27 mai 2007
Angoisses balnéaires d’un quadragénaire
Je suis arrivé au bout du chemin. Devant moi, des chairs rougeâtres, luisantes, des corps dénudés, alanguis, qui s’étendent à perte de vue. Après plus rien. Si, une énorme étendue d’eau. J’ai posé le pied sur le sable brûlant qui ne me laisse que quelques secondes pour trouver où étendre ma serviette. A côté de cette bande de banlieusards qui rigolent assis en rond ? Derrière ce couple de petits vieux réfugiés sous un parasol hors d’âge ? J’opte pour une position plus tactique à côté d’une allemande qui rissole, les ray bans dirigées vers un magazine style Voici en version teutonique.
J’ai horreur du soleil. Ça me fait rougir comme une écrevisse. Alors je garde mon tee-shirt, même si ça masque les vestiges de mon corps d’athlète. Mais si, j’ai de beaux restes ! Je pourrais entretenir une bouée à la Kro alors que je n’ai qu’une calvitie naissante habilement masquée par une casquette I Love NY dont la visière empêche mon pif de ressembler à une bite rougeâtre et tuméfiée. A propos, je me couche sur le ventre c’est plus sûr, avant de laisser aller mon regard sur les seins bruns et galbés qui reposent à portée de main…
« Vous voulez que je vous mette de la crème ?» Je me rends compte du ridicule de ma question devant son regard interdit. Bien sûr, elle ne parle pas un mot de français, ni moi un mot d’allemand alors vaille que vaille, j’empoigne un des tubes dont sa serviette est cernée, j’en extrait une généreuse noix de crème bien onctueuse, je la recueille au bout de mes doigts fins et délicats, et je l’étale sur sa peau nue. Son sourire béat est la meilleure des invitations et je passe de ses épaules à sa poitrine, progressant géométriquement vers la pointe de ses seins comme si je dessinais une coquille d’escargot. Et ça lui plait ! Je le vois à ses tétons qui se dressent au fur et à mesure, à son visage qui ne rougit pas qu’à cause du soleil, à son regard brillant qui m’éblouit même derrière ses lunettes solaires…
La femme a soulevé ses ray bans pour me fusiller d’un regard impitoyable. J’ai eu beau rester sagement sur ma serviette à la distance réglementaire, le voile qui a dû passer devant mes yeux aura trahi la nature de ma rêverie, ce que mon sexe ne démentirait pas. Heureusement que je suis sur le ventre. Je songe un instant à amadouer le gorille à tête rouge qui vient de se redresser à ses côtés, le rictus menaçant, mais je me souviens à temps qu’il pourrait mal interpréter la vue de mes dents, et je préfère contempler le mégot de cigarette qui émerge du sable, juste sous mon nez, dans une position de parfaite soumission comme je l’ai vu à la télé dans nos amies les bêtes.
Une partie de mon champ visuel m’étant désormais rigoureusement interdit, je décide de tourner la tête de l’autre côté, vers la mer et ses reflets ultra violets qui agressent aussitôt mon visage à grands coups de photons cancérigènes. Je regarde les promeneurs en ombres chinoises. Surtout les filles. Immanquablement mon esprit est assailli par une chanson, J’aime regarder les filles de Patrick Coutin, véritable ode à la frustration sexuelle qui a bercé mon adolescence.
J’aime regarder les filles qui marchent sur la plage
Quand elles se déshabillent et font semblant d’être sages
J’AIIIIIIIIMEEEEEEE
J’aime leur poitrine gonflée par le désir de vivre
Leurs yeux qui se demandent : mais quel est ce garçon ?
J’AIIIIIIIIMEEEEEEE
D’ailleurs il y en a une qui me plaît beaucoup. Je me demande si elle est majeure. Ses petits seins haut perchés, caressés par une cascade de cheveux bouclés qui coule sur ses épaules, s’écoule entre ses frêles omoplates, ses reins couleur tabac, ses fesses rondes et pleines et ses bras qui enlacent le cou du surfeur, sa planche sous le bras, les cheveux en bataille et les dents blanches. Ce soir, en boîte, j’irai la draguer. Assise au bar, elle regardera avec condescendance son petit ami faire le mariol, décidément trop jeune pour elle. Moi, sûr du charme de mes tempes grisonnantes et de mes churchs toutes neuves, j’irai m’asseoir à côté d’elle et je lui proposerai un Malibu. Elle acceptera en minaudant avant de m’avouer qu’elle déteste le surf, qu’elle a besoin d’un homme qui peut lui apprendre les choses de la vie, d’un homme mûr alors que ce petit con la délaisse, et qu’il a besoin d’une bonne leçon. Alors ils partiront à l’hôtel et moi je les suivrai. Arrivés dans la chambre elle le déshabillera avant de l’attacher sur le lit et de m’ouvrir la porte. Il gueulera comme un putois quand elle le fouettera, flagellant son gros vit long et large qui crachera toute sa rage pendant que j’enculerai la fille, et je les regarde s’éloigner tous les deux, enlacés, amoureux, tout au bout de la plage.
Il était temps que je me réveille, je ne peux vraiment plus bouger sans risquer d’être interpellé pour outrage aux bonnes mœurs. Il ne me reste plus qu’à regarder droit devant moi, en espérant tomber sur un spectacle qui ne m’échauffera pas les sens, et en voyant les deux petits vieux toujours planqués sous leur parasol je me dit que je mes vœux ont été comblés au delà de mes espérances. Ils écrivent une carte postale. Ils le font à deux vu l’ardeur de la tâche, ils le font à deux comme tout le reste d’ailleurs, à deux comme les deux pieds d’un boiteux qui avance cahin-caha. La vieille a oublié ses lunettes, éternel prétexte pour masquer ses fautes d’orthographe, et elle dicte la lettre à son mari, en hurlant parce qu’il a oublié sa prothèse audio, éternel prétexte pour avoir un peu la paix. Alors toute la plage en profite :
« MON PETIT PIERRE, NOUS AVONS UN TEMPS MAGNIFIQUE À PALAVAS LES FLOTS. IL FAIT MÊME UN PEU CHAUD. QUEL DOMMAGE QUE TU NE SOIS PAS VENU ! TU MANQUES BEAUCOUP À TA VIEILLE MAMAN ET TON VIEUX PAPA… »
Le vieux sue à grosses gouttes parce qu’il est obligé d’écrire de plus en plus petit. Je l’entends maugréer d’ici. S’il avait oublié ses lunettes, il s’en serait tiré avec un « il fait beau grosses bises », mais là, il va devoir tout écrire, et il sent bien que ce n’est pas fini.
« …NOUS PENSONS BEAUCOUP À TOI EN VOYANT LES PETITS ENFANTS À QUATRE PATTES SUR LE SABLE. DIRE QU’IL N’Y A PAS SI LONGTEMPS TU SAUTAIS SUR MES GENOUX. À PEINE 35 ANS, DÉJÀ… »
Le vieux a arrêté d’écrire. Il fait semblant. De toutes façons elle ne pourra pas relire. Juste une petite tromperie sans importance. Je me demande depuis combien d’années ils ont arrêté de baiser. Et je sens une petite main se poser sur moi : « Papa ! Papa ! Fais-moi un château ! »
07:50 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : plage, Coutin, Littérature