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14 juillet 2014

Ça roule !

bal_des_pompiers.jpg« Alors, ça roule ? »

Aude a détaché ses lèvres des miennes en rougissant, tandis que je levais les yeux vers Mathieu pour lui décocher le regard de la mort qui tue. Je l’ai vu s’éloigner en rigolant, tout content de sa blague de potache. Heureusement que cet abruti ne s’est pas avisé à me regarder de haut. Il ne perdait rien pour attendre, ce gros jaloux avec sa face constellée d’acné, lui qui n’avait même pas pu approcher une fille depuis le début de la soirée.

On était pourtant arrivés ensemble à ce bal du 14 Juillet. Seuls. Il y avait là deux filles qui faisaient tapisserie, surement dans l’attente de beaux pompiers aux épaules larges et aux cheveux courts. Mais avec ses longs cheveux graisseux et son allure dégingandée, Mathieu n’avait de pompier que des boutons brillants comme des gyrophares. Alerte au puceau !  Alerte au puceau ! Croyait-on entendre quand il rappliquait, et je suis sûr que c’est ce que la petite brune avait chuchoté à l’oreille de la grande blonde, quand elle l’avait vu approcher à pas comptés, avec une prudence de charmeur de serpents. Il n’avait même pas eu l’occasion de leur jouer du pipeau qu’elles lui avaient ri à la gueule un venin cristallin.

Moi, j’avais vu sa débâcle de loin. Pas question d’être associé à sa loose. J’avais attendu qu’elles cessent de ricaner avant de tenter ma chance à mon tour. Elles ne m’avaient pas vu venir, ou plus précisément elles ne s’attendaient pas à ça de ma part.

J’avais visé la blonde parce qu’elle semblait moins retorse que la brune, et parce qu’elle était assise aussi. Je l’avais invitée tout de go à danser, sans chercher à baratiner. « Comment qu’on fait ?» m’avait-elle répondu. J’avais bien scruté ses yeux bleus écarquillés et je n’avais rien vu, rien d’autre que de la surprise. Un regard neutre en somme. « Viens, je vais te montrer » avais-je répondu, et elle était venue, tout simplement. J’avais évacué le regard dédaigneux de la brune en me félicitant de mon choix. Les yeux, ça me connaît. Je sais y lire plein de trucs. J’avais beau avoir les cheveux courts, les épaules larges, et même des attributs de camion de pompier, j’aurais perdu mon temps avec la petite brune.

C’est comme ça qu’on avait commencé à glisser sur la piste, Aude et moi. J’avais choisi mon morceau, une valse tout en langueur et tournoiements, car ça, je sais bien faire. Ses pieds ne touchaient pas terre. Aude avait même éclaté de rire quand j’avais basculé en arrière. Les papis et les mamies nous regardaient avec bienveillance, un peu de curiosité aussi. Et puis ça avait été le tour du rock. J’aime moins. Sans sautiller pour marquer le rythme, j’ai toujours un peu de mal à mener la danse. Remarquez, la vue de sa robe tourbillonnante avait bien compensé le désagrément. Pour un peu, même sans faire d’acrobaties, j’aurais vu la couleur de sa petite culotte. Enfin est venu le moment des slows. Aude n’avait pas cherché à danser avec un autre. Elle était restée tout contre moi qui l’enlaçait d’un bras, à une portée de baiser. Je ne m’étais pas gêné. Elle n’avait pas retiré sa bouche non plus. Jusqu’à ce que Mathieu vienne déconner.

Mathieu est retourné au bar et Aude m’a rendu ses lèvres. C’est tout ce que je voulais d’elle, ses lèvres au beau milieu de la piste, avec des regards envieux en prime. Parce qu’on finit par en avoir assez de la pitié. Aude a bien senti que je ne voulais rien d’autre, avec ses fesses lovées entre mes cuisses inertes, et ses jambes qui reposaient sur l’accoudoir de mon fauteuil roulant.

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Si vous avez (très) bonne mémoire, vous vous souvenez peut-être de ce texte qu’Arnaud Dudek m’avait fait l’honneur de publier sur le blog qu’il tenait à l’époque, intitulé j’irai cracher sur vos blogs, titre en quelque sorte prémonitoire au vu de ce qu’il en est advenu. J’avais d’ailleurs acheté Copenhague, son premier texte publié, avant de découvrir avec joie et un peu de retard qu’en 2012, son premier roman avait été sélectionné pour le Goncourt du premier roman, justement. Il faudrait que je le lise, après tout Rester sage demeure pour moi d’actualité.

21 février 2008

Copenhague

0b8cabed2a61d20d4c8da30d0b13c2fd.jpgNon, je ne vais pas vous ennuyer avec une note touristique sur cette ville ennuyeuse qui ne peut faire rêver que ceux qui n’y sont jamais allés ( si vous  tenez vraiment à partir dans le coin, traversez le pont et visitez Malmö  qui est tout aussi bien et beaucoup moins cher ), mais avec une note sur une nouvelle intitulée Copenhague  publiée aux éditions filaplomb.

Après avoir sciemment massacré le petit suspens que j’escomptais vous servir aujourd’hui, je n’insisterai pas trop sur mon étonnement lorsque j’ai reçu dans ma boite au lettre en fer et qui couine, une enveloppe manuscrite à la vraie main et à mon nom bien réel. Il faut dire que pour le monde commun et trivial, je ne suis qu’un patronyme imprimé à la chaîne pour le compte d’une banque, d’une assurance ou d’une caisse de retraite, et les seules enveloppes manuscrites qu’il m’arrive d’ouvrir contiennent des faire part de mariage ( de moins en moins) de naissance ( le pic est passé aussi )  et plus rarement de décès ( mais c’est en croissance ), c’est-à-dire le lot commun de la boite aux lettres du cadre moyen déjà plus tout jeune…

Bref, il y a quelques semaines, je reçois une enveloppe manuscrite que ma femme n’a pas osée ouvrir. « Tu es sur que ce n’est pas une lettre piégée » qu’elle me dit sans rire. « Mais qui pourrait bien m’en vouloir ? » que je réponds en décachetant l’enveloppe sans penser aux quelques cocus qui pourraient me trucider s’ils retrouvaient ma trace. Et là, qu’est-ce que je trouve ? Vous le savez déjà : Copenhague suivi de Un couple idéal d’Arnaud Dudek, un recueil de deux nouvelles de 10 pages chacune au format 10 x 15. Le papier - recyclé avec des encres végétales sans solvant - est de bonne qualité ainsi que l’impression et la mise en page, même si on aurait apprécié une couverture un petit peu plus épaisse. Mais pour 4,20 € frais de port compris - le prix d’un café sur une terrasse parisienne - je n’ai pas boudé le quart d’heure de plaisir que la lecture de ces nouvelles m’a procuré. Je connaissais déjà Dudek pour son excellent blog littéraire, mais le lire allongé dans son lit, c’est tout de même mieux qu’assis devant un écran.

Cela suffit pour la forme, venons en au fond : deux nouvelles sur les solitudes qui s’ajoutent pour composer un couple. J’ai toujours pensé qu’un texte devait se défendre tout seul, alors je vous en livre un petit extrait :

    Il aimerait découvrir l’Europe du Nord, il ne connaît pas. Copenhague, pourquoi pas ? Ce sera difficile d’imposer cette idée. Sylvia voudra de la chaleur. Siroter des cocktails à base de jus d’ananas en regardant des bellâtres transpirer autour d’un filet de volley-ball. Allongée sur une serviette de plage à fleurs, vêtue d’un maillot de bain une pièce assez terne, à compléter les cases d’un Sudoku.
    Au poignet, un bout de plastique jaune digne des meilleurs Clubs Mickey indiquera son rattachement à un club de vacances situé à Hammamet.
    Son visage outrageusement bronzé fera pâlir les collègues de jalousie lors du premier café de septembre, celui où l’on montre des vestiges de coups de soleil soignés à la Biafine comme autant de blessures de guerre.
    Copenhague, ça risque de la mettre en rogne.

J’espère vous avoir donné envie de découvrir Arnaud Dudek auquel je souhaite le succès qu’il mérite. Quant à son éditeur, je lui souhaite d’attraper une bonne crampe à écrire les noms des lecteurs auxquels il envoie un peu de bonheur.