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22 octobre 2015
La couleur des sentiments
Cette note n’est pas une critique de plus du merveilleux film éponyme relatif à la ségrégation raciale aux États-Unis. Je vais effectivement vous parler de la couleur des sentiments, au sens chromatique du terme.
Tout est parti d’une question philosophique : Comment définir l’amour ? Une réponse possible consiste à dire que l’amour est un mélange de désir sexuel et d’affection pour autrui. L’amour filial n’est composé que d’affection. L’amour pour son conjoint sera composé à la fois de désir sexuel et d’affection, dans des proportions variables tout au long de la vie du couple. Je me suis risqué un peu plus loin en imaginant qu’on puisse décomposer tous les sentiments que nous nourrissons envers autrui, jusqu’à vous proposer une modélisation relationnelle.
Supposons que nos sentiments soient la conjugaison de quatre composantes primaires : le désir sexuel, l’affection, la haine et l’indifférence. Ces composantes seraient à la subtilité des sentiments ce que les couleurs primaires sont aux nuances du spectre colorimétrique. Il y aurait ainsi une correspondance univoque entre les proportions relatives de ces quatre composantes et tout l’éventail des sentiments qui nous relient aux autres. Afin de concrétiser mon modèle, affectons une couleur primaire arbitraire à chaque composante sentimentale : Le rouge pour le désir sexuel, le vert pour l’affection et le bleu pour la haine. Quant à l’indifférence, il agit comme l’inverse de la chromaticité.
Laissez-moi prendre quelques exemples pour illustrer mon propos.
Noir. Quel sentiment nous inspire un illustre inconnu, à l’autre bout de la planète, dont nous ne savons absolument rien ? Pas grand-chose, tout au plus une vague sympathie mais probablement pas de haine ni de désir sexuel à moins d’avoir de sérieux problèmes psychologiques, ou d’être en guerre. Nous aurons donc 1% d’affection et 99% d’indifférence, soit un vert extrêmement foncé indissociable du noir.
Sang de bœuf. Supposons maintenant que nous croisions cette personne dans la rue, et que nous la trouvions séduisante. Nous n’avons guère plus d’affection qu’auparavant, mettons 2% parce que l’inconnu est devenu notre prochain, que nous serions sensé aimer comme nous même si nous escomptions devenir des disciples du Christ. Toujours pas de haine à moins d’être raciste, sexiste, ou victime de je ne sais quelle pathologie haineuse. Quant au désir sexuel, il monte en flèche ! On ne connait rien de cette personne mais on éprouve envers elle 20% de désir sexuel. Les 78% restant demeurent de l’indifférence.
Brun profond. Voilà que cette personne nous aborde sous un quelconque prétexte. Vous faites connaissance, vous sentez bien qu’il y a des atomes crochus, et cette personne vous apparait de plus en plus séduisante. L’affection qui augmente avec la sympathie passe à 10%, ainsi que le désir sexuel qui passe à 30%. L’indifférence décroit donc à 60%.
Écrevisse. Vous sortez avec cette personne qui exerce immédiatement sur vous un irrésistible attrait. Le désir sexuel qui explose dès qu’elle vous enlace passe à 80% tandis que l’affection monte à 20%. L’indifférence a complètement disparu au cœur de l’étreinte.
Blet. Le lendemain, vous êtes sur un petit nuage. Le désir sexuel enfin satisfait est retombé à 30%, l’affection a continué de croître à 30% et l’indifférence est donc à 40% pour ce béguin qui n’est pas encore l’amour fou.
Gris taupe. Trois jours plus tard, l’élu(e) de votre cœur vous fait comprendre que ce n’était qu’un plan cul. Quel salaud/salope ! La haine surgit à 30%, l’affection demeure à 30% car vous ne parvenez pas à tirer un trait sur cette histoire d’autant que le désir sexuel demeure à 30%. L’indifférence est à 10% dans cet état passionnel.
On pourrait ainsi trouver les couleurs du divorce (entre le bleu marine et le vert foncé), celles du crime passionnel (variations du gris), du viol (violet !)… Voici une illustration de ma théorie sans la composante « haine » :
J’y ai représenté une parabole, au sens propre comme au figuré, d’Eric-Emmanuel Schmitt : « L’amour vient par la chair puis l’écarte » qui est une évolution classique des sentiments au sein du couple. Tout va pour le mieux tant que les membres de couple suivent la même trajectoire dans le plan sexe / affection sans s’aventurer dans la dimension haineuse. Toutefois, les hommes et les femmes ont-ils tendance à évoluer de la même manière sur ce plan ? C’est là qu’intervient une note publiée sur les fesses de la crémière qui explique que le désir féminin baisserait plus vite que le désir masculin. La femme évoluerait donc plus vite que l’homme sur cette trajectoire sentimentale vers l’affection désexualisée verdâtre, tandis que l’homme aurait tendance à vouloir demeurer dans le territoire sexuel rougeoyant.
De là à penser que c’est la raison pour laquelle les hommes auraient plus tendance que les femmes à tenter de satisfaire leur libido en dehors du couple, il y a un pas que je franchirais volontiers.
N’hésitez pas à me donner votre opinion sur ma théorie farfelue, les commentaires sont là pour ça.
01:25 Publié dans Réflexions | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : amour, eric emmanuel schmitt, couleurs
Commentaires
Le jeudi 22/10/2015 à 09:13 par Khalya :
Hello
Un commentaire vite fait avant de partir sur la fin de l'article.
Que le désir masculin et féminin soient différents c'est une évidence.
Après de la à en conclure : 1 que le désir féminin baisserait plus vite que le désir masculin juste parce que c'est comme ça .... et si c'était parce qu'on est bourré d'hormones contraceptives dont on ne mesure pas l'impact sur notre libido (même si on se souvient l'avoir lu sur la notice)... et si on se lassait juste plus vite d'avoir toujours "la même chose", et si c'était parce que notre partenaire n'arrive pas vraiment à nous faire grimper aux rideaux.... ça m'énerve de lire que le désir féminin baisserait plus vite que le désir masculin, juste comme ça, de lire que ça serait une évidence...et d'ailleurs s'il ne baissait pas plus vite
Et de la à en conclure que 2 : "c’est la raison pour laquelle les hommes auraient plus tendance que les femmes à tenter de satisfaire leur libido en dehors du couple"... mon hypothèse est que si les femmes trompent moins c'est avant tout une question de rapports sociaux. Un homme qui collectionne les conquêtes est un Don Juan, une femme...pas besoin de vous faire un dessin...
Le jeudi 22/10/2015 à 09:35 par Vagant :
@Khalya : Merci pour votre commentaire constructif et argumenté. J'y réponds rapidement:
1/ Le fait que le désir féminin au sein du couple baisse plus vite que le désir masculin n’est pas une affirmation gratuite, mais le résultat d’une étude mise en lien dans ma note. Bien entendu, toute étude scientifique peut être dans l’erreur. Disons simplement que des chercheurs ont travaillé sur la question et ont abouti à ce résultat, qui vaut ce qu’il vaut. Ce n’est pas non plus un jugement de valeur et encore moins une accusation. De nombreux facteurs peuvent effectivement expliquer cet écart de libido, dont les traitements contraceptifs qui ne touchent que les femmes. Toutefois la lassitude que vous évoquez devrait être partagée par les deux sexes. Pourquoi toucherait-elle plus les femmes que les hommes comme semble le montrer cette étude ?
2/ J’endosse toute la responsabilité de la dernière conclusion. Vous avez raison sur le plan sociologique : le passage à l’acte adultérin demeure plus acceptable pour l’homme que pour la femme, même si les choses évoluent peu à peu. Mais avant le passage à l’acte, il y a l’envie. Les femmes ont-elles autant envie que les hommes d’aller voir ailleurs ? Telle est ma question.
Le jeudi 22/10/2015 à 09:43 par Rita Renoir :
J'ai un petit doute avec votre modélisation chromatique. Il me semble que vous avez oublié le blanc en cours de route...
Le jeudi 22/10/2015 à 09:59 par Vagant :
@Rita : J’attendais cette question. Dans mon modèle, je n’ai pas dit qu’à toutes les couleurs correspondaient des sentiments, mais que chaque sentiment avait une couleur. La décomposition RVB du blanc c’est 100% de rouge, 100% de vert et 100% de bleu. Les couleurs primaires sont indépendantes les unes des autres. Dans mon modèle sentimental, le sentiment se décompose en une portion de désir sexuel, une portion d’affection et une portion de haine, le reste étant de l’indifférence. La somme de toutes les portions ne peut donc pas excéder 100%.
Pour avoir du blanc, il faudrait à la fois que le sentiment soit intégralement composé de désir sexuel, et intégralement composé d’affection et intégralement composé de haine, ce qui est mathématiquement impossible.
C’est la raison pour laquelle mon illustration est triangulaire. La somme des pourcentages de sexe et d’affection ne peut pas excéder 100%. Il n’y a donc pas de jaune (=100% de rouge + 100% vert)
Est-ce assez clair ?
Le jeudi 22/10/2015 à 15:25 par LadyKotori :
Bonjour,
Les mêmes remarques que Khalya me sont venues à l'esprit à la lecture de votre article, dont l'exercice est, au demeurant, fort sympathique.
Je me permet donc de réagir à vos échanges.
1/ D'après les confidences d'amies, et parfois du vécu, le désir des hommes passe parfois aussi vite dans un couple que celui des femmes. Pourquoi donc cette lassitude toucherait-elle plus les femmes que les hommes comme semble le montrer l'étude à laquelle vous faites référence? Hummmm. Peut-être parce que les femmes et le "multi-profil" qui leur est "quasi" imposé à notre époque se révèle vite fatigant: femme/épouse/working girl/teneuse du foyer/maîtresse/amie le tout sur 24h, 7 jours par semaine, 12 mois sur 12... Les profils passent prioritaires en fonction des phases de la vie et oui, malheureusement, ce pauvre désir de l'autre est souvent relégué tout en bas de la liste.
De plus, une fois installé confortablement dans son couple, l'homme a malheureusement souvent tendance, aussi, à considérer sa femme comme "acquise", ne cherchant plus à la séduire, voire à la reconquérir régulièrement. Et on vient à se demander pourquoi, dans ce cas, le désir de la femme pour son homme va baisser plus vite...
Cela passe sans doute aussi par le fait que hommes et femmes ont un rapport bien différent au sexe, les hommes étant plus physiques, les femmes plus cérébrales (mais c'est ce qui rend la chose si intéressante aussi!)
2/Oui, les femmes ont autant envie d'adultère que les hommes. Mais peu vont sans doute le reconnaître et l'assumer, d'où, peut-être un peu moins de passages à l'acte que du côté des hommes. Et on retombe sur le constat sociologique de Khalya, pour le coup.
Le jeudi 22/10/2015 à 17:37 par Vagant :
@LadyKotori : Je vous remercie de participer au débat. L’étude à laquelle je fais référence ne parvient pas à trouver d’explication au fait observé. Elle constate simplement que le désir de sexualité chez une femme s’amenuise en fonction de l’âge de son couple et non pas de son âge à elle. On peut donc dire statistiquement qu’en changeant de couple, la sexualité de la femme repart au beau fixe avant de s’amenuiser de nouveau inexorablement. Change-t-elle complètement de vie en changeant de couple ? Change-t-elle forcément de travail ? Arrête-t-elle de prendre la pilule contraceptive ? N’a-t-elle plus d’enfants à élever ? N’entretient-elle plus son foyer ? Peut-être. Un changement de couple bouleverse la vie en bien des points au point que le désir de l’autre pourrait passer soudainement dans les premières priorités, avant de s’écrouler de nouveau au classement pour une mystérieuse raison : l’ennui de la vie conjugale. Je ne crois pas que le désir se décide selon un agenda de priorités. Comme le chante Carmen, le désir est enfant de bohème, il s’impose quand on ne l’attend pas et se dérobe quand tout est fait pour l’accueillir.
On peut se demander au contraire si les femmes, si promptes à réclamer de la douceur et de la stabilité affective, n’étaient au contraire dopées par l’aventure et le changement. Par atavisme de la compétition spermatique ? Pourquoi pas. Je vous rejoindrais donc sur le second point : les femmes brident leurs envies volages, peut-être plus importantes que celles des hommes, par construction sociale.
Ma théorie est que tout a été mis en place depuis des siècles pour pérenniser le patrimoine. Afin de léguer ses biens à ses fils, et pas au fils d’un autre, un homme devait s’assurer de la fidélité de son épouse. L’adultère est moins problématique que le batard qui peut en découler. Or en l’absence de contraception, c’est bien l’activité sexuelle qu’il faut réguler, tout particulièrement celle de l’épouse dont le rôle principal était d’enfanter. L’adultère de l’homme n’était pas tant un problème que celui de la femme, car il peut bien engrosser une fille perdue de plus basse extraction, son rejeton n’aura droit à rien. Ce modèle bourgeois capitaliste a été étayé par une religion dogmatique dépendant financièrement du pouvoir, chargée d’édicter une morale conforme aux intérêts de la classe dominante, au prix de quelques contorsions herméneutiques avec un Christ rebelle (je reviendrai sur ce point dans une prochaine note). Tout ce système patriarcal est sérieusement mis à mal avec l’avènement d’une contraception efficace. En moins d’une génération, la femme a découvert qu’elle pouvait avoir une aventure sans prendre le risque d’une grossesse non désirée. Ajoutez à cela la popularisation du divorce et les familles recomposées, alors l’injonction de fidélité ne repose plus sur de sérieux impératifs patrimoniaux mais que sur de vieux dogmes poussiéreux. L’avènement des réseaux sociaux, et la multiplication des contacts potentiellement sexuels bien au-delà de la sphère du couple achèvera le vieux règne de l’exclusivité sexuelle. On vit une époque formidable.
Le vendredi 23/10/2015 à 08:46 par Khalya :
Est ce que les femmes ont autant envie de tromper que les hommes?
Ah ah ah bien évidemment personne n'a la réponse à la question, même si je suis sure qu'on doit trouver des "études" à ce sujet :-)
Pour ma part, je pense que oui.
Le vendredi 23/10/2015 à 11:19 par Vagant :
@Khalya : Est-ce une envie de tromper, ou bien une envie d’assouvir ses désirs ? A mon avis, on ne trompe pas son conjoint pour le plaisir de le cocufier, mais on cède à ses envies en renonçant à sa promesse de fidélité. À la base, la libido féminine est sans doute aussi importante que la libido masculine, mais elle se trouve entravée par tous les obstacles à son épanouissement que vous avez cités (travail, enfants, pilules contraceptives, contingences quotidiennes). Ainsi le désir envers le conjoint baisserait, alors que la libido féminine réprimée pourrait exploser dans un cadre différent du quotidien étouffant, et donc avec un autre homme.
Le vendredi 23/10/2015 à 11:59 par Rita Renoir :
Il fallait bien entendu que je la pose cette question, moi qui travaiille le noir et blanc et me fais des noeuds au cerveau de peur que mon noir ne soit pas suffisamment noir à l'impression... Mais votre réponse-explication est parfaitement claire...
Par contre je vais ajouter mon point de vue féminin car une petite chose dans les commentaires me surprend. Vous parlez de pillule contraceptive et de son arrêt. Mais savez-vous que l'usage de la pillule peut au contraire provoquer une forte baisse de la libido justement ? Et moi il me semble qu'à l'époque actuelle on aura plutôt tendance à privilégier l'usage des préservatifs quand on est célibataire et sans pour autant le coupler à la pillule. En couple il semble moins utile d'utiliser un préservatif et c'est là qu'intervient notre fameuse pillule. Effectivement ce n'est pas parce qu'on est casée qu'on veut pour autant se reproduire comme des lapins...
Le vendredi 23/10/2015 à 12:21 par Vagant :
@Rita: Oui, je sais que la pilule contraceptive peut avoir une influence néfaste sur la libido, et cela a été justement souligné par un commentaire de Kalya. D’un autre côté, une contraception efficace dissocie le coït de la fécondation, ce qui à mon avis a eu un impact social considérable à la fin du siècle dernier comme je l’ai avancé dans un commentaire précédent. Quant au préservatif, de rigueur pour les célibataires, on peut aussi l’utiliser dans un couple établi, quand madame ne supporte pas la pilule par exemple.
Le vendredi 23/10/2015 à 15:14 par Rita Renoir :
Bigre, je suis encore plus fatiguée que je ne le pensais puisque effectivement c'était parfaitement évoqué par Kalya.
Le samedi 24/10/2015 à 15:05 par MarieO :
Le désir aurait donc besoin de nourriture constante, de nouveautés, de créativité pour perdurer ?
Depuis trop longtemps, je n'aime pas ces études féminins/masculins, ces mars/vénus du désir alors que l'Homme est bien plus complexe. Pour moi, le désir est avant tout une question de typologie de caractères, de type de société dans laquelle on évolue, de tempo de vie qui donnent tant d'infimes nuances, que même votre chromatogramme ne peut englober.
Quid du désir des personnes bi, queer, trans, homosexuelles ? J'ai des témoignages de personnes en couple avec une personne du même sexe, qui parlent aussi de cette baisse de libido plus rapide chez l'un des partenaires.
Maintenant, si on admettait que le désir d'une femme s'étiole plus vite que celui d'un homme au sien d'un couple stable, on pourrait y voir la source du patriarcat : contenir les désirs volatiles des femmes qui ont besoin de nombreux compagnons pour se satisfaire (Je n'ai aucune preuve de ce que j'avance, j'essaye juste de tourner la question dans un autre sens).
On pourrait même considérer que le mariage ou toute forme de stabilité du couple n'a d'autres buts que de permette à tous les mâles (même les moins performants, les plus coincés, les petits sexes -oui la taille ça compte si on a le "droit" qu'à un seul sexe-, les plus moches, les plus machos, les plus cons [....Insérer ici tous les jugements/préjugés que vous souhaitez...]) de garder une femelle. ET VICE VERSA. Que toutes les femelles puissent garder un mâle (mêmes les moins performantes, etc.)...
Quant à la question, est-ce que l'amour tue le désir, j'aurais tendance à répondre oui.
Est-ce que le femmes désirent moins et moins longtemps que les hommes ? je dirais non.
Est-ce que les normes sociales influencent notre désir ? OUI
Est-ce que les normes sociales influencent notre amour ? OUI
Le samedi 24/10/2015 à 16:45 par Ladyhawke :
Vous n'auriez pu trouver plus joli intitulé pour votre billet.
Votre théorie n'est pas plus farfelue qu'une autre et présente le mérite d'aborder cette question, éminemment philosophique et millénaire, de manière tout aussi inédite que concrète. Plus encore, vous n'affirmez pas, vous proposez, ce qui confère à votre exercice une liberté dans la démonstration comme dans sa conclusion.
S'agissant du fond, votre théorie est objectivement convaincante en ce qu'elle illustre l'inéluctable évolution de bon nombre de couples. Elle trouve néanmoins sa limite car :
- exclut de facto toute évolution autre, témoignant d'une implacable fatalité, mais qui ne saurait pourtant pas être vérité ;
- érige, à juste titre, le désir en ferment-ciment du couple mais limite sa source originelle à la seule chair, alors que cette source, à mon sens, est ailleurs.
"L'amour vient par la chair (...)". Oui, notamment.
L'amour vient surtout d'un faisceau d'éléments diffus et convergents à la fois, qu'il n'est pas toujours possible d'objectiver, ni aisé de définir nommément. Ce n'est pas seulement la joliesse d'un trait, la courbe d'une main, la vibration d'une voix, le velouté d'un regard et surtout la richesse et l'ouverture d'un intellect, susceptibles les uns et les autres de faire naître ce mystérieux et complexe sentiment.
C'est la Reconnaissance de l'autre, la Prescience qu'il ou elle est l'élu(e). C'est cette reconnaissance qui fonde l'amour et son expression notamment par le désir de la chair de l'autre. Ce dont je n'ai que très récemment pris conscience, afin de parvenir à le nommer. C'est d'ailleurs, à mon sens, ce qui différencie l'amour du désir (sans qu'il s'agisse pour moi de les hiérarchiser l'un par rapport de l'autre, mais bien de les distinguer).
Cette reconnaissance porte à la fois sur les grandes questions existentielles, et leurs réponses choisies, comme sur les considérations terre-à-terre, mais influant grandement sur nos quotidiens.
À mon humble avis, c'est pour cette raison en évidence que l'on désire l'autre, désir allant jusqu'à vouloir se fondre en lui, parce qu'il (elle) entre en résonance avec notre intime, nos aspirations et bien évidemment nos sentiments, et non pas simplement pour sa chair, aussi savoureuse soit-elle...
Tant que l'un(e) et l'autre se reconnaissent ainsi, leurs corps parlent d'un même langage en désirs, exprimés, partagés, renouvelés et réalisés.
Tant que cette reconnaissance préside à la relation (ou liaison, je vous laisse le choix du terme...), la communion des cœurs, des esprits et des corps perdure, s'amplifie, et cimente l'union.
Pour cette même raison, la relation, dans toutes ses composantes, qu'il s'agisse de l'affection, de l'élaboration et la réalisation de projets communs, la gestion du quotidien, se consolide.
Encore pour cette même raison, lorsqu'une divergence surgit, un éloignement s'installe, il et elle, seront déterminés à les surmonter et/ou les pallier, au prix d'efforts communs et conjugués (quelqu'en soit la nature et je ne prétends pas ici être professorale ou exhaustive), dans le but ultime de conserver vivace la flamme du désir. Il n'y a donc aucun caractère inéluctable à cette disparition de la chair que vous assénez, dès lors que cette volonté est aussi enracinée dans le couple que l'est la Reconnaissance.
Leurs courbes, ascendantes au départ, culminantes, puis stagnantes à un moment, seront ainsi toujours convergentes.
Lorsque, (et sans qu'il soit nécessaire d'en lister toutes les causes possibles sues de nous tous), cette reconnaissance faiblit, se brouille, voire disparaît, alors l'amour (dans toutes ses mêmes composantes) suit inévitablement le même sort et le désir avec.
Ainsi ce n'est pas l'amour culminant qui "écarte" la chair mais l'amour vacillant, puis succombant de cette perte de Reconnaissance en l'autre.
Aussi, contrairement au postulat, que vous érigez en chronique de la mort annoncée de la chair au sein du couple, l'amour consolidé n'écarte en rien la chair.
Selon le moment auquel cette prise de conscience s'opère, si prise de conscience il y a, il sera, plus ou moins temps, de prendre des mesures préventives et/ou curatives.
Laquelle prise de conscience peut n'être que l'expression d'une lucidité résignée car, et nous le savons tous tout autant, l'acharnement thérapeutique ne sert à rien, absolument à rien.
En guise de conclusion, car je me suis bien assez éternisée par mon incursion sur vos terres, je vous dirais que l'amour n'est pas seulement Couleurs, il est avant tout Reconnaissance.
Le dimanche 25/10/2015 à 14:31 par Comme une image :
C'est drôle comme la majorité des commentaires se sont focalisés sur la conclusion au lieu de s'intéresser à la modélisation proposée ici. (Pour « les hommes ceci, les femmes cela », je réagirais comme MarieO – les études peuvent montrer des tendances, mais ce qui intéresse chacun de nous, c'est l'individu unique. L'échantillon ne se confond pas avec la statistique.)
Sur la modélisation, je pense que l'indifférence n'a pas sa place dans nos pulsions primaires (au même sens que les couleurs primaires) ; elle est l'absence de pulsion.
Affection et désir doivent certainement faire partie de la liste.
L'admiration me paraît aussi un moteur du lien (qui peut porter sur le physique et/ou l'intellect).
En me promenant sur la toile autour de ce sujet, j'ai trouvé cet article http://www.psychologie-sociale.com/index.php?option=com_content&task=view&id=450&Itemid=76 qui parle des 3 composantes de l'amour (« la passion », « l'engagement », « l'intimité ») mais paraît moins immédiatement compréhensible. Et j'aime bien ta façon de voir la passion comme la résultante d'une situation émotionnelle plutôt comme un de ses composants de base. En revanche, considérer que la somme de nos émotions ferait 100 ne me convient pas ; je préfère un modèle colorimétrique où chaque composant varie de 0 à 100. Parce que voir la passion (ce graal !) trainer mollement au milieu de ton graphique où le plan cul survole tout le monde, je trouve ça un peu déprimant :)
Le lundi 26/10/2015 à 10:23 par Vagant :
@MarieO : Concernant le patriarcat, le mariage et la maîtrise du désir féminin par les hommes, je pense que c’est lié à un problème patrimonial dans nos sociétés patrilinéaires comme je l’ai avancé dans ma réponse à LadyKotori au-dessus.
@Ladyhawke : Je ne suis pas convaincu par votre raisonnement qui semble plus procéder de l’affirmation que de la démonstration. Vous semblez décrire un amour où l’autre n’est pas une altérité mais un complément de soi, reconnu par la prescience du cœur et révélé par l’amour fusionnel. Cela me rappelle la théorie du corps amoureux d’Onfray, et la métaphore du carrelet (http://www.elissalt.net/BIOTHECA/THEORIE%20DU%20CORPS%20AMOUREUX.pdf ) : nous serions une des deux faces d’un même animal contraintes à nous unir à jamais pour atteindre la nécessaire complétude. Je n’y crois guère. On peut certes faire des efforts pour demeurer attractif envers son partenaire, et accessoirement les autres partenaires potentiels, mais je crains que Beigbeder ait raison : "on ne peut désirer ce qu’on a, c’est contre nature". Bien entendu, l’autre ne nous appartenant pas, je conclurai avec Houphouet Boigny : "le vrai bonheur ne s’apprécie que lorsqu’on l’a perdu."
@CUI : Curieusement, toutes les femmes se sont focalisées sur la conclusion et le seul commentaire masculin met en cause, à juste titre, la modélisation. Je n’en dirai pas plus sur les hommes et les femmes, l’échantillon ne se confond pas avec la statistique comme tu le dis si bien.
Ce n’est pas parce que l’indifférence est bien une absence de pulsion qu’elle ne doit pas apparaître dans mon modèle : c’est le zéro qui est fondamental à mon algèbre sentimental. Même si la représentation graphique n’est pas formidable, puisque tout le spectre des couleurs n’est pas utilisé, stipuler que l’addition des composants primaires avec l’indifférence donne 100 est le meilleur moyen d’obtenir des proportions qui différencient les vagues sentiments amoureux des grandes passions. C’est ce qui manque à ce triangle de Steinberg qui devrait être un tétraèdre dont le quatrième sommet serait l’indifférence, c’est-à-dire le « sentiment » qui nous « unit » à la plupart des autres. Je te remercie vivement pour ce lien avec ce modèle qui m’apparaît plus solide que le mien. Il lui manque toutefois la couleur. Enfin, mon modèle ne semble pas convenablement modéliser la jalousie. Il lui manque sans doute la peur.
Le jeudi 29/10/2015 à 00:23 par Brigit :
je ne développerai pas mon opinion sur le blog des fesses de la crémière, mais bon, je n'en pense pas moins, surtout sur les études (à la c...) pseudo-scientifiques et autres traductions parfois approximatives d'articles venus d'ailleurs, voire de la 4è dimension...
donc le lieu commun selon lequel le désir féminin baisserait plus vite que le désir masculin et par la même induirait un comportement plus sédentaire de la femme que de l'homme quant à la géolocalisation de ses pulsions sexuelles (l"homme ayant le besoin irrépressible d'aller voir ailleurs plus rapidement que la femme), ça m'irrite un tantinet. surtout si l'échantillonnage est à nouveau des plus "bidon".
le comportement sexuel aurait une corrélation spatio-temporelle selon le genre ? à d'autres ! et pourquoi pas selon l'âge du capitaine ?
mais reprenons les choses du début... la première partie, navrée mais personnellement je ne conçois pas les sentiments amoureux comme ne pouvant exister qu'entre deux personnes, en couple, et (terriblement) hétéro. la modélisation commençait bien, il avait de l'idée et ... puis on dévie sur le couple homme-femme et une prétendue chronobiologie du désir hétéro. en matière de sentiments amoureux, tout comme de plan cul, faudrait viser grand angle, non ?
aussi, on voit que vous voulez composer avec diverses forces conflictuelles ou compensatrices, je ne sais trop, je ne suis pas experte en mécanique des forces. mais j'ai du mal avec le schéma et la parabole. je vois plus les sentiments amoureux comme une courbe du taux de change euro-franc suisse, dollars-yen version plus exotique, mais chacun ses références...
modéliser c'est intéressant, mais prendre un compte tous les possibles, en particulier du jeu de séduction, c'est difficile. prenons, par exemple et sans faire offense à Lacan, la situation du bal masqué, plus particulièrement vénitien, où visages mais aussi genres sont travestis et toute licence de séduction et donc, de consommation, est possible. où cela se place-t-il sur le modèle ? côté plan cul seulement ? donc l'acte et lui seul ? le principe du bal masqué n'est-il pas de désirer l'inconnu ? or, selon vous l'inconnu ne peut engendrer qu'indifférence... ce désir est-il sans affect ? ou doit-il se consommer avec respect et courtoisie, même grivoise ?
quant à intégrer un plan cul comme extrémité d'une modélisation des sentiments amoureux, personnellement, je le mettrai à la limite, mais en dehors ! enfin c'est selon... parce qu'un plan cul en amoureux... enfin bref
bref, tout ceci me laisse très perplexe. les sentiments amoureux, voire l'amour, c'est autrement plus divers que le coupe homme-femme, d'une part et d'autre part, la sexualité et l'amour se confonde mais ne s'identifie pas.