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30 novembre 2007

La marche du monde

FEMME 1 : Je n'ai pas mis les bonnes chaussures ce matin. Avec ces grèves, ce que j’ai mal aux pieds !

FEMME 2 : Moi, j’ai fait l’impasse sur l’élégance au boulot. Avec mes tennis, je peux même  courir. Regarde !

FEMME 1 : Attention !

La seconde femme trébuche sur Diogène assis par terre, avant que toutes deux ne prennent la fuite devant ses furieuses invectives.

DIOGENE : Pouvez pas regarder où vous mettez les pieds, non ? C’est incroyable ça ! Qu’est-ce que les gens ont à toujours cavaler ! Ils ne savent même pas où ils vont, mais ils y courent. Et ceux qui ont peur de se perdre, ils courent sur place sur des tapis roulant dans leur salle de gym ! Avant, c’était autre chose. Ce qui comptait, c’était l’être, qu’il soit individuel ou collectif.  Soit on était de naissance, comme Louis XIV le disait : « L’état, c’est moi ! ». Soit on naissait pas grand-chose et il suffisait d’y penser comme Descartes : « Je pense, donc je suis. ». C’est le capitalisme qui a tout bouleversé avec l’avoir. Pour être il n'est capital que d’avoir du capital, au point de ne même plus avoir besoin d’exister pour être une « personne morale ». Mais maintenant, il ne suffit plus d’avoir : on est passé à l’âge du faire. Faire croire qu’on fait ce qu’on a dit, et dire ce qu’on va faire croire. Faut s’agiter, se montrer partout, s’oublier dans l’action quand on ne se supporte plus ; paraître ce qu’on ne parvient pas à être. Tout ça pour réaliser, en fin de compte, qu’on s’est fait avoir. Le bougisme, voilà le mal du siècle ! Moi je vous le dis : Il est urgent de ne rien faire ! Il faut réapprendre les vertus de la méditation pour contempler la marche du monde. Qui peut observer la danse des  rayons du soleil levant dans la brume, la lumière dans le prisme du givre qui fond lentement, et qui s’écoule en rosée délicate ? Qui sait s’oublier dans le souffle de l’être suprême, virevolter en esprit et en vérité, comme une poussière parmi les poussières…

Une autre femme approche à pas vifs.

DIOGENE : À votre bon cœur m’dame ! Ayez pitié d’un cul-de-jatte philosophe !

Commentaires

Le vendredi 30/11/2007 à 13:27 par Ysé :

Elle est souvent comique, en effet, la marche du monde ou, tout au moins, pas si désespérée qu'on ne le pense. J'aime bien cette ironie et cette dérision qui permettent de mettre à distance et donc de prendre du recul.
Mais, personellement, je sais que je suis également atteinte de ce bougisme que tu évoques. Comment rester inactif, quand il y a tant à faire ? Mais parfois, l'on s'éparpille et notre marche vers on ne sait quel but s'avère aussi grotesque qu'inutile.
Je crois d'ailleurs qu'un certain président est également atteint de bougisme... Et s'il continue à brasser de l'air, on n'aura bientôt plus besoin d'éoliennes.

Le vendredi 30/11/2007 à 19:48 par Vagant pour Ysé :

Ton commentaire me fait penser à une vieille histoire : Lorsque Mitterand est mort, il est monté au paradis où l’attendait Saint Pierre. Saint Pierre l’a fait entrer dans une antichambre et là, surprise ! L’antichambre etait immense, elle s’étendait à perte de vue, et ses murs etaient couverts d’horloges. Oui, des horloges, mais des horloges un peu spéciales, dont la petite aiguille faisait de temps en temps un tour complet, alors que la grande aiguille bougeait à peine. Mitterand s’interrogea, demanda une explication à St Pierre
- Voyez-vous Monsieur le président, ce ne sont pas des horloges, mais des compteurs. Un peu comme vos vieux compteurs à gaz, sauf que ces compteurs là comptent les mensonges de chaque homme sur terre. Il y a donc un compteur par personne vivante. Grâce à cela, le jugement dernier est vite réglé !
- Ah mais c’est formidable, dit Mitterand angoissé. Pourrais-je voir le compteur de mon successeur, Jacques chirac ? Demanda-t-il ingénument pour se remonter le moral.
- Ah, celui-là n’est pas ici !
- Et pourquoi donc ?
- Il est dans mon bureau : il me sert de ventilateur.

Le samedi 01/12/2007 à 00:55 par M*** :

Je souscris à votre triste constat. Ce "bougisme" que vous décrivez justement s’applique aussi au domaine des relations humaines.
C'est une façon de vivre en permanence dans l"'effleurement" des choses et des êtres.
Pas l'effleurement que décrivaient les poètes romantiques, quand ils voulaient parler de respect, d’admiration, d'une chose ou d'un être que l'on n'osait approcher de trop près, que l'on voulait juste effleurer pour s'assurer que l'on pouvait entamer progressivement des rapports avec elle, savoir comment l'aborder, pour ensuite initier une rencontre, comme on écrit un concerto.
Non, les effleurements qui ont cours, souvent, en notre temps, sont ceux de la légèreté, de la superficialité, du vite fait-mal fait.
Comment s'étonner alors du nombre de dépressions qui augmentent ; les gens effleurent mais s'effleurent seulement aussi. Ils ne prennent plus le temps de méditer et de faire un retour dans leur profondeur. Et si d'aventure ils se trouvent confrontés à l'obligation de s'arrêter de gesticuler, de méditer sur certains "côtés sombres" ou sur leur fragilité inconnue, ils se trouvent sur une mer amère, ne parviennent plus à surnager et se perdent dans leurs gouffres inexplorés.
Il y aura toujours une main secourable, me direz-vous, pour éviter que cela n’arrive. Que nenni, les autres à qui l’on a reflété une image floutée : " Faire croire qu’on fait ce qu’on a dit, et dire ce qu’on va faire croire. Faut s’agiter, se montrer partout, s’oublier dans l’action quand on ne se supporte plus ; paraître ce qu’on ne parvient pas à être. ", ne sauront comment secourir quelqu'un qu'ils ne connaissent pas, qu'ils auront des difficultés à cerner, car cette personne ne leur aura montré au passage, que son capital, son paraître et non son essence.
Et ceux qui seraient censé jouer les bons samaritains, s'ils sont de la même eau, n’ont pas la méthode, car ils ne l'ont pas expérimentée sur eux même.
Je pense donc je suis- je doute donc je suis- je tire les enseignements de mes pérégrinations dans les mondes auxquels j'appartiens par la méditation, l'introspection ; donc je peux tenter de me situer par rapport à eux, les intégrer et partager ces positionnements avec les autres. (ou alors peut être se « désintégrer », mais suite à un choix « étayé », pas en ayant couru jusqu’à épuisement derrière je ne sais quel paradis consumériste.)
Ce ne devrait pas être un luxe, accordé à certains, pas parce que nous le « valons bien » , mais parce que nous sommes hors de prix, chacun et tous , et que nous méritons mieux que d'avaler notre monde sur le coin d'une table de fastfood .
Nous devrions le regarder, le découvrir, le comprendre, le goûter, en admirer le fragile ordonnancement, le penser, le rêver, pour nous et les autres êtres humains.
Mais ceci ne peut être fait qu'avec l'humilité et l'abnégation d'un artisan devant l'objet qu'il souhaite créer, façonner avec application, fignoler.
Il sait qu'il ne peut faire une réalisation qu'en ayant été à l’écoute, en ayant partagé les savoirs et l'amour de ces prédécesseurs ou compagnons pour l'ouvrage qui les réunit. Ceci ne peut être fait dans la précipitation et l'à peu près.
Que ne pourrions-nous être comme des artisans de notre existence, en prenant le temps de réaliser, de penser, d’apprendre, de partager en profondeur avec notre entourage, pour avancer ensemble. Et non pas courir, bouger pour survoler, surtout ne pas fouler, ne pas méditer sur le sens réel de nos vies.
C’est une erreur commune, que l’on soit sage ou fantasque : « créer une image rêvée dans le regard des autres pour échapper à nos vérités et continuer d’exister. »

Le samedi 01/12/2007 à 10:08 par Vagant pour M*** :

Quel commentaire ! Je ne crois pas que ma petite fable mérite une analyse aussi profonde, mais je me retrouve un peu dans votre conclusion, moi dont le récit de mes extravagances, entre sagesse et fantaisie, crée une image rêvée dans le regard de mes lecteurs… Je ne suis pas celui que vous croyez ;)