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13 avril 2007

In Clito Veritas (2)

La courtisane contacta en grand secret cinq de ses intimes. Elle les choisit pour leur rouerie, bien sûr, mais surtout pour leur silhouette proche de la sienne, élancée et gracile. Elle leur apprit le jeu, leur donna le secret de ses parfums et crèmes, pour que toutes fussent enveloppées du même nuage odorant. Toutes s'épilèrent de la même manière. Perfectionniste, la courtisane organisa des soirées où ses amies purent voir sa façon de bouger, d'onduler sur les corps masculins. Amusées, elles copièrent ses mouvements de hanches, ses indéfinissables langueurs, ses abandons et ses reprises. En quelques jours d'essais assidus, la coquine cohorte connaissait tous les vices et artifices de la taquine maîtresse.

La petite courtisane n'avait pas eu une vie facile, luttant de ses seuls charmes pour être partout la première. Très vite, elle avait compris le pouvoir du sexe sur la gent masculine, appris les secrets de la séduction. Elle avait conquis les plus grands, mis à ses pieds les plus riches, au prix de parjures et de trahisons qui ne lui importaient pas. Elle ne connaissait ni l'amour, ni le remords. L'œnologue fut une proie en vogue pour ses compagnes, elle décida donc de l'avoir. Par jeu, par provocation, par fierté.

Elle l'eut donc, avant de comprendre que la réciproque était vraie, pour la première fois. Il refusait de lui donner son nom. Et elle dissimula sous une apparente indifférence ce qui n'était que sa première douleur de femme amoureuse. Elle organisa donc ce jeu, mettant au défi son talent, pour enfin, espérer être à lui sous le prétexte avouable d'un accomplissement social qui soudain lui semblait vain. Sa moue à lui devant sa proposition montra qu'il fut dupe, il la crut vénale, et ce regard glacé manqua la faire tituber de douleur. Ils ne s'étaient jamais avoués leur amour, par fierté, par peur de n'être chéris en retour.

Le cœur du château de Castignac n'est pas la majestueuse salle de réception, ornée des armoiries séculaires, ni les cuisines médiévales, ni les multiples chambres dont les noms évoquent tout l'arc en ciel. Non, le cœur du château, ce sont ses fondations, les antiques caves voûtées, le repère de monsieur l'œnologue, le centre de son monde. Et ce soir, sur l'imposante table en chêne massif qui accueille la dégustation des meilleurs crûs, ce ne sont pas de précieux millésimes qui sont alignés, mais monsieur l'œnologue lui-même qui est enchaîné, allongé, les yeux bandés, attendant patiemment le début de la dégustation.

Enfin, projetée par les torches suspendues, une ombre s'avance, dansante, tremblante, déformée jusqu'à être grotesque, mais néanmoins émouvante, plus précise lorsque celle qui en est la cause se glisse sur la table, écarte les cuisses pour enjamber le visage du dégustateur, silencieusement. Monsieur l'œnologue perçoit la douce chaleur de l'intimité offerte, un parfum artificiel masquant le bouquet intime, ténu, imperceptible au commun des mortels, mais qui se révélera au cours de la dégustation.

Méthodiquement, de la pointe de la langue, son seul organe libre de mouvement, il parcourt le pourtour des lèvres offertes, du périnée au clitoris, pour jauger la forme et la taille de ce calice. Fin, allongé, apparemment étroit, celui ci lui évoque immédiatement une flûte à champagne. A ce subtil contact la belle émoustillée libère tous ses arômes, légèrement fruités bien qu'encore fermés, qu'il hume, alternant les inhalations courtes, puis profondes, en douceur puis insistantes, alliant bientôt la langue au nez pour libérer la divine liqueur, s'apprêtant à la tirer du cœur de l'intimité offerte. Mais c'est elle qui vient à lui, abondante, satinée voire festive, dans un orgasme explosif qui retentit en un rire cristallin. Il s'en délecte. S'impose alors à lui le portrait d'une jeune fille, blonde, fine, exubérante jusqu'à l'effervescence, et qu'il se plait à imaginer champenoise. Assurément, ce n'est pas elle.

Ainsi continue cette étrange dégustation, de filles en femmes, d'extases en ivresses, Sud- Africaine callipyge et charnue, Savoyarde lippue et longue en bouche, Australienne ouverte et souple, Alsacienne fraîche et capiteuse, imperturbable défilé dont monsieur l'œnologue sort excité mais épuisé, au bord de la rupture mais frustré, surtout de ne pas avoir encore reconnu sa belle parmi celles qu'il a dégusté. Il en reste une, ce ne peut être qu'elle.

Au rythme de ses pas élégants et racés, à peine s'est-elle approchée qu'il l'a reconnu. A ses arômes complexes aux notes exotiques d'épices et d'herbes, à peine s'est-elle installée qu'il en est sûr. Il ne la dégustera pas. Non. Il savourera sa volupté sensuelle et décadente, jusqu'à la jouissance, les larmes aux yeux. Il doit maintenant donner son choix puisque l'heure du verdict a sonné...

Elle avait regardé ses compagnes chevaucher son amant, offrir leurs croupes affriolantes, le cœur battant. Au fond d'elle-même, elle souhaitait tellement qu'il la reconnût, qu'elle fût unique à son âme. Elle s'était approchée, tremblante, avait senti ses caresses adorées, eut envie de cesser ce jeu idiot pour le serrer contre son cœur. Mais déjà, il avait fallut partir, écouter le verdict.

"La première" dit-il d'une voix étranglée.

La douleur qui la transperça dépassa la joie d'être enfin l'épouse. Les larmes coulèrent, brûlantes, et toutes ses complices furent bouleversées de son émotion de jeune mariée. L'œnologue, lui, avait quitté la salle.

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J'ai écrit ce texte en 2001 avec Carole. Je ne peux songer à elle sans émotion, pensez-donc, une de mes premières amantes et sans doute ma première liaison. Chacun d'entre-nous avait écrit quelques paragraphes de cette courte nouvelle. Ces paragraphes apparaissent avec une couleur de fond différente selon son auteur. Saurez-vous retrouver qui a écrit quoi ?

Commentaires

Le vendredi 13/04/2007 à 09:04 par pateric :

"Le jeu de la vérité", en prime time ?
Il ne manque plus que le sortilège à transporter les effluves et les arômes, jusque dans le débordement des mots écrits.

Le vendredi 13/04/2007 à 09:12 par Élise :

Pour ma part, tenter de reconnaître quels sont les paragraphes issus de ta plume, me semble impossible.
Impossibilité certainement causée par cette fusion qui a dû être la vôtre à l'époque. Je vous envie d'avoir vécu celà !!!

J'aimerais écrire aussi lipidement, aussi joliment avec cette légèreté et profondeur mélangées...
Bravo

Le vendredi 13/04/2007 à 09:49 par Sapheere :

assurément je t'ai reconnu Monsieur Vagant.
Très belle histoire, contée à quatre mains.

Le vendredi 13/04/2007 à 10:31 par Vagant :

Alors Paterick, pour qui votes-tu ? Je suis en blanc sur fond noir ou en noir sur fond blanc ? Ne me dis pas que tu votes blanc ! Pas d'abstention, ni d'abstinence...

Non Elise, pas de fusion, cela ne mène qu'à la confusion. En vérité, notre relation fut légèrement déséquilibrée. Elle m'a aimé plus que je l'ai aimé. Te sens-tu toujours incapable de faire la part des choses ?

Tu penses donc m'avoir assurément reconnu, Sapheere ? Alors, qui suis-je ?

Le vendredi 13/04/2007 à 10:55 par Mathilde :

Je dirai pour ma part en blanc sur fond noir. (je croise les doigts pour ne pas me tromper).

Le vendredi 13/04/2007 à 11:41 par sapheere :

comme Mathilde, blanc sur fond noir

Le vendredi 13/04/2007 à 12:35 par Élise :

Alors... Si tu dis qu'elle t'a aimé plus que tu ne l'as aimée, je dirais "écriture blanche sur fond noir"...

Le vendredi 13/04/2007 à 13:58 par electron libre :

vagant blanc,carole fond noir.

Le vendredi 13/04/2007 à 14:21 par pateric :

Qu'est-ce qu'on risque ? Fifty, fifty ?
Qu'est-ce qu'on gagne ? Fifty, fifty ?
En tout cas je sais qu'on y gagne pas un "Margaux", ni un Saint : Saint Emilion, bien sûr ! On y gagne pas davantage un saut terne et ce n'est pas Graves ! :-)) ; (!) ça va? je suis pas trop mauvais en bord d'eau... Non, parce que j'aimerai pas trop que tu prennes des mesures de Cahors cission ! Parce que j'Eyquem pas ça du tout...
Bon, revenons à nos pépins (de Gars berné) : je pencherai (légèrement, pas trop : veux pas chuter) pour les cris en blanc sur fond noir de Cire à nos de Bergerac !
fouahhh, fouahhh... MDR !

Le vendredi 13/04/2007 à 14:51 par Un mot hésitant :

Alors-là, cher Vagant, vous nous posez une vraie colle vu le sujet. Que disent les sondages (l'échantillon doit être représentatif) pour aiguiller le flair d'un indéci? Faudrait pas que le vote soit nul vu l'enjeu.

Merci en tous les cas aux co-auteurs pour cette belle prose toute rose en noir-et-blanc et bravo d'être tous les deux arrivés au deuxième tour. Rien d'étonnant: quel excellent programme de gouvernance d'union même s'il date un peu. C'est du Chasse Spleen.

Le vendredi 13/04/2007 à 14:59 par France B :

pateric, t'as pris des "Médoc"s ?

Le vendredi 13/04/2007 à 16:18 par sapheere :

>>> Pateric et la blonde, clap clap clap !!! très drôle !!:-)

Le vendredi 13/04/2007 à 23:33 par Comme une image, verbologue :

Je pense que Vagant écrit en noir sur blanc.
Mais je refuse de l'épouser si je me trompe.

Le samedi 14/04/2007 à 09:40 par pateric :

--> France B - Voui ! Je me soigne aux tânins (principalement Madiran et Gaillac). Et aussi aux castagnes (j'en ramasse des tonnes) : c'est pour ça que parfois ça bogue !

Le samedi 14/04/2007 à 13:30 par vintage :

Comment alors qu'elle prétend son amour meurtri par cet apparent manque de discernement, ne l'aime-t-elle pas suffisamment pour se rendre compte qu'il s'est volontairement trompé pour perdre, sa fierté enfin vaincue, et l'épouser, déposant ses armes les plus chères à ses pieds ?

Ce manque de confiance dénote--til finalement un amour plus fier que sincère ?

Lui pardonnera-t-il un jour de cette hésitation ?
Et, plus douloureux sans doute, se le pardonnera-t-elle elle même un jour ?

Alors qu'elle aurait pu tout aussi bien jouer elle même toutes les candidates sous des déguisements artificiels, pour le tromper tout en étant sûre de gagner.

Ce qui me rappelle un beau conte sur un jeune amant et trois soeurs... Je l'écrirai peut-être à l'occasion.

Mes hommages à la belle Carole...

Le samedi 14/04/2007 à 21:54 par Chabada :

S'il n'y avait pas les couleurs, il serait impossible de se rendre compte que c'est histoire a été écrite à quatre mains... Je n'ai aucune idée de la partie que tu as écrites. Juste pour participer, je dirai que les parties blanches sur fond noir sont de toi.
En tous cas, c'est agréable à lire !!!

Le dimanche 15/04/2007 à 12:39 par Vagant :

Il est maintenant temps de révéler la vérité, toute la vérité: Je suis en blanc sur fond noir, Carole en noir sur fond blanc. L'immense majorité des femmes a trouvé, sans doute grâce à cette intuition féminine dont sont dépourvus, par définition, les hommes. Bravo donc à Chabada, Sapheere, Elise et Mathilde qui ont gagné un chaleureux baiser !

Une mention spéciale pour Vintage et sa remarquable analyse psychologique !

Le grand prix du calembour grave de grave pour Pateric. Eblouissant !

Le dimanche 15/04/2007 à 18:06 par France B :

Et la dernière de la classe, elle n'a pas droit à un lot de consolation ;)

Le lundi 16/04/2007 à 09:58 par L & L :

Madame B, la dernière de la classe ce serait une première ;)

Le lundi 16/04/2007 à 16:02 par yoyostereo :

4 mains… bigre…

Le mardi 17/04/2007 à 18:02 par Lib :

Dis donc, j'aurais trouvé moi aussi! Petite satisfaction. A part ça, j'aime bien l'histoire. Surtout la chute.

Le mercredi 18/04/2007 à 04:25 par Vagant :

Madame B, pour vous consoler veuillez accepter une bise sur le bout du nez, la première, mais peut-être pas la dernière...

Lib, c'est toujours un plaisir de te voir passer par ici !

Le mercredi 18/04/2007 à 10:08 par France B :

Ouh la ! Vagant, madame B est une hypersensible du bout du nez, je ne sais pas si c'est bien raisonnable ;)

Le jeudi 19/04/2007 à 04:39 par Vagant pour Mme B :

En effet, prenez garde que la bise ne vous enrhume, vous qui n'êtes sans doute habituée qu'au mistral...