« Terreur à Chaville | Page d'accueil | Osez 20 histoires d’amour multiculturelles »
02 novembre 2015
Pour un érotisme éthique
Samedi soir dernier j’ai relevé un défi littéraire: écrire un texte érotico-fantastique dont le personnage principal serait une femme dotée d’une queue. Afin de me compliquer la tâche, je ne devais pas utiliser les mots suivants : « sexe, seins, membre, bouche, langue, désir, peau, caresse ».
Cet exercice de style m’a semblé adapté à la fête d’Halloween, et je me suis inspiré d’un gadget mentionné sur le blog de Comme une image. Je n’en savais guère plus en commençant l’écriture. Au lieu de tout planifier à l’avance, j’ai laissé vivre mes personnages selon ce que m’inspiraient les lieux, notamment le trajet de la ligne C, le passage par Chaville, la proximité du bois de Meudon. J’ai ainsi fait tout le trajet de Camille vers l’Allée Noire sur Google Map en mode StreetView, j’ai découvert l’Étang des écrevisses, la proximité du cimetière. Je me doutais bien que l’homme-chien allait finir par rattraper la femme-chat puisqu’il me fallait aboutir à la scène sexuelle, mais je ne savais pas vraiment comment les choses allaient tourner avant de les écrire.
Compte tenu de la nature hybride de mes personnages, j’ai voulu éviter l’écueil zoophile en leur faisant retrouver leur humanité. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée du geste de Camille qui tente de réveiller en douceur la sexualité humaine du monstre pour ne pas se faire dévorer. J’ai terminé mon histoire par une pirouette onirique et j’ai mis en ligne Terreur à Chaville sans me poser plus de questions.
C’est le lendemain que j’ai réalisé la portée de cette courte nouvelle et sa dimension malsaine. Si on considère ce conte comme une allégorie, la réalité sous-jacente est celle du viol : une jeune femme est poursuivie par un prédateur sexuel qui finit par l’attraper, et pour éviter la violence elle préfère négocier une fellation ce qui transforme l’abominable agresseur en gentil amant au cours d’une étreinte au plaisir partagé. Cette « morale » est purement et simplement abjecte. Elle est d’autant plus abjecte qu’elle est sournoise puisque le conte insinue, suggère la « bonne » attitude à adopter pour la jeune femme, justement celle attendue par le violeur qui estimera toujours que sa victime «l’a bien cherché».
J’aurais pu effacer mon texte mais il m’a semblé intéressant de le laisser pour démonter son fonctionnement et souligner sa perversité, afin d’encourager l’esprit critique du lecteur, potentiellement un jeune adulte. Je crois que l’esprit critique doit être encouragé, y compris dans le domaine de l’érotisme qui stimule la sexualité. Il aurait été irresponsable de ma part de laisser ce texte sans souligner son propos sournois, tout comme il aurait été dommage de ne pas en profiter pour poser la question de la responsabilité de l’auteur érotique vis-à-vis de ses écrits. Il ne s’agit pas d’encourager un retour à l’ordre moral à grands renforts de censure et de législations, mais je me demande si le bon sens ne devrait pas conduire les auteurs à un érotisme éthique, ce qui peut être paradoxal si on considère que l’érotisme doit être transgressif. Je me souviens m’être élevé contre le dernier roman d’Alain Robbe-Grillet et les jusqu’au-boutistes de la liberté d’expression, peut-être à tort puisque le romancier est censé avoir tous les droits dans les limites circonscrites par le Droit, même si je trouve dommage d’abandonner le bon sens à la légifération. Cette question demeure pour moi totalement ouverte, et je vous invite, ami lecteur, à partager votre opinion.
La question subsidiaire qui me taraude maintenant, c’est pourquoi Camille, mon personnage issu de ma seule imagination, a agi ainsi ? Je crois que cela signifie que mon inconscient a tout simplement intégré le modèle de la soumission féminine à la domination masculine, même si j’abhorre le viol et les rapports non consentis. Je n’ai tout simplement pas été capable d’imaginer la rébellion de Camille, ou encore qu’une chasseuse de passage dézingue le clébard pour libérer sa victime, l’accueillir dans son lit et lui faire retrouver forme humaine de la plus tendre des manières conformément aux tendances LGBT du moment.
23:30 | Lien permanent | Commentaires (16)
Commentaires
Le mardi 03/11/2015 à 00:06 par Ephraktion :
Très belle et honnête réflexion. Le scénario alternatif que vous évoquez dans le dernier paragraphe mériterait développement :P
Je note néanmoins que vous avez aimablement véganisé votre conte en faisant de la queue de renard de CUI un jouet en poils synthétiques. Les animaux vous remercient...
Le mardi 03/11/2015 à 10:55 par Vagant :
@Ephraktion: Je vous remercie pour votre commentaire. La lecture d'une de vos notes ( http://ephraktion.blogspot.fr/2015/09/un-progres.html ) me conforte dans la pertinence de ma réflexion. Puisque vous écrivez si bien, je vous invite à développer ce scénario alternatif sur votre blog. Je glisserai alors un lien dans le corps de Terreur à Chaville vers votre fin alternative, plus éthique que la mienne.
Concernant la queue synthétique, je n'avais pas imaginé que ce plug puisse être équipé d'une queue véritable. Notre ami CUI nous dira ce qu'il en est.
Le mardi 03/11/2015 à 23:39 par Comme une image :
D'après le site où cette queue a été achetée, il s'agirait de « fourrure véritable ». Selon Ephraktion, avec qui j'ai discuté du sujet, probablement un « chien chinois ».
Il est possible que ça ne soit « pas très éthique » ; je ne sais pas le dire. Puisqu'en Chine, on mange des chiens, on peut faire la comparaison avec le cuir de vache ou de porc (animaux que l'on mange) avec lequel on fait des chaussures ou autres.
Pour ce qui est de l'écriture érotique (ou l'écriture en générale) et la morale, les valeurs qu'elle peut véhiculer, consciemment ou pas, j'aurais tendance à prôner un plus grand laxisme que pour ce qui touche directement au vivant (comme l'affaire de la queue exposée ci-dessus). Je suis certain que l'évocation de scènes BDSM paraissent insoutenables à certaines personnes dont le combat est contre la violence faite aux femmes, par exemple. Pas à toutes, bien sûr. Il y a de la pédophilie dans Lolita ou dans Trois filles de leur mère. Etc.
On peut trouver érotique des écrits portant sur des scènes qu'on répugnerait à vivre, comme on peut se délecter de l'ingéniosité d'un crime dans un polar sans cautionner le meurtre.
Tout ça pour dire qu'il y a un moment où il faut faire un peu confiance au lecteur et ne pas trop s'enfermer comme auteur, c'est déjà assez compliqué comme ça d'écrire !
Le mercredi 04/11/2015 à 10:41 par MarieO :
Je suis contente que vous ayez cette conscience. Je n'ai pas pu finir votre nouvelle à cause de ces notions du viol, de harcèlement de rue qui me révulsaient. Maintenant, cette révulsion parle autant de moi que de vous. Puisque je n'ai pu lire votre nouvelle jusqu’au bout, merci d'en avoir donner la conclusion ici. Et pour avoir fait cela "négocier une fellation" dans une situation de baise conflictuelle, je suis d'autant plus touchée par le sujet. J'ai encore honte d'avoir consenti à ce geste, bien que je n'étais pas en situation de viol ou de harcèlement.
C'est pour ces raisons (en partie inconscientes) que je n'ai pas envoyée un commentaire signifiant mon dégout. Comme le dit CUI, toutes les perversions sexuelles sont affaire de goût, si je puis m'exprimer ainsi, et je ne veux pas être un censeur moral.
Cependant, votre nouvelle m'a fait réfléchir sur l'écriture érotique, sur ses limites, sur les miennes aussi, sur ma/votre/nos difficultés d'inventer de nouveaux fantasmes.
Enfin qui fixe cette éthique ? Est-ce ce qui est communément admis dans notre société occidentale ? Est-ce une certaine morale ?
Le mercredi 04/11/2015 à 11:57 par Vagant :
@CUI : Je te remercie pour ce commentaire dont l’habilité témoigne d’une intelligence rare. La digression du chien chinois pour introduire le vivant, l’utilitaire et la fantaisie à laquelle la bête est finalement sacrifiée est tout simplement remarquable. Oui, écrire est compliqué et difficile, tout au moins pour moi. Le texte produit doit être adapté au public visé, et on sait à quoi s’en tenir lorsqu’on s’aventure dans un texte BDSM.
J’ai ainsi été fasciné par la remarquable performance de celui qui a été sélectionné pour la rumeur 3 des derniers écrits polissons (http://www.collection-paulette.fr/les-%C3%A9crits-polissons/ ) face auquel mon texte gentillet ne faisait définitivement pas le poids. Dans la surenchère BDSM, il évoque la forniphilie ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Meuble_humain ) et un certain Gord. Une petite recherche sur internet m’a permis de trouver le site de Jeff Gord et ses incroyables inventions. Que voit-on lorsqu’on regarde cela ? Des performances jouées par des professionnels de la pornographie. Il n’y a pas de malentendu, pas de suggestion. Tout est là, en pleine lumière, la perversion joue cartes sur table. Ce n’est pas le cas de mon conte qui est autrement plus malsain puisqu’il maquille le harcèlement sexuel de fantastique pour suggérer que la soumission féminine est la meilleure réponse au viol.
Ainsi la suggestion érotique peut être plus pernicieuse que la franche pornographie, qu’elle soit visuelle ou textuelle avec les débauches délirantes de Sade ou de Pierre Louÿs. C’est pourquoi il m’a semblé nécessaire de recadrer ce texte. Art traquenard n’est que ruine de l’âme.
Le mercredi 04/11/2015 à 14:05 par Vagant :
@MarieO : Merci pour ce commentaire si sincère. Mon texte avait pour premier objectif de faire peur, Halloween oblige. Pour cela je l’ai ancré dans la réalité en multipliant les références réalistes afin que le lecteur ne sache pas trop dans quel registre il se situe, jusqu’au coup de l’homme aux pattes de chien qui nous plonge définitivement dans le fantastique. Je comprends donc que les femmes aient été particulièrement mal à l’aise avec ce texte, en particulier celles qui ont été victimes de harcèlement, voire de violences sexuelles. C’est à elles que j’ai pensé le lendemain, ce qui a motivé ma mise au point.
Au contraire de la morale, je ne crois pas que l’éthique doive être fixée par quelqu’un. C’est une question de bon sens et surtout d’empathie. En fin de compte, on peut écrire beaucoup de chose à condition de ne pas manipuler le lecteur dans le but de faire du mal. Même la notion de consentement n’est pas aussi simple qu’elle semble l’être. On peut consentir à quelque chose sans en avoir envie. Une femme contrainte à la prostitution par la seule violence économique est certes consentante, mais elle n’a pas pour autant envie de s’offrir au premier venu. Sur les centaines de filles qui se livrent à la pornographie la plus bestiale, combien ont véritablement envie de répondre « Merci Jacquie et Michel » en se prenant une gifle avec une bite dans la chatte et une autre dans le cul ? Où s’arrête le consentement et où commence la manipulation afin de se conformer à une certaine image de la femme « libérée » ?
D’un autre côté, l’érotisme peut efficacement traiter ces limites et exciter autant qu’il révulse pour nous faire prendre conscience de nos instincts les plus sordides comme j’ai essayé de le faire dans « mon chien Picchi ». Ce qui importe n’est pas tant la réponse apportée que de se poser des questions et de se remettre en question.
Le jeudi 05/11/2015 à 17:38 par Ephraktion :
@Vagant, @CUI : Lors d'un débat sur le porno féministe, l'un des organisateurs de la Fête du slip (si si : http://www.lafeteduslip.ch/ ) suggérait l'idée que la différence entre le porno éthique et le porno mainstream (majoritairement sexiste, propageant des stéréotype de violence envers / domination des femmes) n'était pas dans les sujets abordés (il y a des pornos éthiques mettant en scène des fantasmes extrêmement violents), mais dans le traitement : dans un porno éthique, il y aura toujours un dispositif narratif redonnant au fantasme sa place de fantasme, empêchant la confusion avec la réalité. J'avais trouvé la proposition intéressante. Votre petit texte de SAV joue en quelque sorte ce rôle de réflexivité sur la place et la nature de ce qui est écrit.
Pour ce qui est de la fourrure de chiens viverrins en Chine : il s'agit de chiens qui ne sont élevés que pour leur fourrure et tués dans des conditions atroces pour icelle (la fourrure est de meilleure qualité lorsque l'animal est dépecé vivant). Lesdites atroces conditions d'élevage et de mort permettent des coûts très bas, rendant leur fourrure plus intéressante économiquement parlant que la fourrure synthétique. Les cols de fourrure purement cosmétiques des capuches de manteaux très à la mode depuis quelques années, par exemple, sont en chien viverrin.
Un article sur le sujet : http://bit.ly/1Q77Ovy
et une video sur les toutous en question (TW : vraiment très très gore) http://bit.ly/20xjrzm
Le jeudi 05/11/2015 à 23:16 par Ladyhawke :
J'ai lu votre nouvelle au troisième degré, sachant ce qu'il en était du gage et de l'exercice de style. Je ne vous ai, en conséquence, prêté aucune velléité sexiste, n'y ai vu aucun encouragement fait aux femmes de se soumettre à un éventuel agresseur et/ou violeur en guise d'échappatoire à un "la bourse ou la vie" particulièrement abjecte et inhumain.
J'ai "pris" votre récit pour ce qu'il était, si j'ose dire, sans aucune confusion possible à mon esprit, et ce alors même que j'ai eu à connaître dans ma vie professionnelle de la situation (trop) douloureuse de certaines femmes.
Peut-être que la réponse préventive à une éventuelle mauvaise interprétation aurait été de le préciser en prologue de votre récit. Ce qui aurait eu pour vertu de faire connaître le contexte dans lequel vous l'aviez rédigé, de le circonscrire à sa nature de "conte" et à cette nature seulement.
Au delà du texte "Terreur à Chaville", lorsque vous prônez un érotisme éthique, vous êtes dans le vrai sachant que vos textes ne sont pas seulement accessibles à un public dit averti mais également au grand public.
Il s'agit moins de s'autocensurer que de véhiculer un socle de valeurs qui préside aux relations sexuelles (partage, respect, confiance) quelque soit leur nature, au premier rang desquelles le consentement, sans lequel rien n'est possible, sans lequel rien ne doit être possible. À mon sens il ne s'agit que de cela. Et l'auteur n'a de responsabilité et/ou d'éthique à observer qu'à cet égard, pouvant ainsi, dès lors que cette condition est remplie, laisser libre cours à son imagination, à ses fantasmes. Le lecteur demeurant libre d'aimer ou non, d'adhérer ou pas au propos, et surtout de ne pas lire.
Ainsi je rejoins CUI, qui avec sa pertinence habituelle, souligne le rôle du lecteur, car la relation auteur/lecteur n'est pas à sens unique. Il appartient à ce dernier de faire le distingo entre fantasme et réalité.
Et pour répondre à votre question, l'arsenal législatif est tel qu'il n'est nul besoin de légiférer davantage. Il incombe seulement à l'auteur d'exercer sa liberté d'expression de manière responsable dans les limites précitées.
Et c'est très exactement ce que vous avez fait avec ce billet autocritique, avec lucidité et en ouverture sur ces épineuses questions.
Le vendredi 06/11/2015 à 12:05 par Vagant :
@Ephraktion : Je vous remercie pour vos informations sur ces pauvres chiens viverrins. Je n’imaginais pas que tous ces cols puissent être en fourrure naturelle. Je n’aime pas trop ça, même en synthétique. CUI pourrait nous rétorquer à juste titre que les poulets et les porcs élevés en batterie en Europe ne sont pas mieux lotis. C’est pourquoi je n’achète que de la viande bio vendue directement par le producteur, et par conséquent jamais en grande surface, pour contribuer à un élevage décent et éviter d’avaler trop de saloperies médicamenteuses, mais cela nous éloigne bien trop du sujet.
J’adhère assez à cette idée de porno éthique, bien que pour ma part, le porno cinématographique ne m’excite pas, ou plutôt ne m’excite plus. Il y manque une dimension psychologique, celle qu’on peut trouver dans les films classiques et qui est intégrée au corps du film, et non pas plaquée par une voix off qui nous dirait « attention ceci n’est qu’un jeu » comme on lit « nuit gravement à la santé » sur les paquets de cigarette. Or le mélange des deux genres est désormais impossible pour des raisons économiques.
Prenons par exemple une orgie. Ne pourrait-elle pas être traitée comme le braquage au cœur d’un film noir ? J’aimerais pour ma part voir le portrait des couples qui s’y rendent, leurs éventuels problèmes et les attentes de chacun. Sans édulcorer l’action, j’aimerais des plans sur les visages empreints de désir, mais aussi de peur et de jalousie. Comme on ne montre pas le braqueur qui remplit son sac de billets pendant plus de cinq secondes, on pourrait éviter de montrer en gros plan les va-et-vient d’une même queue dans une chatte pendant trois minutes d’affilée. Et cela ne se terminerait pas sur l’incontournable éjaculation faciale comme l’employé de banque trop zélé qui se fait descendre en actionnant l’alarme, mais l’intrigue se poursuivrait en rencontres, ruptures ou rabibochages. Ce que l’on ne peut filmer, faute d’en avoir les moyens, on devrait tout au moins pouvoir l’écrire. Je trouve ainsi dommage de morceler le genre érotique pour répondre au ciblage marketing. J’ambitionne d’écrire un érotisme qui mêlerait les sentiments les plus fins à la chair la plus crue.
@Ladyhawke : Mon exercice de style avec « Terreur à Chaville » ne correspond pas à cette ambition de mêler les sentiments les plus fins à la chair la plus crue, car je suis contraint de mettre le texte en perspective par une explication extérieure, que ce soit un prologue ou un épilogue. Une véritable réussite aurait été d’intégrer l’explication au corps de l’intrigue par un procédé littéraire, mais j’avoue que je ne vois pas bien comment procéder, justement.
J’admire toutefois votre capacité de synthèse qui revient ici à ménager la chèvre et le chou entre ma posture et celle de l’ami CUI !
Le vendredi 06/11/2015 à 18:51 par Ephraktion :
@Vagant Avez-vous regardé certains des pornos réalisés par Ovidie ? Ils me semblent assez bien réaliser vos souhaits... Et je vous rejoins dans l'idée que l'expérience vécue du désir des personnages est ce qu'il y a de plus excitant.
Le vendredi 06/11/2015 à 19:24 par Vagant :
@Ephraktion : Je ne suis pas très porno et je n’ai pas vu de film d’Ovidie. En revanche j’ai vu des extraits de films d’Erika Lust et ça n’a pas l’air trop mal. Pour reprendre votre propos sur un plan plus personnel, je dirais que l’expérience vécue du désir et du plaisir du partenaire est ce qu’il y a de plus excitant.
Le samedi 07/11/2015 à 20:26 par Beaufils :
Tous ces échanges sont vraiment riches et profonds.
La question de l'érotisme - littéraire - éthique (je laisse de côté les films) est certes importante en termes "philosophiques" mais il faut la ramener à son "volume réel" : minime.
Sur la plateforme d'autoédition d'Amazon, des textes absolument atroces sont régulièrement mis en ligne (récemment, un faisait l'apologie du viol, notamment, d'une façon extrêmement détaillée, comme Sade quelques siècles avant faisait l'apologie de la torture de façon totalement décomplexée). Oui, MAIS. Mais ils sont souvent téléchargés un nombre minime de fois.
Même en format "papier", des livres outrageusement provocants (régulièrement récompensés par le prix Sade, fondé notamment par Beigbeider) font certes parfois parler - dans les 10 derniers livres récompensés par le prix Sade, un notamment fait l'apologie de la torture érotique, avec mutilations et compagnie d'une fille totalement manipulée (à la lisière d'être consentante, car manipulée mentalement), un est consacré de la première à la dernière page à la scatologie, etc).
La plupart de ces ouvrages se sont écoulés de façon absolument confidentielle, avec un nombre de vente très largement inférieur à 1000 exemplaires.
En revanche, la question soulevée par l'auteur de ce blog dans une de ces réponses aux commentaires me semble bien plus importante, en termes "d'importance sociétale", en termes de "volume d'impact", si je peux m'exprimer ainsi :
Je cite Vagant : "Même la notion de consentement n’est pas aussi simple qu’elle semble l’être. On peut consentir à quelque chose sans en avoir envie. Une femme contrainte à la prostitution par la seule violence économique est certes consentante, mais elle n’a pas pour autant envie de s’offrir au premier venu. Sur les centaines de filles qui se livrent à la pornographie la plus bestiale, combien ont véritablement envie de répondre « Merci Jacquie et Michel » en se prenant une gifle avec une bite dans la chatte et une autre dans le cul ? Où s’arrête le consentement et où commence la manipulation afin de se conformer à une certaine image de la femme « libérée » ?"
Je trouve cette réflexion d'une justesse sidérante.
Des auteurs qui publient des textes atroces, il y en a toujours eu, il y en aura toujours, est-ce ci grave ? Personne n'est disposer à assurer la promotion de leurs textes, et c'est tant mieux. Et très peu de monde est disposé à les lire. Donc leur impact est limité, se battre contre cela serait peu rationnel vu l'ampleur des choses à faire par ailleurs pour rendre le monde meilleur (Camus disait qu'un homme doit apprendre à choisir ses combats).
En revanche, tout faire pour que chacun soit en mesure de développer son esprit critique, et donc éclairer sa propre notion de consentement, cela me semble un combat bien supérieur (je dis cela pour avoir déjà rencontré une jeune femme ayant joué dans une séquence Jacquie et Michel, contre une rémunération certes, mais vraiment modique au regard de son rôle (de l'ordre du pur foutage de gueule :-)) : gang bang puis scène finale d'éjaculation collective dans sa bouche grande ouverte, le tout ayant été filmé dans son propre appartement. Elle me jurait qu'elle était ravie d'avoir fait ça, que c'était une de ses grandes fiertés de "femme libre", etc. Quand je voulais parler un peu avec elle de la notion de liberté sexuelle et compagnie (je dis cela sans aucune condescendance), ça n'allait pas très loin. Finalement, j'ai plus compris dans son discours qu'être la "petite star" de sa bande de potes qui suivait les nouveautés de J&M comme le lait sur le feu lui avait donné de l'importance, un sentiment de valeur à ses yeux.
Je pense souvent à elle, à notre échange, je me demande si elle a un jour regretté ce tournage...
Pour en revenir au post, je partage pleinement un autre commentaire : quand on lit le texte après avoir lu le contexte (défi littéraire, contraintes de situations...), on ne pense pas une seule seconde de l'auteur soit lui-même abject, pour avoir écrit cela.
;-)
Le samedi 07/11/2015 à 20:44 par Beaufils :
Lu le billet sur "un roman sentimental", et je partage totalement l'avis quant à la place que mérite ce "livre" : le fond des chiottes - je pense aussi cela de Juliette, Justine et co. de Sade.
Juste une remarque... je pense aussi que l'éditeur a une responsabilité. On n'empêchera jamais des types d'écrire ce genre de trucs... mais qu'un éditeur soit disposé à lui verser un a-valoir et à le publier, donc à assurer la diffusion de son texte, à en faire la promo... voilà quelque chose qui me laisse dubitative. Que cherchait Fayard, le coup de com ?
Le samedi 07/11/2015 à 21:50 par Vagant :
@Beaufils: Je vous remercie très sincèrement pour votre commentaire. Vraiment. Concernant la manipulation, et mon questionnement sur le libre arbitre des femmes qui se soumettent à la pornographie la plus machiste, j’avais lu ce reportage édifiant sur J &M justement, à partir du compte twitter d’Eve de Candaulie : https://twitter.com/Eve2Candaulie/status/624366840022704128
Cela prouve qu’on peut avoir une sexualité complètement libérée et être lucide quant aux dérives du libertinage commercial. En fin de compte, cette problématique est assez similaire à celle des sectes, dont les victimes sont toutes consentantes, au même titre que ces femmes soumises à des maîtres sans scrupule au point de subir les mutilations que vous évoquez. Poussez le raisonnement un peu plus loin, et on en arrive à la fabrication du consentement de Noam Chomsky. Pour le coup, l’impact est tout autre…
Vous avez parfaitement raison, l’impact d’un texte érotique pervers sur un blog parmi tant d’autres est nul ou presque, et mon questionnement est d’ordre philosophique. Charité bien ordonnée commençant toujours par soi-même, il m’a semblé utile de le faire afin que mes confrères (ça me fait tout drôle d’écrire ce mot) se posent au moins la question. Ensuite, libre à chacun d’écrire ce qu’il veut dans les limites du droit, l’éditeur étant le seul juge après Dieu.
Quant à « un roman sentimental », je pense effectivement que c’était surtout un coup de com.
Le dimanche 08/11/2015 à 11:56 par Brigit :
Erotisme éthique ? ah Vagant... que nous dit le poète ?
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Scandaleux n'est-ce pas ? insupportable ! comment peut-on faire d'une femme dans une situation douloureusement vulnérable, et donc d'autant plus respectable, d'autant moins séductrice, un pur objet de convoitise, mmm ?
Si l'érotisme était forcément éthique, nos bibliothèques (et nos têtes) seraient bien vides... mais c'est une très bonne question, cela dit !
bon, sur la culture du viol (intégrée consciemment ou non), les jeux de rôle et le BDSM, la fiction et le réel, le statut de victime et celui d'acteur, d'actrice de sa sexualité, à ne pas confondre, la situation de stress libératrice des inhibitions et la contrainte etc. je reviendrai, c'est dimanche !
Chomsky, vraiment ? you made my day !
Le lundi 09/11/2015 à 16:41 par Vagant :
@Brigit: C’est drôle que vous évoquiez ainsi l’image de la veuve, d’une part parce que ce poème de Baudelaire a pour moi une signification très particulière, et d’autre part parce que l’image de la veuve sera considérablement écornée dans une de mes « prochaines » publications (je dis prochaine, mais tout dépendra de l’éditeur).
Cela sera-t-il scandaleux ? Cela l’aurait été à plus d’un titre à l’époque où l’intrigue est située.
Cela sera-t-il toujours immoral ? Sans doute compte tenu de la perception de la prostitution aujourd’hui.
Cela sera-t-il à mon sens éthique ? Oui, car le lecteur ne sera pas manipulé cette fois-ci.
