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05 juillet 2007

L’amour en miettes

Il y a, au coeur de Genève, une île. Un îlot tout au bout du lac Léman, cerné par les cygnes et les canards. L’eau y est si claire qu’on peut voir le fond bleu, tout proche de la surface, lorsque le soleil a fini de jouer à cache-cache avec les nuages. On y accède en traversant un petit pont réservé aux piétons. Ce jour là, j’y marchais derrière Jeanne en tirant ma valise derrière moi. Jeanne m’a montré l’enclos grillagé qui ceinturait cette presqu’île, à peine plus grosse que la pile de ce petit pont qui enjambe le bout du lac. L’enclos, à l’intérieur duquel pataugeaient les canards, est toujours ouvert. On se demande bien à quoi il sert, si ce n’est de perchoir aux pigeons qui viennent s’y aligner. Sur notre île, il y a deux bancs. Ils étaient pris par des petits vieux venus quémander des miettes de soleil. Alors avec Jeanne, on s’est assis sur le rebord du bac à sable déserté par les enfants. J’étais un peu triste. Pas vraiment déçu puisque je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre avec elle ce jour là. Bien sûr j’étais content de retrouver ma maîtresse, tout au moins celle que je considérais comme telle depuis quelques années. Même si nous ne nous étions pas vus depuis des mois. Même si notre liaison n’en finissait pas d’agoniser depuis les Chandelles et le reste. Elle était toujours aussi séduisante. J’avais longtemps espéré pouvoir passer avec elle cette journée à la montagne dont elle m’avait parlé depuis plus d’un an, journée sans cesse repoussée jusqu’à ce que la neige fonde complètement, et qu’on atteigne le mois de Mai où elle avait finalement pu prendre une demi-journée de congés pour me voir cette après-midi là. C’était déjà pas mal. J’avais donc pris le train de Paris pour Genève le matin même, et j’avais tiré ma valise jusqu’au rebord du bac à sable d’où nous pouvions voir les canards, et un moineau aussi, qui venait mendigoter quelques miettes à nos pieds. J’ai passé ma main sur la nuque de Jeanne.

- Tu ne me facilites pas les choses tu sais, me dit-elle en fixant l’eau du lac.

J’ai retiré ma main. Elle avait des choses à me dire. Des choses délicates. J’ai toujours eu du mal à comprendre les choses délicates. Je les écoute, je les entends, mais j’ai du mal à les retenir, un peu comme si mon esprit sombrait dans la brume. Elle me disait donc ces choses délicates et je regardais le moineau, tout près.

- Je n’ai rien à te donner ! Rien ! Va-t-en ! Disait-elle au moineau qui ne comprenait rien du tout, lui.

Moi, j’ai compris que nos chemins risquaient de diverger. Jeanne m’a dit qu’elle avait beaucoup avancé ces derniers mois. Elle savait maintenant ce qu’elle voulait faire de sa vie. D’abord, quitter son mari. C’était inéluctable, elle ne l’aimait plus. Après, elle vivrait seule un moment, et puis elle referait sa vie car il lui faudrait une relation stable. Moi, je ne savais même pas si j’aimais encore ma femme. En tous cas, je n’avais pas trouvé la réponse entre les cuisses des autres. Toujours est-il que je n’étais certainement pas un modèle de stabilité affective.

- Je ne peux rien te promettre Jeanne! Ai-je conclu.

Le vent était frais et Jeanne s’est rapprochée de moi. À son contact, j’ai étouffé un sanglot. Ca m’a pris sans prévenir, comme un éternuement, mais j’ai réussi à retenir le deuxième. Jeanne m’a attiré contre elle. Elle m’a regardé droit dans les yeux. Ses cheveux noirs battaient son visage sous les rafales du vent frais. Ils contrastaient merveilleusement avec les reflets moirés du soleil sur sa peau claire et ses yeux bleu acier. Jeanne était atrocement belle.

- Si tu as quelque chose à dire, c’est maintenant ! M’a-t-elle dit.

Je n’avais rien d’autre à dire. Rien à dire du tout. Je crois qu’elle m’a demandé si je l’aimais, ou si je l’avais aimé, je ne sais plus trop. Elle se demandait sans doute si je l’aimerai. J’ai toujours eu du mal à conjuguer ce verbe aux relents d’éternité. J’ai éludé la question en répondant que je ne savais pas comment appeler ces sentiments qui me submergeaient parfois. Elle voulait quitter son mari après dix ans de vie commune et deux jeunes enfants. Il en faut du courage. Moi, je n’avais pas la moindre miette d’engagement à lui donner, rien, pas même l’ombre d’un mensonge. Je ne sais pas pourquoi elle m’a embrassé à ce moment là. Peut-être pour aller chercher avec ses lèvres ce que les miennes ne savaient pas dire. Peut être parce qu’elle en a eu envie. Peut être par pitié. Ou tout simplement parce que j’avais réussi à lui dire qu’elle avait tout pour plaire, en tous cas pour me plaire. Toujours est-il que moi je lui ai rendu, son baiser, avec les lèvres et la langue, depuis le temps que j’en avais envie ! Et voilà qu’elle m’embrassait comme avant, comme au début, comme quand on se contentait d’un peu de présent volé entre l’imparfait et le futur simple. Je me suis levé pour mieux l’étreindre, pour sentir sa chaleur, et lui faire sentir ma bandaison contre son ventre. C’était bien ma seule promesse ferme.

J’ai pris tout ce qu’elle m’a donné, timidement, de peur que tout s’arrête. Sa taille d’abord, avec mon bras. J’en ai fais le tour pour mieux la serrer contre moi. Et puis j’ai hasardé ma main sur son sein. Jeanne m’a saisi le poignet. Je m’attendais à ce qu’elle repousse ma main, mais elle l’a glissée dans son décolleté, tout contre sa peau. J’ai fait rouler son téton entre mes doigts. Jeanne m’a touché les cuisses, et puis entre les cuisses, avec des regards coquins tout en surveillant du coin de l’oeil les passants sur le pont. Comme ils ne pouvaient rien voir, elle a commencé à jouer avec ma braguette, à la descendre, à la remonter, rien que pour m’exciter encore plus. Je la retrouvais diablesse et j’étais aux anges.

- Qu’est-ce que tu ferais si on était tout seul, qu’elle me dit ?
- Je te prendrais contre l’arbre, là, debout, avec tes cuisses enroulées autour de ma taille.
- Et si c’était la nuit ?
- Peut-être en levrette, tes mains sur la rambarde, toute dépoitraillée face au lac. Ça te plairait, hein, petite vicieuse ? Tu mouilles comme je bande ?
- Va savoir...

Avec le sexe, j’étais plus loquace qu’avec le coeur. Jeanne a glissé sa main dans ma braguette. J’ai senti ses doigts palper ma verge dure. J’étais à point. Elle a fini par retirer sa main à cause des gens qui se promenaient un peu trop près. Nous nous sommes assis de nouveau au bord du bac à sable.

- La prochaine fois peut-être... je te laisserai décider.
- Oui... J’ai envie de te reconquérir Jeanne.
- C’est pas gagné.

On s’est embrassés encore, et nous sommes revenus aux choses sérieuses. Jeanne m’a dit qu’elle ne voulait pas me forcer à quoi que ce soit. Que j’étais un papillon. Elle, elle allait suivre son chemin. Libre à moi de la suivre ou pas. En tous cas, lorsqu’elle aurait quitté son mari, elle rencontrerait quelqu’un, tôt ou tard, quelqu’un qu’elle ne connaissait pas encore, quelqu’un d’autre avec lequel refaire sa vie. Avec moi, elle aurait tout de même passé de bons moments. Elle avait les yeux un peu rouges. Comme j’avais un peu froid, nous nous sommes levés et nous avons quitté l’île. Quelques heures plus tard, en rentrant dans ma chambre d’hôtel où j’allais devoir tuer seul la nuit, j’ai souri en repensant au moineau. J’avais eu plus de chance que lui.
Moi, je les avais eues, mes miettes.

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Commentaires

Le jeudi 05/07/2007 à 09:34 par sapheere :

Vagant, c'est bien la dernière note de la série Jeanne? que ce passe-t-il? pourquoi tu remontes tout ça à la surface?
"- Oui... J’ai envie de te reconquérir Jeanne", c'est quelque chose que tu aimerais dire aujourd'hui?
Pensées en mode spleen ce matin.

Le jeudi 05/07/2007 à 11:59 par Vagant pour Sapheere :

Oui, je crois bien que c'est la dernière note de la série Jeanne. A moins que j'en écrive une autre, plus tard.
Je ne crois pas qu’un homme conquiert une femme. Elle se laisse prendre ou pas, voilà tout.

Le jeudi 05/07/2007 à 13:22 par andrea :

@vagant : permettez-moi de vous laisser une petit commentaire, le premier ma foi, même si je vous lis depuis longtemps et vous connait un peu par procuration...

je ne susi pas d'accord avec vous sur le fait qu'une femme ne peut se "conquérir"... Oui, effectivement, je comprends que vous disiez cela quand vous essayez de dire que finalement, une femme a toujours le choix...

Mais pour l'avour vécu plusieurs fois, et pas que pour des histoires de fesses rapides, on peut en effet partir à l'assaut d'une belle pour la conquérir, on rentre dans un jeu qui, pour être efficace (à savoir vaincre ces réticences...) requiert une parfaite sincérité du conquérant...

En disant cela, je vois bien les contre arguments poindre le bout de leur nez, mais je vous assure que face à une situation desespérée, bloquée, que face à une femme qui ne vous semble pasn en tout point, "promise", il est possible de changer le cours du fleuve, de rompre les digues et de laisser couler le courant de la passion...

@sapheere : ce sont mes réactions à chaud qui contrastent avec mon esprit et mon corps vidés... Moi, je me sens bleu...

Andrea

Le jeudi 05/07/2007 à 13:34 par françoise :

A mon tour je découvre votre blog, je vous ai aussi répondu sur le mien.
Point de vue de femme: une femme ne se conquiert pas au sens "guerrier" du terme, mais elle se conquiert au sens de la persévérance. Il arrive que le désir ne soit pas au premier RV, voire au second, et qu'il naisse peu à peu. Il m'est arrivée de mettre... 7 ans avant de conclure, comme on dit, une amitié qui s'est muée en désir. C'est une exception, je ne suis pas toujours aussi longue à la détente :), mais il est agréable de sentir peu à peu ses murailles investies.

Le jeudi 05/07/2007 à 14:16 par Sapheere :

Juste pour saluer chaleureusement Madame Simpère dont je suis une fervente lectrice.

>>> Vagant, j'adhère totalement à l'analyse d'Andrea et de Françoise. Pour ta part, le temps a fait son oeuvre, je suis certaine que tu peux en tirer parti.

Le vendredi 06/07/2007 à 10:31 par Un mot passant :

Quel beau spleen se dégage de cette note. Tout est en phase : l’atmosphère, le sujet, les mots, … J’ai eu l’impression de lire et de voir une suite des Contes Moraux de Rohmer mélangeant des extraits de « L’amour l’après-midi » et « Le genou de Claire ». Vraiment superbe.

Dommage que le temps me manque pour écrire les réflexions que votre note et les commentaires ci-dessus suscitent.

Le vendredi 06/07/2007 à 13:12 par Vagant pour Andrea :

Bienvenue ! Même si je n’ai pas toujours le temps de répondre immédiatement aux commentaires laissés ici, je suis toujours heureux de les lire, tout particulièrement lorsqu’ils sont aussi constructifs ou lorsqu’ils viennent de mes fidèles lectrices. Ne vous gênez donc surtout pas pour commenter mes notes, mais cela sera le sujet de ma note de demain…

Cela étant, je suis globalement d’accord avec vous. Je voulais simplement suggérer deux choses : Que la femme a non seulement le dernier mot, mais bien souvent le premier. C’est elle qui met le supposé conquérant à l’entrée du labyrinthe de ses désirs plus ou moins enfouis. Même si c’est bien à lui de savoir s’y retrouver – et en cela la sincérité est une boussole infaillible – c’est tout de même elle qui se sera laissée approchée, ou pas.

Le vendredi 06/07/2007 à 13:38 par Vagant pour Françoise :

Je suis honoré de lire ici bas le commentaire d’un auteur tel que vous, et permettez moi de vous souhaiter la bienvenue.
Non seulement le mot conquête à des relents guerriers que je n’aime guère, mais il suggère qu’un des protagonistes (masculin) serait offensif alors que l’autre (féminin) serait défensif. Je vous accorde que l’image suggestive des murailles investies est plus féminine que masculine, mais vous me concéderez que leur entrée ne doit pas être défoncée : rien de tel que le pont-levis qui s’abaisse comme une langue tendue à l’orée d’un calice… mais je m’égare.
Vous mentionnez votre relation amicale et sa longue transmutation amoureuse. Mais n’étiez-vous pas deux dans ce jeu ? Peut on encore parler de conquête lorsqu’elle est mutuelle ?
Au plaisir de vous lire…

Le vendredi 06/07/2007 à 13:43 par Vagant pour Un Mot :

Un mot, tu mets le doigt sur mon inculture cinématographique entre autres lacunes… mais merci tout de même pour ton commentaire élogieux !

Le vendredi 06/07/2007 à 20:51 par Pénélope :

J'aime beaucoup cette note, son univers plein d'un printemps qui s'annonce et de la nostalgie d'une histoire qui se termine. Aimer, et pourtant l'autre vous laisse partir. Bises Penny

Le samedi 07/07/2007 à 02:05 par roxane :

laisser partir, c'est aussi aimer, vagant. et aimer d'abord et surtout est souvent la meilleure place...

et vu les similitudes de situation dans ce que vous racontez avec ce que je vis, vos mots m'en rappellent d'autres, les miens et les siens ... et vous avez sans doute raison, les femmes se laissent conquérir et disent quand les conquérir et qui peut ou pas

j'ai trouvé le compromis : lui d'abord et surtout, seule ou pas seule, divorcée ou pas, qu'il soit libre ou pas sans qu'il ne le demande. par choix. puisque l'essentiel est d'aimer, pas de posséder.

pas facile à vivre mais enrichissant de cultiver le lâcher prise envers ce qu'on désire le plus... au risque de tout perdre.

trés beau rémoignage

Le dimanche 08/07/2007 à 12:45 par morganedesfees :

que vous dire sinon que vous m'avez dans ces mots émus et fais frissonner, touchée .. merci simplement ..

Le lundi 09/07/2007 à 12:40 par Comme une image :

Voici un texte fort bien jeté, Monsieur Vagant, j'étais avec toi partageant ton émotion et ton désarroi, ton désarmement.
J'aime la mélancolie sourde de ton texte, ton amante aimée dont le chemin diverge du tien, tout cela fait écho à des choses que nous sommes probablement nombreux à avoir nous mêmes vécues d'une manière ou d'une autre.

Le lundi 09/07/2007 à 18:35 par Vagant :

- Merci pour ce sympathique commentaire, CUI ! :)

- Oui Pénélope, cette histoire, c’est l’automne au printemps...

- Puisque Morgane rime avec Roxane, je vous remercietoutes les deux d’un même élan !

Le mardi 27/05/2014 à 11:36 par Green Lullaby :

"Moi, je ne savais même pas si j’aimais encore ma femme. En tous cas, je n’avais pas trouvé la réponse entre les cuisses des autres. "
> Très jolie formule (comme tout le texte d'ailleurs). Je pense que cette histoire éveille des échos en chacun de nous, infidèles et/ou amoureux. De quoi se demander pourquoi nous fonçons parfois tête baissée dans des histoires dont nous savons qu'elles se termineront fatalement, et que nous y laisserons fatalement des plumes. Je n'ai pas la réponse non plus.

Le mardi 27/05/2014 à 12:33 par Vagant :

@Green Lullaby: Même la vie se termine fatalement. C'est une bonne raison pour ne pas la laisser passer mais y foncer tête baissée, d'autant plus qu'à priori, on n'en a qu'une.

Le dimanche 03/08/2014 à 22:06 par camelys :

Je caresse l'espoir que vous êtes toujours avec elle...

Le vendredi 22/08/2014 à 16:26 par Vagant :

@camelys: Avec qui ? Jeanne ? C'est terminé depuis bien longtemps. Peut-être raconterai-je notre rupture...

Le vendredi 19/09/2014 à 14:17 par tantramant :

Cette rupture, Vagant, pour douloureuse qu'elle fut probablement, tu l'as érigée au rang d'art. Une merveille de texte.