien à faire avec vous !

—Tu l’entends Marco, elle nous dit qu’elle n’est pas notre petite chatte avec ses petites oreilles pointues et ses yeux en amande.

Mue par un réflexe idiot elle porta une de ses mains à son oreille tandis que les deux jeunes faisaient tomber leur capuche. À ce moment-là, elle ne sut ce qui la pétrifiait le plus. Les deux jeunes n’avaient pas un visage humain. Ils avaient sur les épaules une tête de bouledogue noirâtre au museau écrasé et aux babines ruisselantes, qui semblaient lui adresser un mauvais rictus. Ces têtes de chien étaient si vivantes, d’apparence si peu artificielle que cela aurait été fascinant si ces deux gnomes n’avaient pas été aussi effrayants, ni menaçants. Mais ce qui la pétrifia véritablement, c’est ce qu’elle sentit sous ses propres doigts.

« Mademoiselle, vous avez oublié votre sac ! ». La voix qu’elle entendit derrière elle était si grave qu’elle n’avait plus grand-chose d’humain. Elle se retourna et dut lever la tête pour reconnaître le jeune homme du train. Elle ne lui arrivait qu’à l’épaule. Elle reprit son sac d’une main tremblante tandis que le jeune homme fixait les deux bouledogues avec un étrange rictus, tout en émettant un grognement guttural. Les deux gnomes s’écartèrent en renfrognant le museau. Camille avança à pas comptés avec le jeune homme dans son dos, à peine plus rassurée d’avoir échappé à ces deux loubards si incroyablement maquillés que d’être auprès de son inquiétant sauveur. Elle réalisa avec effroi qu’ils ne s’étaient écartés que lorsque le colosse, qui l’escortait maintenant d’un peu trop près, leur avait montré les crocs. Ils descendirent les escaliers de la station et elle s’apprêtait à les remonter pour prendre la direction opposée quand le jeune homme lui barra à son tour la route. « Alors ma petite chatte, on ne remercie pas son sauveur ? »

C’est à ce moment-là qu’elle vit clairement ce que ses yeux avaient évité depuis son réveil dans le train, ou qu’elle avait refoulé par un étrange mécanisme de déni, mais qui lui avait littéralement hérissé le poil dès qu’elle avait été en présence de cet homme maintenant menaçant. Mais était-ce seulement un homme puisqu’il n’avait pas des jambes humaines, mais des pattes de chien au pelage luisant qui disparaissaient sous son imperméable. Camille fit un saut en arrière et dévala les marches avec une rapidité inédite, poursuivie par l’homme-chien qui avançait sur elle en gloussant. Elle sortit de la station et s’enfonça dans la nuit en courant. Elle fila sur le parking de la gare, passa sous le pont, remonta totalement la rue de Jouy entre les tristes pavillons de banlieue avec l’homme-chien toujours à ses trousses, qui aboyait régulièrement des « Mademoiselle !» inhumains. Curieusement, elle voyait tout comme en plein jour malgré la distance entre les réverbères et la profondeur de la nuit. Camille savait qu’elle ne parviendrait pas à distancer l’homme-chien à la course, mais pressentait instinctivement qu’elle pouvait le semer dans l’obscurité. Lorsqu’elle vit le panneau indiquant l’Allée Noire qui traverse la forêt domaniale de Meudon, elle s’y précipita sans plus réfléchir. L’homme-chien l’avait déjà presque rattrapée.

AlleeNoire.pngElle se jeta dans un chemin de terre sur la droite, se faufila entre les arbres, choisissant les passages les plus étroits susceptibles de gêner la grande carcasse de son poursuivant. Petit à petit, elle regagnait du terrain. Quand elle passa à côté de l’étang des écrevisses, plongé dans la plus totale obscurité mais où il lui semblait pouvoir distinguer les grenouilles au bord de l’eau, elle s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Sa queue qui continuait de battre entre ses jambes commençait sérieusement à l’agacer. Elle la saisit d’une main et tira dessus d’un coup. Elle ne put réprimer un miaulement de douleur. Elle porta sa main à la base de la queue. Son cul était libre. Cette queue épaisse, dont elle ne pouvait maîtriser les mouvements, comme si elle avait une vie propre, était plantée dans son corps dans le prolongement de sa colonne vertébrale, en lieu et place du coccyx. Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang pour ne pas pousser un autre cri, mais un cri d’horreur cette fois. Camille venait d’entendre un grand plouf suivi d’un aboiement rageur. Comme elle l’avait deviné, l’homme-chien y voyait moins bien qu’elle et il venait de tomber à l’eau. Elle sentit sur ses tempes s’agiter ses oreilles aux aguets. Elle n’eut pas besoin d’y porter la main pour savoir qu’elles n’étaient plus celles d’une femme.

Elle s’enfonça de nouveau dans les bois, mais dans l’autre direction cette fois, profitant de la débâcle de son poursuivant pour le semer complètement. Elle finit par tomber sur un grand carrefour au croisement d'une sombre départementale et de l’avenue de Vélizy, où passaient encore quelques rares voitures à cette heure tardive. Consciente qu’elle pouvait effrayer les automobilistes avec ses oreilles pointues qui s’orientaient en tous sens au moindre bruit, Camille s’enfonça un bonnet sur le crâne pour les masquer au mieux. Elle ne se projetait pas plus loin que le bout de la nuit, aspirant seulement à rentrer entière chez elle au plus vite. Demain serait un autre jour. Il lui vint tout de même à l’esprit l’idée saugrenue qu’elle pourrait faire fortune dans le porno avec l’appendice velu qu’elle avait désormais sur le cul. Etait-elle jolie avec des yeux en amande, ou plus précisément les pupilles verticales ? Elle abandonna ces considérations esthétiques en voyant arriver un poids lourd. Pas question de faire du stop poliment, elle se mit carrément en travers de la route, les bras en croix, pour forcer le camion à s’arrêter, ce qu’il fit dans un crissement de freins. La porte de la cabine s’ouvrit, mais ce qu’il en sortit était une telle abomination que Camille s’enfuit à toutes jambes et sauta par-dessus le premier portail venu.

Là, tout semblait calme, mais guère plus rassurant. Elle venait d’atterrir à pieds joints dans le cimetière de Viroflay. Elle se faufila entre les tombes, s’attendant à tout moment à voir surgir un monstre devant elle. Mais c’est une main qui se posa sur son épaule. Elle fit volte-face pour se retrouver devant l’homme-chien qui lui barrait le chemin. Encore tout dégoulinant, il émanait de son corps fumant une odeur répugnante de sueur humaine et de chien mouillé. Son imperméable était ouvert sur son corps nu monstrueux, à peu près humain jusqu’à la taille mais canin plus bas, là où les yeux de Camille refusaient de s’aventurer. Elle recula lentement jusqu’à se retrouver dos à un mausolée.

L’homme-chien se jeta sur elle. Il lui bloqua les poignets en tenailles entre ses doigts et lui planta les crocs dans le cou sans toutefois la blesser, bien qu’il pût aisément l’égorger. Voulait-il jouer avec sa victime avant de la mettre à mort comme le font souvent les prédateurs ? Camille n’eut guère le temps de se poser la question. L’homme-chien lui déchiquetait maintenant ses vêtements en remuant la tête frénétiquement, lui égratignant l’épiderme à chaque coup de dent. Qu’allait faire le chien qui régnait en lui devant une faible chatte, une fois qu’il sentirait le goût du sang ? Camille connaissait la réponse. Son seul salut était de réveiller ce qui restait d’humain dans ce monstre. Tandis que les crocs lui déchiraient son chemisier, arrachant au passage la dentelle de sa lingerie fine, elle essaya de tendre sa jambe entre les pattes de la bête, non pas pour la frapper au plus sensible, ce qui aurait pu lui faire gagner quelques minutes avant que ce monstre ne la dévore pour de bon, mais pour tenter d’exciter les instincts les plus primaires de son humanité, s’il en subsistait encore une part.

Le monstre recula et tira violemment Camille sur une stèle. Il plaqua le dos nu de sa victime sur le marbre froid et, ses pattes arrière de part et d’autre du visage de Camille, il lui arracha la jupe d’un coup de mâchoire. Elle avait sous ses yeux, juste au-dessus d’elle, l’anatomie de la bête dans toute son aberration. La taille humaine, les cuisses d’un chien et entre les deux, des organes qui tenaient à la fois des deux espèces. Elle surmonta son dégoût pour le toucher là, juste au milieu, très doucement, comme une douce flatterie. L’homme-chien émit un grondement qu’elle interpréta comme un grognement de plaisir. Il lui découpa son slip d’un coup de dent et fourra sa gueule entre les cuisses de Camille, femme-chat dont la queue battait l’air comme prise de panique. Elle retint son souffle, approcha son visage de l’aine du monstre et lui donna un petit coup de langue sur le fourreau. La bête ne tarda pas à réagir. Comme son pénis s’érigeait sous les yeux de Camille, il semblait peu à peu prendre forme humaine. Cela l’encouragea et elle commença à le sucer plus franchement. Quand l’érection de la bête fut totale, c’était un fier phallus qu’elle avait en bouche.

Le comportement du monstre s’adoucissait peu à peu. Il ne lui mordillait plus les chaires au point de la blesser, mais la léchait en profondeur, semblant prendre plaisir à boire sa mouille à la source. L’excitation avait fini par s’emparer de la jeune femme. Elle attrapa les fesses de l’homme-chien pour les trouver glabre sous ses doigts. En descendant ses mains assez lentement le long des jambes du monstre, elle sentait les pattes devenir des cuisses. C’est au bord de l’extase, car les lècheries de la bête devenue son amant s’avéraient redoutablement efficaces, c’est au bord de l’orgasme donc, lorsque ses mains atteignirent les genoux au lieu des jarrets qu’elle toucha par hasard ses oreilles. Elles n’étaient plus pointues ni velues, mais avait repris forme humaine. Le plaisir la submergea, et elle ne sentit plus sa propre queue battre entre ses cuisses. Quand son amant se répandit enfin, la seule queue dont il était encore question était dans sa bouche. Elle s’endormit en le tétant et s’est ainsi qu’elle se réveilla, entre les cuisses de son amant. Elle reconnut la voix de Jérôme qui lui dit qu’elle avait eu une nuit agitée, et qu’il avait dû donner quelque chose à sucer à son bébé d’amour. Pour la peine, elle aurait un gage, ce soir, pour Halloween.

 

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Edit du 2 Novembre: Cette courte nouvelle erotico-fantastique que je vous venez de lire est profondément malsaine. Vous en êtes-vous rendu compte ? L’explication de texte est ici…

21:55 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : halloween

25 octobre 2015

Le jour d’après

Je n’ai pas dormi la nuit dernière, ou si peu. Se coucher à 23h et se lever en sursaut cinquante minutes plus tard ne peut pas être décemment appelé une nuit de sommeil. Lorsque je suis arrivé sur mon ordinateur, la nouvelle venait de tomber et j’ai tout de suite su que je ne dormirai plus :

Suite au tirage au sort réalisé en présence Marie Barbusse de l'étude SCP ROUGE BLONDEAU, huissier de justice à Nîmes, nous vous prions de bien vouloir trouver ci-après la DOUBLE CONTRAINTE qui doit encadrer la rédaction de votre nouvelle inédite concourant au 1er PRIX DE LA NOUVELLE ÉROTIQUE. 

CONTRAINTE DE SITUATION :

JAMAIS SANS TOI, PEUT-ÊTRE AVEC UN AUTRE…

MOT FINAL :

ANCRE

Nous vous rappelons que vous devez envoyer votre nouvelle inédite au plus tard avant 7h00 du matin, ce dimanche 25 octobre 2015 (cachet du mail faisant foi)

PrixNouvelleErotique.jpgJ’allais passer ma nuit seul avec ces contraintes, et 8h pour rendre ma copie. Ça me laissait un peu de temps pour ne pas me précipiter tout de suite sur l’écriture. La contrainte de situation a immédiatement évoqué pour moi... la passion ! Quant au mot final, j’ai commencé par chercher ses synonymes. J’ai ainsi découvert le principe de l’ancre en horlogerie, tout à fait dans le contexte de cette nuit sous l’égide de Chronos, redécouvert l’ancre de marine, avec sa verge et son mouillage, et bien entendu l’encre homonyme de la nuit à la fois noire et blanche. Allez savoir par quelle alchimie tout ça m’a donné d’étranges personnages… mais mieux vaut ne pas en dire plus pour ne pas mettre en péril l’anonymat requis par le jury.

Je me suis lancé dans l’histoire avec mes personnages sans trop savoir où j’allais en venir. Retors, ils résistaient à l’épreuve. Je ne jetais que des sucres dans ma tasse de café noir. L’encre et l’ancre demeuraient sèches. De temps en temps j’allais voir sur twitter où en étaient d’autres concurrents devenus camarades d’infortune dans la même galère littéraire. Les quelques photos qu’évoquaient le sujet confirmaient mon manque d’originalité. Mais à force d’avancer péniblement, sans trop d’inspiration, le dénouement a fini par se dessiner et j’ai su, à peu près vers cinq heures, que j’allais aboutir à temps. Ce ne serait sans doute pas mon meilleur cru, mais quelque chose d'assez décent, enfin je crois car je n’ai pas encore osé me relire. Au moment de l’envoyer ne subsistait plus que l’exaltation d’avoir relevé le défi et surmonté mes doutes.

Nous étions hier 338, nous sommes 242 aujourd’hui. Maintenant commence la longue attente avant les résultats. D’ici là, ne serait-il pas dommage de ne pas exploiter tout cet enthousiasme, toute cette synergie ? Et je me prends à rêver d’une soirée littéraire érotique avec des lectures publiques qui se termineraient toutes par le mot ancre.

 

22 octobre 2015

La couleur des sentiments

Cette note n’est pas une critique de plus du merveilleux film éponyme relatif à la ségrégation raciale aux États-Unis. Je vais effectivement vous parler de la couleur des sentiments, au sens chromatique du terme.

Tout est parti d’une question philosophique : Comment définir l’amour ? Une réponse possible consiste à dire que l’amour est un mélange de désir sexuel et d’affection pour autrui. L’amour filial n’est composé que d’affection. L’amour pour son conjoint sera composé à la fois de désir sexuel et d’affection, dans des proportions variables tout au long de la vie du couple. Je me suis risqué un peu plus loin en imaginant qu’on puisse décomposer tous les sentiments que nous nourrissons envers autrui, jusqu’à vous proposer une modélisation relationnelle.

Supposons que nos sentiments soient la conjugaison de quatre composantes primaires : le désir sexuel, l’affection, la haine et l’indifférence. Ces composantes seraient à la subtilité des sentiments ce que les couleurs primaires sont aux nuances du spectre colorimétrique. Il y aurait ainsi une correspondance univoque entre les proportions relatives de ces quatre composantes et tout l’éventail des sentiments qui nous relient aux autres. Afin de concrétiser mon modèle, affectons une couleur primaire arbitraire à chaque composante sentimentale : Le rouge pour le désir sexuel, le vert pour l’affection et le bleu pour la haine. Quant à l’indifférence, il agit comme l’inverse de la chromaticité.

Laissez-moi prendre quelques exemples pour illustrer mon propos.

Noir. Quel sentiment nous inspire un illustre inconnu, à l’autre bout de la planète, dont nous ne savons absolument rien ? Pas grand-chose, tout au plus une vague sympathie mais probablement pas de haine ni de désir sexuel à moins d’avoir de sérieux problèmes psychologiques, ou d’être en guerre. Nous aurons donc 1% d’affection et 99% d’indifférence, soit un vert extrêmement foncé indissociable du noir.

Sang de bœuf. Supposons maintenant que nous croisions cette personne dans la rue, et que nous la trouvions séduisante. Nous n’avons guère plus d’affection qu’auparavant, mettons 2% parce que l’inconnu est devenu notre prochain, que nous serions sensé aimer comme nous même si nous escomptions devenir des disciples du Christ. Toujours pas de haine à moins d’être raciste, sexiste, ou victime de je ne sais quelle pathologie haineuse. Quant au désir sexuel, il monte en flèche ! On ne connait rien de cette personne mais on éprouve envers elle 20% de désir sexuel. Les 78% restant demeurent de l’indifférence. 

Brun profond. Voilà que cette personne nous aborde sous un quelconque prétexte. Vous faites connaissance, vous sentez bien qu’il y a des atomes crochus, et cette personne vous apparait de plus en plus séduisante. L’affection qui augmente avec la sympathie passe à 10%, ainsi que le désir sexuel qui passe à 30%. L’indifférence décroit donc à 60%.

Écrevisse. Vous sortez avec cette personne qui exerce immédiatement sur vous un irrésistible attrait. Le désir sexuel qui explose dès qu’elle vous enlace passe à 80% tandis que l’affection monte à 20%. L’indifférence a complètement disparu au cœur de l’étreinte.

Blet. Le lendemain, vous êtes sur un petit nuage. Le désir sexuel enfin satisfait est retombé à 30%, l’affection a continué de croître à 30% et l’indifférence est donc à 40% pour ce béguin qui n’est pas encore l’amour fou.

Gris taupe. Trois jours plus tard, l’élu(e) de votre cœur vous fait comprendre que ce n’était qu’un plan cul. Quel salaud/salope ! La haine surgit à 30%, l’affection demeure à 30% car vous ne parvenez pas à tirer un trait sur cette histoire d’autant que le désir sexuel demeure à 30%. L’indifférence est à 10% dans cet état passionnel. 

On pourrait ainsi trouver les couleurs du divorce (entre le bleu marine et le vert foncé), celles du crime passionnel (variations du gris), du viol (violet !)… Voici une illustration de ma théorie sans la composante « haine » :

couleurs, sentiments, amour, haine, sexe, affection, schmitt

J’y ai représenté une parabole, au sens propre comme au figuré, d’Eric-Emmanuel Schmitt : « L’amour vient par la chair puis l’écarte » qui est une évolution classique des sentiments au sein du couple. Tout va pour le mieux tant que les membres de couple suivent la même trajectoire dans le plan sexe / affection sans s’aventurer dans la dimension haineuse. Toutefois, les hommes et les femmes ont-ils tendance à évoluer de la même manière sur ce plan ? C’est là qu’intervient une note publiée sur les fesses de la crémière qui explique que le désir féminin baisserait plus vite que le désir masculin. La femme évoluerait donc plus vite que l’homme sur cette trajectoire sentimentale vers l’affection désexualisée verdâtre, tandis que l’homme aurait tendance à vouloir demeurer dans le territoire sexuel rougeoyant.

De là à penser que c’est la raison pour laquelle les hommes auraient plus tendance que les femmes à tenter de satisfaire leur libido en dehors du couple, il y a un pas que je franchirais volontiers.

N’hésitez pas à me donner votre opinion sur ma théorie farfelue, les commentaires sont là pour ça.

 

10 octobre 2015

Punchline

Me sentant d’humeur primesautière, j’ai été franchement amusé par ces deux notes de Frère Heyjack. Ceci explique cette petite selfie:

Aubed.png

Si d’autres blogueurs avaient envie de poursuivre cette charmante série masculine, qui ferait la part belle à l’esprit autant qu’aux corps, je mettrais volontiers en lien la leçon n°4… 

05 octobre 2015

Marguerite

Allez, je vais me dévoiler un peu et avouer des choses très personnelles. Chaque dimanche matin, je me lève relativement tôt pour faire mon marché. C’est un marché, comment dire, bobio, avec autant de touristes japonais et américains que de clients français. Et quels clients ! Il y a quelques semaines, mon boucher habituel étant comme toujours dévalisé - il n’a de toutes façons jamais de veau – j’ai été chez l’autre bouchère normande m’acheter de quoi faire une blanquette. Elle est sympathique cette femme, très nature, sans chichi, avec son fils qui l’aide à couper la barbaque et sa fille qui vend les pêches du jardin. Bref, elle s’occupait de moi et devinez qui je vois derrière moi dans la file ?

Ah, mais je dois vous raconter autre chose auparavant. Je viens de voir Marguerite. Marguerite Dumont, une femme fortunée qui, au cours des années 20, a dédié toute sa vie à l’art lyrique. Elle donne des récitals dans son petit château provincial auprès d’un public choisi, dont les applaudissements hypocrites couvrent les rires étouffés. Car Marguerite chante faux. Une vraie casserole. La comédie vire au drame quand deux jeunes journalistes sans scrupules publient un article ambigu à son sujet.

Je n’en dis pas plus et je vous invite à aller voir ce film remarquablement juste avec ses fausses notes bien orchestrées. Un seul bémol peut-être, la médiocre voix de la chanteuse qui double Christa Theret, est présentée comme le contrepoint « juste » des fausses notes de Marguerite. A contrario, la formidable voix du ténor qui double Michel Fau est présentée comme celle d’un cabot. Était-il nécessaire de perdre à ce point le spectateur ? Quoiqu’il en soit, Catherine Frot joue parfaitement bien un rôle sur mesure.

J’en reviens à ma bouchère et ma file d’attente. Je me retourne et qui vois-je ? Catherine Frot justement, qui commande deux biftecks. Ma bouchère les découpe avec sa bonhomie coutumière et lui lance : « et avec ça ma p’tite dame, qu’est-ce que je vous mets ? » 

 

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