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07 juin 2007
Au réveil
La Villa Royale Montsouris est un petit hôtel de charme parisien à l’ambiance Mauresque. Crépi ocre rustique, robinetterie de cuivre, faïences marocaines, tentures pourpres et couvre lit en lin assortis… si on s’abstient de regarder par la fenêtre qui donne sur les boulevards des maréchaux, on pourrait se croire à Marrakech, dans la chambre d’une de ces riads modernisées par un architecte tant la décoration fourmille de détails recherchés. Il ne mérite sans doute pas ses quatre étoiles au vu du peu de services offerts, et il semblerait d’ailleurs que cet hôtel ait été déclassé, mais c’est (ou bien était-ce) sans aucun doute un très bel endroit pour y inviter sa maîtresse et s’offrir un avant goût de mille et une nuits de plaisir en une seule soirée. Je garde ainsi deux souvenirs de cet hôtel. Un seul et unique après-midi avec une jeune femme en tous points remarquable dont je vous parlerai un autre jour si vous êtes sage, et une nuit avec Jeanne.
Jeanne était descendue sur Paris pour me retrouver ainsi que des amis qu’elle n’avait pas vus de longue date. Invitée à dîner avec eux, elle m’avait promis de ne pas s’éterniser et de me retrouver à l’hôtel dans la soirée. Bien entendu, le dîner s’était prolongé, et je l’avais attendu face à la télé, tout seul dans ma chambre marocaine avant de prendre un livre et finir par m’assoupir.
J’ai été tiré de mon sommeil au milieu de la nuit en entendant frapper. Je me suis levé, et j’ai titubé jusqu’à la porte de la chambre. J’ai ouvert. C’était Jeanne. Allez savoir pourquoi, je crois que je me rappellerai toujours ce moment là. En un clin d’œil, son regard a balayé tous les reproches que je lui aurais fait si je n’étais pas ramolli de sommeil. Elle s’est précipitée dans la chambre et presque sans me dire un mot, elle m’a poussé sur le lit pour se jeter sur moi. Nous avons fait l’amour comme des fous, comme des bêtes, vite et mal et c’était bon. Oui, c’était bon après la déception d’ouvrir les yeux sur un bonheur simple, comme un enfant qui se réveille heureux sous le regard bienveillant de sa mère (et grâce à ce regard là) après s’être endormi en larmes parce qu’il ne voulait pas aller se coucher.
Je me demande si pour devenir l’« adulte responsable » attendu, on ne doit pas bâillonner la part d’enfance (et donc d’illusion) qui subsiste en nous, et par la même perdre le pouvoir magique de n’avoir qu’à fermer les yeux sur la tristesse pour les ouvrir sur le bonheur. Pour reconquérir ce pouvoir là, peut-être faut-il simplement admettre que le bonheur peut changer de visage pendant la nuit.
07:35 Publié dans Réflexions | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Expériences, jeanne, hôtel
Commentaires
Le jeudi 07/06/2007 à 09:21 par amIwrong :
Si tant est que le bonheur n'ait qu'un seul visage, ce que je refuse de croire ! ;-)
Très jolie "coffee note", monsieur Vagant, merci :)
Le jeudi 07/06/2007 à 11:37 par Six :
Très belle note que vous signez là, qui donne envie de rencontrer Jeanne, décidément car une femme qui inspire de telles conclusions ne peut être qu'exceptionnelle.
Etre toujours prêt à acceuillir un bonheur au visage changeant, rester un receptacle à un bonheur nouveau même quand le bonheur est là, ou qu'il a laissé des traces de tristesse, s'agripper moins aux moments et vivre les instants, en quelque sorte; oui il y a toute la magie de l'enfance là dedans.
Le jeudi 07/06/2007 à 15:01 par Madame B :
J'ai mon idée sur le moment où " l'on devient un adulte responsable" je pense que c'est lorsqu'on perd ses parents (ou parfois quand on le devient ) ce qui ne nous empêche pas de garder au fond un peu d'insouciance :)
" vite et mal, c'était bon " quelques mots, tout est dit ;)
Le vendredi 08/06/2007 à 13:58 par Georges à Vagant :
une femme qui s'introduit comme ça en pleine nuit dans votre chambre, mmm... comme cela doit être agréable.... terrorisant aussi!
Le vendredi 08/06/2007 à 17:33 par Vagant :
Am I Wrong & Six, je cultive l’ambiguïté avec mes notes relatives à Jeanne, au point de laisser parfois comprendre le contraire de ce que je veux dire... Une chose est sûre, je suis convaincu que le bonheur peut avoir plus d’un visage.
Madame B, je ne crois pas, ou plutôt je n’espère pas que le deuil soit nécessaire pour accéder à l’autonomie psychologique à l’entrée dans l’âge adulte. C’est comme si vous me disiez qu’il était nécessaire de tuer physiquement le père pour en devenir un à son tour.
Georges, ce n’est pas le même contexte que celui que vous citez. En l’occurrence, j’attendais Jeanne (et non pas une inconnue) à laquelle j’ai ouvert la porte. Elle ne s’est donc pas introduite subrepticement dans ma chambre, et je n’étais absolument pas terrorisé.
Le mardi 12/06/2007 à 11:12 par Madame B :
Pour faire simple, ce qui a été valable pour moi ne l'est pas nécessairement pour les autres c'était donc juste "mon" idée sur la question, rien de plus.