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30 mai 2014
On peut rire de tout – 3
Le 28 Septembre 1982 sur France Inter, Pierre Desproges prononçait son fameux réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen, face à lui, ou peut être légèrement de profil :
Alors le rire, parlons-en et parlons-en aujourd'hui, alors que notre invité est Jean-Marie Le Pen. Car la présence de Monsieur Le Pen en ces lieux voués le plus souvent à la gaudriole para-judiciaire pose problème. Les questions qui me hantent, avec un H comme dans Halimi sont celles-ci :
Premièrement, peut-on rire de tout ? Deuxièmement, peut-on rire avec tout le monde ?
A la première question, je répondrai oui sans hésiter, et je répondrai même oui, sans les avoir consultés, pour mes coreligionnaires en subversions radiophoniques, Luis Rego et Claude Villers.
S'il est vrai que l'humour est la politesse du désespoir, s'il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s'il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors, oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout. De la guerre, de la misère et de la mort. Au reste, est-ce qu'elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce qu'elle ne pratique pas l'humour noir, elle, la mort ? Regardons s'agiter ces malheureux dans les usines, regardons gigoter ces hommes puissants boursoufflés de leur importance, qui vivent à cent à l'heure. Ils se battent, ils courent, ils caracolent derrière leur vie, et tout d'un coup, ça s'arrête, sans plus de raison que ça n'avait commencé et, le militant de base, le pompeux PDG, la princesse d'opérette, l'enfant qui jouait à la marelle dans les caniveaux de Beyrouth, toi aussi à qui je pense et qui a cru en Dieu jusqu'au bout de ton cancer, tous, nous sommes fauchés, un jour, par le croche-pied de la mort imbécile et les droits de l'homme s'effacent devant les droits de l'asticot.
C’est ainsi que naquit le célèbre aphorisme « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde », devant le père Le Pen qui riait (de bon cœur ?). 32 ans plus tard, il rit encore avec le quart de la population française, tandis que le regretté Desproges a tout cédé à l’asticot. Est-ce la mort ou la vie qui est d’une impayable ironie ?
Après l’accusation, la parole fut donnée à la défense, incarnée par Louis Régo. Son sketch est extraordinaire. Il faut l’avoir vu ne serait-ce que pour constater la liberté d’expression dont on pouvait jouir à cette époque :
Qui pourrait rejouer un tel sketch aujourd’hui ? Allez, au hasard, voyons voir… Dieudonné ? Ni lui ni un autre à mon humble avis. Le premier à tenter ça aurait aussitôt La LICRA, le CRIF, BHL et Valls sur le dos. On peut toujours rire de tout, si on est un comique agréé qui reste sagement dans les limites de la bienséance légiférée, ou bien à huis clos, là où peut fermenter l’ignoble avant d’exploser dans ta face, faute d’avoir su à temps désacraliser la bêtise.
09:29 Publié dans Réflexions | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
Le vendredi 30/05/2014 à 22:18 par Carnets d'Eros :
Le tribunal des flagrants délires, c'est bien ça l'émission ?
France Inter, j'ai arrêté d'écouter depuis que Didier Porte et Stéphane Guillon ont été virés.
Depuis que Pascale Clarke (orthographe ?) se moque et ridiculise les "petits" candidats aux présidentielles et ne pose que des commentaires convenus sur les futurs gouvernants, depuis que Guetta, nous sert toujours la même soupe libérale, sans le moindre soupçon d'esprit critique. On ne touche pas au dogme sur France Inter !
Les journaleux veillent
CdE
Le vendredi 30/05/2014 à 22:35 par Carnets d'Eros :
C'est vrai que c'était complètement hilarant et fou ce tribunal sur France Inter !
Le samedi 31/05/2014 à 00:02 par Vagant :
@CdE: mon propos n’était pas tant de parler de France Inter (toutes ces radios de propagande, pardon, d'information mainstream se valent) mais de ces deux sketchs en particulier. Celui de Luis Rego ne serait pas jouable aujourd'hui, certainement pas à la télé, ni à la radio, ni même dans un sombre théâtre confidentiel.
Le samedi 31/05/2014 à 11:41 par Carnets d'Eros :
J'avais bien compris Vagant et en citant les cas de Porte et Guillon, je voulais évoquer ce recul de la liberté de ton sur cette station. D'ailleurs il faudrait préciser que selon qui est l'objet, ou la cible des humoristes on peut, ou pas, se montrer caustique, on peut, ou pas faire de l'humour. Sur France Inter, Jacques Cheminade, Philippe Poutou, tu peux rire mais DSK tu peux déjà un peu moins ! Du moins à l'époque où il était fréquentable car présidentiable.
Ça fait partie de la propagande dont tu parles.
CdE
Le samedi 31/05/2014 à 11:45 par Carnets d'Eros :
Et Luis Régo, ce sketch ? Tu parles, aujourd'hui tous les ministres de l'intérieur et les ligues bien pensantes de droite, de gauche, d'ici et d'ailleurs l'aurait pendu en place publique, j'en suis convaincu.
J'adorai cette émission.
Le lundi 09/06/2014 à 19:15 par Comme une image :
Oui, dans un genre moins décapant, un film comme « Rabbi Jacob » aurait du mal à passer dans la société actuelle...
La parole s'est libérée sur certains sujets mais s'est bridée sur d'autres...
Le lundi 09/06/2014 à 23:01 par Vagant :
@CUI: Rabbi Jacob... je ne sais pas. "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu" qui accumule les clichés passe sans problème. La parole s'est effectivement libérée à propos de l’homosexualité depuis les années 80, sujet qui est devenu un créneau politique dans lequel s'est engouffré le PS faute de pouvoir agir par ailleurs...
@CdE: DSK aura toujours de meilleurs avocats que Philippe Poutou.