10 avril 2014
Mise au point - 2
Estrella Mar
Pluginude
avril 2014
Photographie couleurÀ l’origine de cette série, il y a une véritable volonté de l’artiste de mettre en valeur le nu masculin en évitant tout à la fois la virilité du nu héroïque et le corps dans sa dimension sexuelle voire pornographique. Nous sommes donc loin des clichés habituels de corps musculeux ou asexués tels qu’on peut les voir dans les magazines de mode. Le parti-pris est clair : photographier les hommes, dans leur nudité la plus élémentaire, sans fioritures et sans érotisme sous-jacent.
La forêt offre un décor naturel avec le sol jonché de feuilles au premier plan, tandis que des arbres se dressent à l’arrière-plan. Au centre de la composition, un homme nu git sur deux troncs d’arbres fraichement coupés. Le corps est en tension, voire en torsion comme l’indiquent l’épaule droite légèrement relevée et le muscle de la cuisse, bandé. La pose diffère peu des académies chères aux étudiants des Beaux-arts. Ce corps s’intègre parfaitement aux éléments qui l’entourent ne serait-ce que parce qu’il épouse la ligne d’horizon rythmée par les arbres.
On ne peut regarder cette œuvre sans penser à Rodin et à ses naïades qui se fondent dans le bloc de marbre. Ici, il n’est cependant pas question de volupté. Thanatos ne semble pas plus représenté qu’Éros puisque le gisant n’a rien d’une victime présentant son cou au bourreau. Dans le plus simple appareil, à la fois fort et fragile, l’homme se fait offrande. Ce ne sera ni un bouquet, ni un banquet mais bel et bien son corps nu enté sur le tronc d’arbre. Il s’abandonne dans un élan vitaliste. Ses bras et ses jambes enserrent le tronc telle une étreinte, une caresse où la chair se fait jeune pousse. Loin de s’opposer la rude écorce moussue et la peau quasi marmoréenne de l’homme ne font qu’un. Entre l’homme et la nature, plus de lutte mais un moment de grâce et d’harmonie.
Finalement, n’est-ce pas ici le premier homme qu’on retrouve, un Adam avant la chute dans son home des bois ?
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Nu, suspendu entre ciel et terre, je voyais les arbres couchés en rangs serrés.
Nu, branche incongrue d’une souche amputée, poussé là pour elle.
Nu, presque en hiver, elle au printemps.
Dans cette notice de musée facétieuse, Mathilde analyse avec justesse l’objectif de l’artiste et esquisse avec finesse mes motivations profondes de modèle : ces photos sont bien une offrande. À l’orée de la cinquantaine, objectivement sur le déclin, je m’étais dit que cette séance était une des dernières occasions d’avoir une photo de moi de qualité, où mon corps nu ne serait pas grotesque, afin de lui en offrir un tirage en souvenir de moi, en souvenir de nous. En voyant la pose académique, j’ai immédiatement pensé à Rodin et Claudel, et mes souvenirs m’ont projeté sept ans auparavant, au musée d’Orsay le jour de notre premier rendez-vous devant « l’âge mur ». J’avais alors été frappé par les stigmates de l’âge qui caractérisaient la représentation de cet homme, en opposition à la fraicheur de la jeune fille implorante à ses pieds. Une rencontre à l’aune du temps qui passe. Ces stigmates, je les vois aujourd’hui bourgeonner sur cette jambe qui semble pousser sur le tronc malgré la bienveillance de l’artiste qui aura su m’épargner les clichés les moins flatteurs.
Je ne m’embourberai pas davantage dans un apitoiement dramaturgique mais soulignerai la gentillesse et le sérieux de Véronique alias Estrella Mar. Pour poursuivre son projet sur le nu masculin, elle recherche des modèles amateurs, de tout âge et de tout type physique, qui pourront lui accorder quelques heures pour des prises de vue dans la nature en Ile de France. Avec elle, naturisme ne rime pas avec érotisme mais s’attache à la racine du mot pour nous montrer des corps au naturel, et nous affranchir des stéréotypes photoshopés, comme Véronique le dit si bien elle-même : « Toutes ces petites imperfections font toute l'humanité d'un corps, le touchant du vécu, du temps aussi, bien sûr. Ce n'est pas évident de se voir nu à travers le prisme d'une photo, de se confronter à sa propre image mais je trouve qu’il y a quelque chose de sain dans cette confrontation, on finit par arriver à une bienveillance sur son propre corps ». À méditer ; à (se) poser.
22:13 Publié dans Réflexions | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : mise au point, photo, mathilde