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05 mai 2007

Houston by night (2)

De retour à mon siège, je suis cette grande Noire du regard alors qu'elle quitte la piste. J'aimerais sentir son poids sur mes genoux malgré mes tendances habituelles qui me portent plutôt vers les petits modèles. Elle se fait happer par la pénombre de la salle. Je me fais aborder par une latinos en lingerie bleue. Je craque. J'accepte sa compagnie gentiment proposée: j'ai envie d'un peu de chaleur humaine, féminine pour être tout à fait honnête. Nous nous présentons, j'oublie aussitôt son prénom mais je me souviens qu'elle est originaire du Costa Rica.

- Je vous offre un verre, lui dis-je ?
- Non merci, j'ai assez bu. Vous prenez des notes, me demande-t-elle en désignant mon carnet ?
- Oui, pour mon blog.
- Pour quoi ?
- Pour un article sur le net.
- Parce que vous trouvez que c'est intéressant ce qui se passe ici ?

En m'entraînant vers les coins sombres, elle m'apprend qu'elle fait ce job depuis un an, et je réalise que cela fait bien trop longtemps pour qu'elle puisse encore s'étonner de quoique ce soit. Elle me désigne une banquette sur laquelle je m'assoie pour "une danse". Une nouvelle chanson commence, et elle se déshabille devant moi. Je suis ravi de constater qu'elle n'a pas les seins peinturlurés. Elle a tôt fait de s'asseoir sur mes cuisses, de faire glisser sa poitrine sur mon visage, d'écarter mes jambes avec ses genoux, de débusquer mon érection avec ses fesses qu'elle frotte avec insistance sur mon bassin. À genoux entre mes cuisses, elle mime une fellation en mordillant ma braguette tendue, et après s'être assurée que personne ne la regarde - elle a pris soin de disposer des fauteuils autour de la banquette pour couper les regards - elle baisse son string et exhibe sa chatte rasée. Je sais qu'elle est à la limite du hors jeu. Le Treasures est un club qui sert des boissons alcoolisées et qui ne permet donc pas aux strip-teaseuses d'enlever le bas, selon la législation en vigueur au Texas. Les clubs où elles sont entièrement nues sont franchement pires, et les clients y rentrent avec leur bouteille sous le bras puisqu'on n’y vend que des sodas. Si cette effeuilleuse m'offre ce petit extra, ce n’est certainement pas pour mes beaux yeux mais dans l'espoir de rester plus longtemps sur mes genoux. À vingt dollars la chanson, on comprend aisément qu'elle ne souhaite pas chercher tout de suite un autre client. Mieux vaut pour elle tirer un maximum du pigeon qui la palpe, quitte à le laisser penser qu'il pourrait bien passer la nuit avec elle, quitte à lui faire croire qu'elle aurait le béguin pour lui. Quand ils bandent, les hommes sont couillons dans tous les sens du terme...

Mais il me reste assez de lucidité pour la remercier dès la fin de la chanson, et je lui donne son billet de vingt dollars en lui faisant le hug d’usage. Il serait temps que je rentre, mais j'ai pris goût au jeu. Aller, encore une, rien qu'une. Je vois la grande black sur les genoux d'un type de sa taille. Une danseuse m'aborde, grande, mince, yeux bleus, longs cheveux noirs. Pourquoi pas. Elle se présente. J'oublie son prénom et elle a du mal à comprendre le mien. Ça commence mal..

- D'où est-ce que tu viens, me demande-t-elle ?
- De France. Et toi ?
- De partout
- C'est un bon coin.

Elle rigole et me propose aussitôt une danse. Banco. Elle retire le haut de son bikini noir. Dommage. Dans la pénombre, ses seins semblent peinturlurés d'une couleur indéfinissable qui leur donne une texture fripée sous mes doigts curieux. De plus près, son haleine s'avère chargée d'alcool. Elle s'attaque aux boutons de ma chemise dont elle écarte les pans pour me mordiller la poitrine. C'est amusant, plutôt excitant, mais je n'ai pas envie de claquer plus de vingt dollars avec elle. Il est tard, il faut que je rentre. Je la remercie à la fin du morceau et je lui tends son billet. Elle fait la moue.

- Il y a eu 3 chansons, me dit-elle.
- Non, une seule.
- Trois! C'est 60 dollars!
- Pas question, il n'y en avait qu'une!

Sur ce, je tourne les talons et je me dirige vers la sortie. "J'appelle le manager !", proteste-t-elle en me poursuivant. En passant devant le podium, une voix masculine m’interpelle. Je me retourne. Une grosse baraque entre deux âges me frappe par le bleu ciel délavé sous le rideau de ses paupières tombantes. medium_dollars.jpg"Où est-ce que vous courrez ?" me demande-t-il d'une voix baryton. "Il y avait trois chansons !" Piaille aussitôt la fille derrière lui. Il la fait taire d'un coup d'œil. "Non, il n'y en avait qu'une !", que je rétorque, sûr de mon bon droit. Le manager me demande d'où je viens.

- De France, lui repondis-je.
- It was a deep song.

Sans autre forme de procès, il congédie la fille d'un regard et il me raccompagne jusqu'à la porte de son club. Pour lui, elle et moi sommes tous les deux ses clients: Les strip-teaseuses sont indépendantes et elles payent leur entrée dans le club comme les clients. Sauf qu’elles peuvent y gagner des centaines de dollars en une seule soirée sur les genoux des hommes qui peuvent en perdre tout autant. Sur le pas de la porte, le manager dit en regardant droit devant lui:

- Il y avait trois chansons.
- Je n'en ai compté qu'une.
- Il y en avait trois, sinon elle aurait menti mieux que ça. Voici votre taxi monsieur.

La morale de cette histoire pourrait être qu’au royaume du faux le vrai semble louche, mais il y en a une autre plus inquiétante : En écrivant cette note j’ai nourri mon blog à mes dépens. Non seulement je ne sors pas grandi de cette sordide histoire commerciale, de ce marchandage de frotti-frotta avec une strip-teaseuse éthylique, mais je risque fort d’avoir fait de la peine à ma fervente amante même si je lui ai déjà avoué cette virée nocturne. J’ai moins écrit cette note pour le plaisir que pour le besoin d’être lu. Par addiction à cet exhibitionnisme cérébral, j’ai obéi à la dictature de l’authenticité au service de l’audimat. L’apparent exercice de ma liberté de parole n’est en réalité que la soumission à mon propre blog et à vos supposés désirs, ami voyeur. Alors, heureux ?

Commentaires

Le samedi 05/05/2007 à 10:44 par pateric :

J'ai trouvé, sordidement bien écrit.
Heureux ? Non. Je ne bande pas pour ce genre de lieu, ni pour ses "accompagnements" (pourtant je suis "couillon", comme toi... (du moins je crois que t'es couillon.) ATTENDS ! Etymologiquement, couillon signifie qu'on porte ses burnes en toutes circonstances, qu'on est "fertile". Pas qu'on est médusé... Et c'est tout le contraire que d'être castré, quoi... Voilà !)
Ceci dit, j'ai relevé 2 points que je considère extravagants/essentiels :
- Puisque tu avoues n'être pas "sorti grandi" de cette virée, ton ardente amante ne pourra qu'en être ravie, satisfaite au moins.
- Oui, SA LIBERTE est (aussi parfois) un tribu à l'esclavage...
Etonnant, non ?

Le samedi 05/05/2007 à 15:52 par Camille :

euh... j'ai tout lu. Ce qui me vient à l'esprit : glauque ! Désolé Vagant...j'ai presque envie d'ajouter : mais pourquoi y es-tu resté si longtemps ?

Mais, je t'avoue qu'à la lecture des deux textes, je me serais presque crue dans un des épisodes de starsky et hutch !!

Le samedi 05/05/2007 à 16:33 par morganedesfees :

de votre deconvenue navrée plutot qu'heureuse..

Le dimanche 06/05/2007 à 01:18 par Comme une image :

Je ne serai pas un lecteur alibi ! Je ne répondrai donc pas à la question finale.
Encore que je me demande si elle est vraiment adressée à nous ou à toi.

[Sinon, je pense un peu comme Camille : pourquoi es-tu resté si longtemps, dans ce temple de l'illusion ?]

Le dimanche 06/05/2007 à 09:13 par Mateuse B :

Oui heureuse ;)

Le dimanche 06/05/2007 à 20:42 par missji :

Heureuse de voir que l'argent ne va pas avec les belles histoires de sexe comme celle de Gonzague!
Kiss u
J.

Le dimanche 06/05/2007 à 21:49 par Un mot so so. :

La grandeur de l'âme se manifeste lorsqu'elle est capable d'exprimer la faiblesse de l'être. Ami voyeur? Non. Juste capteur d'un témoignage, qu'il soit presque vrai ou presque faux. Heureux? A moins que ce soit une question réthorique, je dirais "peut-être" mais alors sans qu'il y ait une quelconque relation de cause à effet résultant de la lecture de votre blogue. "Houston. We have no problem". Bonne continuation. Sans confusion.

Le lundi 07/05/2007 à 15:04 par Vagant :

- Pateric, peut-on dire que l’auteur est à son blog ce que le dominé est à son maître, tout au moins dans cette relation d’esclavage consenti ?

- Camille, si j’y suis resté aussi longtemps, c’est sans doute dans le but de vivre l’expérience à son terme. Et je ne regrette rien.

- Morgane, il n’y a pas eu de déconvenue : Je m’attendais exactement à ce qui m’est arrivé.

- CUI, j’aime ta perspicacité. C’est au lecteur que je m’adressais. En ce qui me concerne, j’étais assez agacé par la tournure qu’avaient pris les choses, mais rétrospectivement, je ne suis pas mécontent de ma note.

- Madame B, cela ne m’étonne pas de vous, bien que tout ce que je décris là ne vous aura probablement pas surpris.

- Miss J, tu as bien raison : En ce monde, le meilleur est gratuit !

- Un mot, je ne suis pas sûr d’avoir une âme bien grande, d’autant plus que j’aurai la vanité de prendre à mon compte votre si bel aphorisme. J’espère simplement que votre « bonne continuation » ne signifie pas que vous cessez de me lire.

Le samedi 18/08/2007 à 11:28 par LOlaBrok :

sourire, belle morale perverse...

Le lundi 20/08/2007 à 10:14 par Vagant pour LOlaBrok :

Serais-tu toi aussi soumise à ton propre blog ? À propos, j’ai gardé ton ancien pseudo dans la référence à ton nouveau blog. Souhaites-tu que je modifie ce lien ?

Le mardi 21/08/2007 à 15:18 par lOlabrOk :

non fais comme tu le préfères, merci beaucoup d'avoir actualisé le lien ! (soumise, soumise - je ne sais pas, depuis la lecture du texte j'y réfléchis, sourire...)

Le mardi 21/08/2007 à 17:24 par Vagant pour lOlabrOk :

Soumise, peut être pas, mais je crois qu’en ce qui te concerne, la créature est en lutte avec le créateur ;)