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23 juin 2007

Descente aux chandelles (4)

Tandis que j’arrivai sur le nouveau théâtre des opérations, après avoir enlevé mes chaussures et enjambé les corps agglutinés en regardant bien où je posais les pieds, Patrice prenait sa partenaire, ma Jeanne, dans la position du missionnaire. J’étais vidé. Je posai la main sur elle, tendrement. En pleine extase, les yeux mi clos, elle me dit « c’est toi mon ange ? ». Oui, c’était moi, je n’allais pas la laisser toute seule avec ce type là, il fallait que je reste avec elle, avec elle qui n’était plus vraiment là et qui me manquait déjà. Je voulais que cet homme parte, qu’il nous laisse. D’un autre côté, je ne voulais pas la frustrer du plaisir qu’il semblait lui donner. Une femme vint roder autour de nous. Elle fouillait fébrilement les matelas, puis elle finit par lâcher : « Excusez-moi, je ne veux pas m’incruster, mais c’est très important, j’ai perdu mon tube de rouge à lèvre !medium_Pile_ou_Face.2.jpg

- Je vous en prie ! » Répondit Jeanne sur un ton calme et policé en lui laissant la place. Elle semblait avoir repris tout d’un coup ses esprits. Décidément, elle n’en finissait pas de me surprendre.

Cette anecdote est révélatrice de l’état d’esprit de Jeanne. Elle se conformait au modèle social attendu tel un caméléon qui se confond avec les couleurs du décor. Dans ce club, la norme sociale était celle de l’échangisme et elle livrait donc son corps à cet homme conformément à son idée préconçue de l’échangisme, et à laquelle elle s’était préparée, au point d’abraser ses envies spécifiques plus proches du mélangisme comme elle me le dirait plus tard et dont les tentatives de caresses à l’endroit de Sonia l’avaient attesté. Le comportement de Jeanne était donc exactement en phase avec l’image de la parfaite libertine promue par ce club, mais peut être pas avec ses désirs profonds et certainement pas avec les miens. Quant à Patrice, il avait su tirer parti de cette parfaite adaptation de Jeanne qui la conduisait à se faire baiser en ronronnant de plaisir, comme un bon client bien poli se fait baiser avec le sourire par un commercial sans vergogne.

La femme retrouva son précieux tube de rouge à lèvre et nous laissa à nos petites affaires qui reprirent là où elles avaient été interrompues. Patrice souleva les jambes de sa partenaire à la verticale et il les plaqua le long de son torse. A la sonorité des gémissements de Jeanne, plus aigus, je cru comprendre qu’il la sodomisait. Je ressentis alors l’impérieuse nécessité de sortir du désarroi insondable dans lequel je sombrais.

On peut envisager plusieurs comportements face aux situations de conflit, et c’est d’ailleurs l’étude de ces mécanismes de défense qui permettent de dresser le profil psychologique de chacun. Ces comportements sont plus ou moins archaïques ou adaptés au contexte et aux contraintes. Or je me trouvais bien dans une telle situation conflictuelle puisque j’avais assimilé l’attitude de Patrice à une agression envers le couple que je formais avec Jeanne, intrusion néanmoins consentie par Jeanne dans ce contexte échangiste. Par conséquent, ma principale contrainte demeurait le plaisir visible de Jeanne. Aussi n’envisageai-je pas l’affrontement direct, c’est à dire la rébellion face à cette scène violente à mes yeux, et qui aurait consisté à ordonner à Jeanne d’arrêter, ce qui revenait de facto à chasser Patrice. Il me sembla tout autant inconcevable de prendre la fuite, ce qu’elle aurait considéré à juste titre comme un lâche abandon incompatible avec mon estime de soi. Je régressai donc jusqu’au déni : Tout était parfaitement normal, Jeanne et moi allions très bien, et je sortis ma queue mollassonne pour qu’elle me la suce. Ce comportement offrait pour bénéfice secondaire une apparente adaptation aux règles du jeu dans cet établissement : J’étais blanc comme un linge mais j’avais sorti ma verge comme une civilité. Quant au dernier bénéfice secondaire, mon éventuel plaisir, il était quelque peu anecdotique.

Le plus étrange est que mon corps, comme s’il avait été indépendant de mes états d’âme, réagissait positivement et Jeanne parvint à me redonner une certaine vigueur. Patrice dit : « quand tu es prêt, on fait une double ! ». J’acquiesçai poliment, reconnaissant envers lui de le laisser m’intégrer à leur couple. Lui et moi avions totalement intervertis nos rôles.

A suivre...

 

Commentaires

Le samedi 23/06/2007 à 11:54 par Celenee :

Je ne peux pas me mettre à ta place, et imaginer ce que tu as alors ressenti... Mais ce que tu me fais ressentir, là, en tant que lectrice, c'est un vrai malaise physique, à la limite de la nausée...Sans doute trop de froideur et de détachement dans l'analyse, je peux pas...
Maintenant, sur le fond (et qui sait, c'est sans doute une des explications à ma réaction) : tout ça n'a à mon avis rien à voir avec le club en question, avec le cadre... Ces malaises, décalages, désarrois, ne seraient-il pas inhérents à la présence d'un(e) troisième au sein d'un couple qui n'y est pas prêt, dont l'un des éléments se trouve empêtré dans ses non-dits et ce qu'il croit que l'autre attend de lui ? (chais pas si chuis claire, mais bon sang, il secoue méchamment, ton texte, Vagant, c'est ta faute !)

Le samedi 23/06/2007 à 17:11 par Madeleine :

Surtout, ce que je trouve dommage c'est qu'on ne puisse pas avoir le point de vue de Jeanne, car lorsque vous écrivez "mais peut être pas avec ses désirs profonds et certainement pas avec les miens", on regrette de ne pas en savoir plus...
Par ailleurs, pour rebondir sur le commentaire de Celenee, j'ai déjà remarqué qu'une soirée en club peut être considérée comme la chose la plus excitante qui soit ou comme la plus glauque, selon les conditions, le moment, les personnes présentes, la lumière, le degré d'alcoolémie (eh oui ça joue aussi)... ce qu'on perçoit bien en lisant des récits différents comme celui-ci et celui-là: http://lesliaisonsdangeureuses.blogspirit.com/archive/2006/03/03/
notre-2eme-soiree-au-no-comment-iii.html
(le lien doit être reconstitué)

Le samedi 23/06/2007 à 23:36 par Cali Rise :

Jeanne, ma Jeanne... Comme l'impression d'entendre le sketche d'un imitateur...

La jalousie... Overside... Si j'avais pu étriper celles qui le touchaient alors qu'elles approchaient. sourires

Le dimanche 24/06/2007 à 00:39 par piccolofio :

tu décris le déroulement des sentiments avec tellement de subtilités...ce passage est véritable délice (et supplice si l'on se pique de la compassion du lecteur) - toutes ces nuances si bien décrites, méthodiquement. Tu as une plume très étonnante...

Le dimanche 24/06/2007 à 17:02 par pateric :

Nous avions souhaité attendre la "fin" du sujet pour nous exprimer; nous avions souhaité nous contenter du plaisir à te lire comme du plaisir à savourer le récit, toujours aussi "savoureusement ambiguë" ; souhaité se complaire des désirs que tu exposes... Mais voilà, Patrice !
Je t'assure, ce Patrice là n'est pas le mien. Ni au chandelles, ni ailleurs !
Mais voilà ! Des Patrice(s), il y en a des "pas triste" mais aussi des "pas gais".
Il y en a même des "pas tout" et d'autres, "laisses m'en un peu".
Le tien, il serait plutôt "pas gai" et "j'veux tout"...
Voilà ! Ce n'est pas mon Patrice parce que je ne suis pas Sonia...
Quoique, Quoique...
Merde, non ! Pas Sonia... Pas ma Sonia, pas ma belle-soeur !
Quoique, Quoique...
Je me fais bien Georges, son mari...

Le lundi 25/06/2007 à 07:36 par pateric :

Eh bien ça alors ! Je le crois pas !

Patrice.

Le lundi 25/06/2007 à 22:05 par Vagant pour Celenee :

Il m’aura fallu plus de deux ans pour aboutir à cette froide analyse, justement. Et j’aime ce détachement clinique de la situation qui me permet d’évacuer définitivement cet affect. Qu’importe le fait que cette analyse soit juste ou fausse de tous les points de vues. La vérité de l’un est le mensonge de l’autre. Jeanne pourrait descendre sur ce blog comme Zeus de son olympe sur la terre et dire : Vagant, ça ne s’est pas passé exactement comme ça ! Peu m’importe. J’expose une vérité subjective cohérente, une version qui dépasse le factuel et entre donc dans le subjectif, le subjectif qui correspond de facto à ma vision des choses. En publiant ce texte, maintes et maintes fois travaillé, j’ai même hésité à tout passer à la 3ème personne et de le transformer ainsi en fiction. J’aurais alors pu impunément faire une description kundérienne de la situation, sans prendre parti dans la complexité des faits. Or j’ai pris le risque de la subjectivité, du JE qui m’inscrit dans l’histoire, la mienne, avec un ‘h’ minuscule.

Le lundi 25/06/2007 à 22:11 par Vagant pour Madeleine :

J’ai essayé d’imaginer le point de vue de Jeanne à partir de ce qu’elle m’a dit : « On ne va pas dans un club échangiste pour enfiler des perles ». Mais aussi le : « je n’ai pas aimé ça tant que ça. ». Le reste est une interprétation, un peu comme Kundera pourrait en faire (tout au moins je l’espère pour moi) une du comportement de ses personnages imaginaires. En imaginant les motivations de Jeanne, mon récit entre dans le cadre de la fiction.

Le lundi 25/06/2007 à 22:13 par Vagant pour Cali :

Quel imitateur ? Auriez-vous vécu le même type d’affect a l'Overside ?

Le lundi 25/06/2007 à 22:43 par Vagant pour Piccolofio :

Je te remercie pour ton appréciation, surtout de la part d’une plume aussi fine que la tienne. En vérité, j’essaie de prendre modèle sur la froide analyse de Kundera, au risque de dépasser le cadre strictement autobiographique pour entrer dans celui de la fiction. Mais peu m’importe…

Le lundi 25/06/2007 à 22:47 par Vagant pour Pateric :

De Pateric à Patrice il n’y a qu’une lettre déplacée sur la forme, mais sans doute tout un monde, au fond ;)

Le lundi 25/06/2007 à 23:55 par Cali Rise :

Je pense que c'est Laurent Gerra qui imite Jean-Claude Brialy parlant à sa très chère Jeanne (Moreau)...

Oui... J'en frissonne encore.

Le jeudi 28/06/2007 à 14:45 par Aretina :

"Le plus étrange est que mon corps, comme s’il avait été indépendant de mes états d’âme, réagissait positivement..."

Pas du tout étrange à mes yeux, je fournirai l'explication après la fin de la lecture de l'entier récit.