07 mai 2007
Style blog
Microfictions de Thierry Jauffret a peut-être été encensé par la presse mais moi, je n’ai pas pu le terminer. Ce n’est pas à cause de son épaisseur même s’il fait tout de même plus de 1000 pages, ni de son style à la fois percutant et recherché mais qui reste bien loin des arcanes grammaticales Proustiennes, ni même de sa forme narrative originale, non, ce que je n’ai pas supporté, c’est le fond.
Microfictions n’est pas un roman puisqu’il n’y pas d’unité de lieu ni d’action, mais un recueil de courtes nouvelles qui pourraient avoir été autant de notes d’un blog exclusivement dédié au cynisme le plus désabusé. Chacune de ces 500 nouvelles classées par ordre alphabétique fait exactement deux pages et elles partagent toutes une identique inhumanité. Jauffret jette un regard bienveillant sur les atrocités du monde, au travers des yeux du protagoniste principal de chacune de ses histoires sordides racontées à la première personne, que ce soit le point de vue de la victime ou celui du bourreau. Ce parti pris récurrent de l’immoralité, non pas au sens pudibond du 19ème siècle mais au sens humaniste actuel, devient rapidement si nauséeux que la lecture de chaque nouvelle nécessite un véritable effort de volonté. Pour illustrer ma pensée, voici la première page de ce livre, c'est-à-dire la moitié de la nouvelle intitulée Albert Londres assez représentative des autres:
Nous avons filmé ces scènes de torture et de meurtre afin d’en dénoncer le caractère intolérable et la barbarie. Vous ne pouvez pas reprocher à une chaîne d’information de montrer la réalité. S’il est bien évident que nous blâmons leur conduite, nous devons aussi rendre hommage à ces tortionnaires de nous avoir permis d’apprécier à sa juste valeur le prix du bien être de la vie. Il est vrai que nous nous sommes rapprochés d’eux peu à peu.
- Ils sont devenus pour ainsi dire des relations de travail.
Et en définitive nous avons noué avec certains des liens d’amitié. Ils nous ont aidé dans notre tâche, évitant par exemple de faire exploser les otages, ce qui se serait traduit à l’image par une épaisse fumée monochrome peu propice à l’accroissement de l’audimat.
- L’exécution des enfants apitoyait les classes supérieures comme les plus mal lotis.
Nous allions jusqu’à drainer plusieurs millions de téléspectateurs en plein milieu de la nuit . Mais ces pratiques déplaisaient aux annonceurs, qui redoutaient notamment une atteinte à l’image de marque de leurs produits pour bébés.
- Nous leur avons donc demandé de les épargner.
Nombre de gamins nous doivent la vie, même s’ils restent toujours détenus dans des caves et des carrières désaffectées dont par déontologie nous refuserons toujours de révéler l’emplacement aux services de police […]
À propos de police, j’ai été faire un tour à la Fnac pour changer d’air et devinez sur qui je suis tombé : Bénédicte en tête de gondole ! Du coup, je l’ai prise sur place, enfin, j’ai pris son bouquin et aussi un génialissime Kundera que je n’avais pas encore lu mais c’est une autre histoire. Comment ? Vous ne connaissez pas Bénédicte, ami lecteur ? Ben moi non plus à vrai dire. Lib m’en avait parlé, j’avais été voir son blog démantelé par nécessité commerciale, et les quelques notes survivantes m’avaient bien plu. Police, le blog d’un flic, n’est donc plus un blog mais un site web promotionnel du premier roman de Bénédicte Desforges, FLIC, dont la forme est similaire à Microfictions : Une succession de nouvelles brèves dont chacune raconte une anecdote issue du quotidien d’un policier, à la première personne du singulier dans un style simple et percutant. Et dans l’horreur, cette réalité là dépasse largement la fiction.
Toute la différence se situe dans le regard de Desforges: le parti pris du narrateur protagoniste est résolument humain. Il ne s’agit pas là d’humanisme institutionnel, ni d’une profusion de bons sentiments, mais de véritable compassion. Et cette compassion passe aussi par le jugement, par le choix du bien contre le mal avec son lot d’arbitraire:
J’ai menotté des gens qui avaient battu, volé ou tué, j’ai menotté des toxicos en manque qui avaient tout cassé dans leur propre maison, pour ne pas qu’ils finissent par se faire mal, j’ai menotté des cambrioleurs en flagrant délit en train de dépouiller plus pauvres qu’eux, j’ai menotté des gens violents pour qu’ils me foutent la paix et pour ne pas m’en prendre une, j’ai menotté un père qui avait violé sa fille, et un collègue a menotté la mère qui ne voulait pas qu’on menotte le père pour « ça », j’ai menotté des gens qui avaient comme seul tort d’être là au mauvais moment, j’ai menotté par erreur, j’ai menotté des vrais cons et des braves cons, j’ai menotté vraiment plein de gens.
Ses récits embrassent toute la palette des couleurs de la vie, du rire aux larmes, loin de l’uniforme gris sinistre de Microfictions. Résultat, j’ai dévoré FLIC en deux jours avec un vif plaisir. Je ne résisterai donc pas a celui de recopier l’hilarante anecdote du jeune policier enthousiaste :
Il était parti passer le week-end chez sa grand-mère, fier de pouvoir exhiber son enthousiasme et son matériel rutilant tout juste sorti de l’emballage. D’un air malin, il avait sorti les menottes de sa poche. « Mémé, je vais te montrer comment ça marche… ». Il l’a menottée, et en même temps qu’il serrait les bracelets sur les poignets de l’ancêtre, il s’est rappelé que la clef était restée dans son placard.[...]
J’espère qu’on ne me passera pas les menottes pour cette petite entorse aux droits d’auteur…
07:00 Publié dans Réflexions | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : Agrafe, Livres, Microfictions, FLIC, Jauffret, Desforges, Littérature