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31 mars 2014

L'attribut du sujet - 1

Raide comme la justice, je regarde cet inconnu dont je devine l’identité. Masqué d’un loup à l’instar des autres convives, il avance à pas félins vers la jeune soumise offerte à mes pieds. Entièrement nue, sa tête renversée en arrière, la bouche ouverte, déjà pleine, elle est agenouillée aux pieds de son maître. À deux pas de ce couple, derrière un rideau de bougies, j’attends avec mes attributs, dont un plateau d’accessoires à présenter respectueusement aux convives, et ce masque qui me recouvre entièrement le visage. J’attends avec la patience feinte du majordome dont le rôle m’a été échu.

Par un de ces hasards inaccessibles au romancier mais que la vie seule peut susciter, j’ai la fonction de serviteur comme je l’avais écrit quelques semaines auparavant dans le récit imaginaire d’une des fameuses soirées de C***, fiction inspirée des notes de CUI dont cette illustration d’Alex Szekely intitulée le buffet dinatoire :

szekely.jpg

Au premier plan de cette scène grivoise, un serveur nu est l’objet de l’attention de plusieurs femmes, sans se départir de son professionnalisme ni masquer le plaisir d’être un objet de désir, plaisir qu’on attribue traditionnellement à la gent féminine, mais auquel un homme hétérosexuel peut aussi être sensible. Les femmes intéressées par le sexe du serveur sont certes nues dans ce tableau, mais leur posture dominatrice de cliente face au serveur soumis à sa fonction, avait immédiatement réveillé mes vieux fantasmes CFNM, où la nudité de l’homme face à la femme habillée caractérise la relation de Domination/soumission. J’avais aussitôt synthétisé ces éléments en un récit aussi onirique qu’ironique à propos de ces mystérieuses soirées dont je ne savais presque rien, mais auxquelles je rêvais pourtant de participer. J’étais sur le point de publier cette fiction extravagante lorsque Mathilde et moi avions été réellement conviés à une de ces soirées, et maintenant que j’y joue le rôle d'humble serviteur, les premiers paragraphes de cette fantasmagorie me reviennent à l’esprit tel un songe quand il s’avère prémonitoire :

Qui a bien pu dire que le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte les escaliers ? Encore faut-il avoir le regard vissé au postérieur de la jolie femme qui nous précède, alors que moi, j’ai le cœur haletant et l’angoisse pour seule perspective. Voilà, je suis arrivé au seuil de l’aventure, devant la porte d’entrée de l’appartement bourgeois où je sonne, en essayant de me composer un visage festif pour masquer mes appréhensions.

-    Pile à l’heure, me dit C*** en ouvrant la porte.
-    Oui, assez en avance pour mettre la tenue du personnel.
-    La mettre, façon de parler, me dit C*** avec un sourire en coin. La voici, ajoute-t-il narquois en me tendant un nœud papillon.
-    Je me change où ?
-    Dans le vestiaire, première chambre à gauche dans le couloir.
-    Je suis le premier ?
-    Non, une soubrette est déjà arrivée. Tu m’excuseras, je ne peux pas t’introduire, j’ai un souci avec les huitres…

Je pousse la porte entrouverte de la première chambre de gauche. La soubrette prête à l’emploi qui ajuste sa coiffe se tourne vers moi en m’adressant un sourire gêné.  De taille moyenne, la trentaine et les joues roses, elle ne porte essentiellement qu’un tablier qui surligne sa nudité, des bas noirs soutenus par l’incontournable porte jarretelle, des escarpins vernis, et quelques colifichets, dont le plus amusant est un nœud papillon entre ses seins nus, à la croisée d’une sorte de soutien-gorge sans bonnet ni autre fonction qu’un érotisme canaille.

-    Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je me présente: Vagant. Je vous fais la bise confraternelle…
-    Moi c’est F***, me dit-elle en rougissant de plus belle, vous faites aussi partie du… personnel ?
-    Oui…
-    Je me demande comment est votre costume ?
-    On ne peut plus simple, lui dis-je en lui montrant le nœud papillon.
-    Je vois… glousse-t-elle avec un air faussement apitoyé.
-    Pas encore, mais ça ne va pas tarder. C’est plutôt amusant, en fin de compte…
-    Oui, on peut dire ça, mais c’est tout de même très gênant, ajoute-t-elle en me regardant distraitement tandis que je me déshabille. Pour moi c’est un défi que j’ai décidé de relever. Je sais que je pourrai refuser les propositions licencieuses, qui ne manqueront pas, sans doute, enfin, j’ose l’espérer avec cette tenue ridicule…
-    Mais non, vous êtes parfaite et, pardonnez-moi cette grivoiserie, bandante, ajoutai-je sur un ton aussi neutre que possible tout en achevant de me déshabiller.
-    Oui… je vois… où en étais-je... Ah oui, je pourrai refuser les propositions licencieuses, bien que les invités se feront un devoir de m’en faire, mais mon rôle suggère qu’à priori, je devrais m’y soumettre, ce qui m’inquiète, mais… m’excite aussi terriblement !
-    A qui le dites-vous !
-    Ah, on sonne ! Sans doute les premiers invités. Je vous laisse pour aller les accueillir…

A suivre…