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03 avril 2007

Décalage et recadrage

Une de mes dernières notes ayant entraîné un beau débat entre Sapheere, Madeleine et Madame B à propos du décalage entre la liaison épistolaire et sa concrétisation charnelle - sujet qui avait d'ailleurs été l'objet d'une excellente note de Madeleine sur NOLDA - je vais à mon tour l'aborder à la lumière de mon expérience personnelle. Même si l'expérience est une lanterne que l'on porte dans le dos et qui ne sert qu'à éclairer le chemin parcouru, selon Lao Tseu, la sagesse consiste parfois à relever la tête du guidon pour regarder où l'on va sans oublier d'où l'on vient, tout en relativisant sa propre perception afin d'éviter toute généralisation abusive et sclérosante.

Il y a quelques années, j'avais rencontré Fabienne sur un forum de discussion. D'un abord très sympathique, le clavier facile et l'écriture agréable, j'avais échangé avec elle pendant quelques semaines avec un plaisir réciproque, à propos des sujets les plus communs jusqu'aux dialogues légèrement érotiques sur MSN. Fabienne était un peu plus âgée que moi, plutôt jolie sur sa web cam, et surtout pourvue d'un sourire désarmant. Elle avait beau se dire quelconque, je l'assurais de l'inverse, et j'avais poussé la galanterie jusqu'à l'inviter à passer deux jours avec moi à Londres, ce qu'elle avait volontiers accepté. Je lui avais ainsi organisé tout son voyage: j'avais pris bien entendu l'hôtel en charge et pour des raisons pratiques, je lui avais aussi avancé son billet d'avion qu'elle tenait à me rembourser.

Je n'en étais pas à ma première expérience de la sorte. J'avais déjà rencontré des femmes sans les avoir jamais vues, et même si le visage inattendu surprenait à la lumière des confidences érotiques, je n'avais jamais été vraiment déçu. Sans doute avais-je eu de la chance, mais la rencontre physique se concluait positivement lorsque le charme virtuel avait atteint son paroxysme, et que le charnel s'imposait pour espérer aller plus loin. De confidences en confidences, la confiance s'instaurait au point que la rencontre réelle puisse avoir lieu dans le même mouvement fantasmagorique, sans rupture, sans avoir à recommencer la séduction sur de nouvelles bases. Je m'étais d'ailleurs vite lassé du plan resthotel qui ne faisait plus rêver la plupart des femmes avides d'émotions fortes, au point que j'envisageais sans complexe la réalisation de quelques fantasmes dès la première rencontre. Le cadre relationnel restait ainsi extravagant, dissocié de la morne réalité, et le passage à l'acte sexuel s'inscrivait dans un scénario aux frontières du réel.

Je n'avais pas été aussi loin avec Fabienne, et notre première rencontre n'était pas scénarisée. Je l'ai simplement retrouvée au pied de l'hôtel où nous nous étions donnés rendez-vous, et comme vous pouvez vous en douter, j'ai été plutôt déçu. Disons que certains détails physiques n'avaient pas été fidèlement transmis par sa web cam qui ne s'était jamais aventurée plus bas que ses épaules. Toujours est-il que je n'allais pas lui faire l'affront de la plaquer à Londres après tous les kilomètres qu'elle venait de parcourir pour me rencontrer, et j'ai fait contre mauvaise fortune bon cœur. Après avoir déposé ses bagages dans la chambre d'hôtel, j'ai joué au charmant guide touristique une bonne partie de la journée en me demandant comment esquiver l'inéluctable rapprochement charnel.

medium_billets50.jpgFabienne eut mal aux pieds en fin d'après midi, elle me demanda de retourner à l'hôtel, et je vis arriver avec une certaine appréhension le moment tant attendu. Dans la chambre, la climatisation était en panne et la chaleur étouffante. Fabienne se retrouva rapidement en sous-vêtements. Comme le chante Cabrel, elle avait dû faire toutes les guerres, toutes les batailles de la vie, sauf que moi, je ne me sentais pas vraiment en état de lui faire l'amour aussi. C'est alors que Fabienne eut un coup de génie. Elle étala sur le lit une liasse de billets pour me rembourser son vol. Cela me donna l'impression d'être un gigolo, et me fit bander illico ! D'un simple geste, Fabienne se payait un scénario, elle m'offrait un autre point de vue: un cadre fantasmagorique dans lequel exprimer ma libido. Ne vous méprenez pas, ami lecteur, je ne lui ai pas fait l'amour comme on fait l'aumône, j'ai été grâce à ce geste un amant plus que convenable, et je crois lui avoir offert un séjour bien agréable. Nous nous sommes séparés bons amis avant de nous perdre de vue.

En réalisant ainsi le fantasme de l'escort-boy (probablement comme Coralie réaliserait plus tard celui du légionnaire sous mes assauts forcenés), je dois avouer rétrospectivement m'être un peu forcé, et je me promettais de ne plus jamais me fourvoyer ainsi, promesse que je ne tins d'ailleurs pas. Toujours est-il que cette histoire illustre la vertu du cadre dans les rencontres libertines, cadre qui encadre favorablement le passage du virtuel au réel, sans trop en rompre le charme avec une rencontre précipitée. Poursuivre l'illusion plutôt que se confronter trop rapidement aux contingences réalistes, rester dans le rêve jusqu'aux confins de la chair. Et cela peut durer longtemps, plusieurs mois comme me l'a démontré ma liaison avec Sarah qui mériterait à elle seule tout un roman. Bien entendu, tout dépend des attentes de chacun, mais pour moi qui n'attend que du rêve éveillé, qui ne recherche que le bonheur fugace du plaisir, cela me convient assez bien. Quant au réveil, il ressemble parfois aux matinées douillettes dans l'espace des bras aimés.