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28 février 2008

J’avoue tout !

    Chaque matin, je me lève à 5:55. J’aime ouvrir les yeux sur une belle symétrie, même si je déplore les deux points entre les deux premiers chiffres sur mon réveil matin. On pourrait sans doute me reprocher de ne pas le programmer pour 6 heures pile, mais un peu de fantaisie ne nuit pas n’est-ce pas ? Je commence par me laver les mains avant d’aller aux toilettes à 5:56. J’en sors à 5:59. Après m’être lavé les mains, je rentre dans la cuisine à 6:00, heure à laquelle le second radio réveil déclenche le flot des informations.

    Je n’ai qu’à tourner le bouton de ma gazinière pour chauffer la casserole de 35 cl d’eau minérale. Elle est assez chaude à 6:02. Après m’être lavé les mains, je n’ai qu’à la verser dans ma tasse pour dissoudre le sucre et la cuillérée de café instantané, puisque tout a été préparé la veille.

    Une double angoisse m’étreint au moment de beurrer mes biscottes. D’une part, je ne suis jamais certain que les biscottes vont toutes résister à la pression du couteau, même si j’ai toujours pris soin de sortir le beurrier du frigo depuis la veille. D’autre part, le nombre de victimes du dernier attentat en Irak pourrait être impair, ce qui est un mauvais présage. J’ai remarqué qu’une biscotte sur quatre se brise inopinément malgré tous mes efforts. Puisque j’en mange quatre, la probabilité qu’aucune ne se brise n’est que de 81/256 exactement, à multiplier par celle d’un nombre de victime pair qui est légèrement supérieure à ½ car il n’y a pas d’attentat en Irak tous les jours, de sorte que je suis angoissé environ 5 jours sur 6. Mes collègues ne me pardonnent pas ce léger manque de précision. Ils en profitent pour dire que je suis lunatique, que mon humeur dépend du pied avec lequel je me suis levé. Vous comprenez que ces allégations sont fausses et que mes craintes sont parfaitement fondées : Le temps de me laver les mains, de nettoyer ma tasse et mon couteau, de ranger la casserole et le beurre, traquer les miettes des biscottes me fait perdre de précieuses secondes, ce qui pourrait me faire entrer dans la salle de bain après 6:10.

    Car à partir de là, je n’ai plus une seconde à perdre, tout est chronométré : je fais couler l’eau de la douche préréglée à la bonne température tandis que je me rince la bouche avec une solution antiseptique; je me lave la tête avec du shampoing antipelliculaire ; je me savonne scrupuleusement le corps avec un savon surgras tandis que le shampoing fait effet ; je me rince les cheveux ; je me sèche avant de sortir de la douche ; je rince la douche ; j’étale la crème à raser sur mon visage légèrement humide ; je me rase précautionneusement ; je me lave les mains ; j’applique un baume après rasage sans alcool ; je me taille les poils des narines avec une tondeuse spécialement conçue à cet effet ; je m’épile les oreilles à la pince; je me lave les dents à la brosse électrique ; je me lave les mains ; je me sèche les cheveux au séchoir avec une brosse à brushing ; je passe l’aspirateur et je me lave les mains. Je dois être sorti de la salle de bain à 7:00 dernier carat.

    Je suis maintenant dans la dernière ligne droite : Il me reste à faire mon lit au carré – sans doute une manie contractée durant mon service militaire. Et puis mettre ma chemise blanche repassée la veille : elle m’attend au garde à vous sur son cintre ainsi que mon costume. Alors arrive l’instant le plus délicat: nouer ma cravate.

410ed32280fdef85f4711e436edaa162.jpg    J’ai la marotte des cravates à motifs, de préférence géométriques, très souvent à rayures, et je dois donc ajuster le raccord au niveau du nœud. Un peu comme les raccords de papier peint, si vous voyez ce que je veux dire. Bien sûr, je pourrais tricher, serrer plus ou moins au niveau du cou de sorte que les rayures du nœud s’ajustent parfaitement aux rayures de la cravate. Mais alors la cravate flotterait autour du col de ma chemise, ce qui est inacceptable. Il me faut au contraire jouer sur la longueur de la cravate, au millimètre près, pour que tout soit parfaitement ajusté, et donc tout recommencer en cas d’échec. Chaque matin, j’ai droit à trois essais. Si je n’y parviens pas, je dois me résoudre à porter ma cravate grise unie, la cravate des très mauvais jours car avec l’entraînement et certains repères qu’il serait trop long de vous expliquer, je réussis souvent premier coup. Je sais bien que mon nœud ne va pas cesser de se relâcher au cours de la journée, mais je pourrai réajuster le raccord de ma cravate devant le lavabo des toilettes de ma société à chaque fois que je me laverai les mains.

    Je me lave les mains, j’enfile mes gants de cuir, j’attrape mon fidèle attaché case qui m’attend devant la porte et je la claque à 7:15. Je dévale la première volée de marches qui mènent à l’ascenseur, et je les remonte aussitôt quatre à quatre. Je dois bien sûr vérifier que toutes les serrures de la porte ont bien été fermées à double tour, ce qui m’oblige à ouvrir à nouveau la porte. J’en profite pour me déchausser, pour aller jusqu’à la cuisine afin de vérifier que le gaz a bien été fermé, et parcourir de fond en comble mon studio où je vis seul depuis que ma femme m’a quitté pour être tout à fait certain qu’aucune lampe n’est restée allumée. Tout cela demande une très grande concentration, car je dois être vraiment sûr que tout est bien contrôlé. Autrement je serais bien obligé de tout recommencer. Par conséquent, il me faut aussi contrôler ma concentration tout au long du processus qui doit me mener de chez moi jusqu’au pied de l’immeuble. Heureusement, j’ai trouvé une méthode infaillible : dès que je suis à nouveau sur le pallier, à 7:20 au plus tard, je descends chaque marche des escaliers en les comptant à voix basse. J’habite au troisième, il y a deux volées de 9 marches à chaque étage, ce qui nous donne 55 marches en comptant celle au pied de l’immeuble.

    Ce matin, tout allait de travers : 37 morts en Irak, 2 biscottes cassées et je portais ma cravate grise. J’ai croisé madame Dupré à 7:21 à la trente septième marche. Un signe du destin ; elle venait de sortir son caniche qui m’a reniflé le bas du pantalon en remuant la queue ; je ne me souviens plus très bien de ce qu’elle m’a dit, elle pleurnichait en s’excusant du dérangement à cause des obsèques de son mari, mais moi j’étais déjà en retard, je l’ai un peu bousculée pour passer mais je me suis pris les pieds dans la laisse du chien et j’ai perdu l’équilibre et le compte des marches il fallait tout recommencer tout et j’allais être en retard à mon poste pour la première fois en vingt ans de carrière c’est pour ça que je l’ai tuée monsieur le commissaire il faut que je me lave les mains je vous en prie !

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    J’ai inventé de toutes pièces cette petite histoire en réponse à la requête de Bric à Brac pour me faire avouer 5 manies. La voilà bien servie, tout comme je m’étais inventé des péchés de jeunesse lorsqu’on m’avait demandé 7 aveux inavouables. Et il faudrait en plus que je recopie les règles de ce courrier en chaîne en désignant d’autres victimes ? Sachez, ami tagueur, que toute requête de ce type ne sera pour moi qu’un sujet de fiction.