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04 février 2008

Mission libertine - XII

    Trop facile. Il est trop facile de justifier ses désirs par ses frustrations, comme si le désir était défini par le manque, ou les manquements des autres. Le désir est intrinsèque à la nature humaine, il s’impose même aux rassasiés, pensai-je en sortant de la station de métro. Faut-il donc qu’il y ait une quête secrète, un vide intérieur pour que Don Juan se cogne de femmes en femmes, ou bien n’est-il que la bienheureuse victime d’un excès d’appétit ? Tout en marchant sur les trottoirs déserts d’un quartier résidentiel, je ne pus que songer à cet échange de lettres avec Sarah qui avait déclenché l’épopée sensuelle dont nous allions vivre un nouvel épisode. Après une rupture de quelques mois, notre liaison épistolaire avait repris au tout début du mois de Juillet.

    Cher Christophe,
 
    Je peux vous assurer qu'entretenir cette relation épistolaire avec vous ces derniers mois n’a pas été pour moi une perte de temps. Même si un jeu de séduction était bel et bien le but de nos premiers écrits, je ne le considère pas stérile, loin de là. Il a été pour moi fort attrayant et si votre esprit n'avait pas déjà succombé aux charmes indéniables de votre sublime maîtresse, je peux vous avouer qu'en plus de me réjouir de vos écrits, j'en serais peut-être (certainement ?) venue à partager un peu plus que des mots avec vous.
    Ceci dit, dès le départ vous m’aviez annoncé la couleur, ce qui ne m'a pas empêché d'entrer dans ce jeu au charme captivant sans vouloir pour autant faire de l'ombre à Jeanne, votre princesse. Connaissant mon goût pour les femmes - ou tout au moins ma curiosité pour les relations saphiques qui, à ce jour, demeurent encore inconnues – vous avez essayé de nous présenter l’une à l’autre dans l’espoir d’en tirer, si j’ose dire, un plaisir charnel personnel… Cette approche s’est soldée par un échec, un peu par votre faute, beaucoup par la mienne, au point que la correspondance artificielle que vous avez essayé d’initier entre elle et moi aura sonné le glas de la nôtre… mais n’en parlons plus je vous prie, et réjouissons-nous de nous écrire de nouveau !
    Au chapitre de mes soirées parisiennes avec mon amant, puisque vous me posez la question, elles n'avaient rien de si extravagant. Nous avons plutôt plongé dans l'assurément romantique qui n'impose pas d'être vécu forcément à Paris. Mise à part ce dîner croisière sur la Seine, le reste aurait très bien pu se passer à Metz, Los Angeles, ou Argelès…Des moments forts en émotions diverses et variées qui ne sont pas prêts de s'échapper de ma mémoire. Au fait, je viens d’apprendre à ma grande surprise que mon compagnon illégitime a entrepris de me chercher une partenaire féminine, lui aussi. Un cadeau qu'il tente de m’offrir, rien que pour moi. Il ne serait qu'un intermédiaire pour combler sa maîtresse. Il y a indubitablement des attentions qui touchent profondément.
    Vous vous demandez si je suis une professionnelle de l’écriture ? Je crois que ce serait de notoriété publique, même si je me souviens vous avoir effectivement tenu quelques propos du genre que vous avancez, mais peut-être ai-je trop sous-entendu certaines idées qui auront émoustillé votre imaginaire débordant. Vous interprétez encore très rapidement certains de mes propos et les considérez ensuite comme fait établit.  Qui vous dit par exemple que les autres expériences fabuleuses que je vous avouais avoir vécues étaient d’ordre sexuelles ? J'aurais très bien pu faire allusion à une partie de pêche au gros au milieu de l'Atlantique, un tour de manège qui m'aurait retournée dans tous les sens du terme, une nouvelle recette de la confection d'une tarte aux pommes ! Mais bien sûr, cher Christophe, en plus d'être rapide vous êtes perspicace et ces évènements formidables étaient bien entendu libidineux. Ceci dit, ils ont été rares et n'ont jamais été dans le but d'entraver ma relation avec mon délicieux amant (pour reprendre votre terme et parce qu'il me plaît) qui demeure ma priorité.
    J'ai ainsi passé une nuit d'amour avec un homme que je ne connaissais que très peu finalement. Plusieurs échanges de mails, deux rencontres avant de mettre en pratique la théorie, car je ne pensais pas pouvoir un jour m'abandonner corps et âme aux côtés d'un individu qui m'était presque inconnu. Une nuit de plaisir et rien de plus était notre « contrat moral », si tant est qu’on puisse évoquer la moralité compte tenu de notre statut matrimonial : mariés lui et moi mais pas avec les même personnes. Nous partagions cependant l'envie de nous offrir une nuit complète, de nous donner l'un à l'autre sans à priori, sans jugement, et sans plus rien après. Bien qu’intense, nous nous sommes peu investit dans ce contacts charnel, car nous savons que la véritable communion des corps passe aussi par l'esprit. Cependant, un certain feeling nous a permis de vivre presque sans arrêt -  je sous-estimais considérablement mon endurance en la matière - des ébats torrides et sensuels du soir au matin. Un baiser en guise d'adieu sur le parking de l'hôtel, - on se reverra ?- oui bien entendu, alors que nous pensions tous les deux l'inverse : Il nous fallait garder ce souvenir impérissable et le réitérer aurait sans nul doute brisé la magie qui nous a accompagnée plusieurs heures durant. Nous ne souhaitions, ni l'un ni l'autre, revivre ces instants charnels. Les suivants n'auraient pu être aussi bons, puissants, envoûtants, fascinants que le premier. Oui j'ai été gourmande dans ce cas précis, mais ce devait être un soir de pleine lune dirons-nous…
    Enfin je terminerai par répondre à votre invitation à vous rejoindre vous et votre amante mercredi prochain au cours de cette soirée libertine, en tout bien tout honneur bien sûr… Je reconnais que l'idée m'avait effleuré mais je suis cependant au regret de décliner votre sollicitation.
    Et oui, mercredi je fais mon repassage et pas un autre jour, je ne serais pas épilée, mon rendez-vous chez le coiffeur est prévu dans 15 jours, il faut que je change l'eau du bocal de mon poisson rouge, je dois téléphoner à ma soeur, j'ai un bouton sur le nez, ce n'est pas mon jour de sortie, je suis chiante comme la mort, il faut que je plante mes salades au fond de mon jardin…
    Ca c'est pour les excuses bidons. Par contre les deux vraies raisons sont que j'ai prévu une nuit avec mon amant cette même date, et que j'ai une peur bleue de vous rencontrer. Que peut bien faire une pauvre femme au foyer avec des libertins cultivés et intellectuels de surcroît ?
    Cette question n'attend pas non plus de réponse mais la pression de notre société vis à vis de ces femmes qui ont décidé de rester dans leurs quatre murs pour voir s'épanouir leurs progénitures est très pesante : nous ne sommes que des bonnes à rien si ce n'est à lire les derniers potins de Voilà en regardant les "feux de l'amour" et en faisant le ménage du matin au soir. Je me demande si cette image n’est pas justifiée lorsque je vais chercher mes loulous à l'école, en voyant le tableau pitoyable de ces mamans qui s'habillent comme des sacs et qui n'ont d'autres conversations que les promos à Carrefour, la dent de leur dernier qui vient de tomber, sans oublier les commérages sur les "pétasses bourgeoises et hautaines" de mon espèce qui osent venir en talons hauts à la sortie de l'école et qui n'adressent la parole à personne de peur d'être contaminées par leurs tristes distractions. Je préfère me laisser vilipender, continuer à lire les essais de Montaigne si ça me chante, et oser faire attention à mon apparence puisque je ne veux pas me résoudre à ressembler au stéréotype de la ménagère de moins de cinquante ans !
 
    Je vous souhaite un agréable week-end.
    Au plaisir de vous lire encore.

Sarah

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    Chère Sarah,

    J’ai la conviction que bon nombre de professionnels de l’écriture n’ont pas la notoriété que vous feignez d’imaginer. En matière de lettres, le talent ne paie plus, pas même en nature, vous savez, ces fruits amers que sont glorioles et célébrité, si prompts à griser, surtout les tempes. Alors je m’étais imaginé qu’entre un amant et une sortie d’école, vous endossiez le costume de l’obscur(e) nègre(sse) payée aux pages et pour se taire. C’est y pas bête d’être si romanesque ! Vu votre goût pour la précision et les explications de texte, je me demande d’ailleurs si en fin de compte, vous n’avez pas été prof de lettre dans une vie professionnelle antérieure.
3765f5e23a17542046633022af696db1.jpg    Ah, le fantasme du bel inconnu, celui que l’on ne verra qu’une fois. Au risque de vous surprendre, je ne l’ai jamais conjugué au féminin. J’ai certes connu des femmes que je n’ai pas revues, de mon fait ou du leur, mais ce ne fut jamais prémédité. Dans une logique épicurienne cherchant à maximiser les plaisirs et minimiser les déplaisirs, j’ai toujours considéré ces rencontres éphémères comme des erreurs de parcours. Car soit le plaisir n’était pas au rendez-vous, soit la belle a pris ses jambes à son cou et mon ego en a pris un coup. Bref, dans tous les cas l’abstinence aurait été préférable. Apparemment votre expérience d’un véritable contrat hédoniste à durée déterminée vous aura apporté les vifs plaisirs annoncés sans les frustrations redoutées, et je devrais songer à mettre en pratique mes lectures philosophiques actuelles. Je viens de découvrir Michel Onfray par sa « Théorie du corps amoureux », sorte de traité du libertinage dans la lignée d’un épicurisme hédoniste, et je me suis surpris à faire un raid à la fnac avec pour objectif Ovide et son « art d’aimer », les œuvres complètes d’Horace, tout en me laissant malgré tout aller à quelques romans érotisants… A propos de pratique philosophique, j’ai récemment lu « aimer plusieurs hommes » de Francoise Simpère, y reconnaissant presque trait pour trait mon amante Jeanne, à juste titre comme elle me l’a confirmé, et que vous ayez encore quelques remords ou pas, je vous conseille aussi cet essai qui fait l’apologie des fidélités contre l’exclusivité.10d0430e7ddd479aff55a50b6fa64fa6.jpg
    Je suis heureux de vous savoir en de bonnes mains libertines, car seul un homme avisé prendra soin de vous trouver une partenaire de jeux saphiques, dont il pourrait aussi goûter ultérieurement les faveurs. Vous vous en doutez sans doute car je vous sais perspicace. Ce qui me surprend davantage chez vous, c’est la légèreté avec laquelle vous abordez votre liaison avec votre amant, sans vous encombrer des sentimentaleries d’usage, avec cette juste distance qui vous permet d’aborder les douceurs romantiques avec lui et des escapades romanesques avec d’autres, sans le vain cœur du jeu de qui-perd-gagne auquel excellent les sentimenteurs. Je ne peux donc que vous féliciter sur votre lucidité, qui parfois me manque.
    Jeanne a regretté votre absence Mercredi dernier, dont les débats auraient assurément bénéficié de votre contribution, et elle fut particulièrement surprise par la raison que vous avez invoquée. Elle me connaît assez pour m’avoir démystifié, et à la réflexion, il ne me déplait pas de garder auprès de vous cette aura virtuelle qui risquerait fort de disparaître dès notre première rencontre réelle. Comment aborder la chair sans rompre le charme épistolaire ? Voilà un sujet de dissertation autrement plus excitant qu’une explication de texte et à laquelle je vous invite…

    Au plaisir assuré de vous lire,

    Christophe

À suivre…