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24 décembre 2007

Mission libertine - VIII

    J’entrai chez Chochotte sans savoir si Sarah y était déjà, et j’allai me renseigner au guichet.

- Bonjour monsieur. J’étais venu il y a quelques temps à propos d’un défi que je comptais lancer à une de mes amies, vous vous souvenez ?
- Oui, oui je me souviens.
- Normalement, elle devrait être arrivée.
- Une femme blonde est descendue il y a quelques minutes. Je la vois dans la vidéo de surveillance. Tout se passe bien. Très bien même.

    Je me tordis le coup dans l’espoir de la voir dans la salle sur les écrans de surveillance, sans succès.

- C’est parfait. Pourriez-vous lui remettre cette enveloppe quand elle ressortira ?
- Qu’est-ce que c’est ? Demanda-t-il quelque peu soupçonneux.
- Une simple lettre, vous voyez, l’enveloppe n’est même pas cachetée.
- Aucun problème, répondit-il un peu gêné par la méfiance qu’il venait de me témoigner.
- Vous permettez que je reste quelques instants dans l’entrée ?
- Si vous voulez, me dit-il sans me poser plus de question.

    J’actionnai discrètement la télécommande du papillon en espérant qu’elle fonctionne à cette distance, tout en laissant mon esprit vagabonder au gré de la correspondance que nous avions échangée les jours derniers.


    Ma très chère Sarah,

    Sachez que le portrait de votre folle passion ne m’importune pas le moins du monde, car je partage en tous points une passion similaire. Une passion charnelle et cérébrale pour une femme qui m’a prodigué ses mots raffinés, qui m’a offert son corps torride, et dont je ne connais toujours pas ce qu’elle offre au moindre passant : la vue de son visage. Je l’ai certes deviné dans la pénombre, mais je redoute de le voir devant moi dans un cadre social classique. Non, je ne crains pas de m’évanouir face à un quasimodo au féminin, je crains seulement que le mystère que nous entretenons ne s’évanouisse, et que notre liaison si particulière sombre dans la trivialité des relations illégitimes.
    J’ai joué de maladresse dans ma préparation d’un nouveau défi avec Yann, qui brûle d’être le skipper plutôt que de se contenter du rôle d’équipier. Après vous avoir contacté en privé, je sais que ce séducteur impénitent aura tout fait pour vous faire tomber dans son escarcelle autrement plus profonde que la mienne, même si j’avais d’autres projets… Si vous souhaitez vous offrir un moment de plaisir avec lui sans plus attendre, je ne peux vous en empêcher, et cela ne devrait pas nuire à notre relation. Soyez tout de même bien consciente de son inconstance, au point qu’après avoir eu une aventure avec vous, il pourrait ne plus envisager les combinaisons sensuelles dont je lui avais fait part. J’espère donc que vous continuerez à m’accorder votre confiance pour nous mener au terme des plaisirs que j’escomptais. Je suis bien conscient que vous ne pourrez pas maintenir éternellement ce feu follet en veilleuse, et je ne vous demande que quelques mois pour mener mystérieux projet à son terme. Oui, j’ai conscience que ce délai est bien long, mais songez que sa ferveur sera probablement proportionnelle à l’attente que vous lui imposerez. Je vous laisserai ensuite jouir de ses atouts comme il vous plaira. Aussi, vous pouvez considérer la chasteté que je vous demande envers lui comme un nouveau défi. […]

2ac816edd6b5c9d4f7be3343dae3264c.jpg    J’avais rencontré Yann quelques mois plus tôt. Dès que je l’avais vu arriver dans le café où nous nous étions donnés rendez-vous, j’avais reconnu le séducteur impénitent : Casque à la main, combinaison de cuir et gueule d'amour, il avait une allure tout à fait conforme à son incroyable tableau de chasse. Jeune trentenaire, journaliste, récemment divorcé, il était alors en pleine tourmente sexuelle et existentielle. Adepte de tantrisme et de rencontres éphémères, il jouissait d'un certain succès auprès des femmes et j'avais flairé en lui le partenaire de débauche idéal : nous comblâmes ensemble une amatrice d’émotions fortes ce qui nous lia aussi d’amitié. C’est ainsi que j’appris qu’il était entré en contact avec Sarah. Elle ne s’était pas montrée insensible à sa cour assidue, contre laquelle je l’avais mise en garde tout en demandant à Yann de réfréner ses ardeurs, sans trop y croire : autant demander à un lion de ne pas croquer la gazelle qui gambade sous ses yeux. C’était bien le cas de le dire.
   

    Très cher Vagant,

    Une fois de plus, je pense être sortie victorieuse du défi de chasteté que vous m’aviez lancé, et sans ceinture s’il vous plait. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai qu’« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », ni que j’aime vivre dangereusement. J’ai donc accepté l’invitation à déjeuner de votre ami Yann, en tout bien tout honneur avait-il insisté, mais dans un contexte dont je n’avais pas mesuré la dangerosité pour ma vertu avant de me retrouver comme une gazelle face au lion dans la savane : rien qu’à suivre son regard, il était facile de comprendre que ses appétits ne se réduisaient pas à mon petit pot de rillettes. Vous l’avez compris, j’ai accepté une invitation à pique-niquer en sa très charmante compagnie hier midi, au bois de Vincennes, étendus côte à côte sur une couverture à même le sol.
    Heureusement, j’avais mon sac à malice. Je suppose que vous vous souvenez de ce lourd sac que j’avais péniblement traîné dans la chambre d’hôtel ce soir où vous vous étiez offert à mes vices et sévices ? Et bien je l’avais avec moi hier, non pas pour transporter un fouet afin de dompter le fauve, ni même des menottes pour lui attacher les poignets derrière le dos et transformer le lion en oisillon auquel donner la becquée, non, je n’avais que quelques provisions et un ruban rose.
    Avant même de m’étendre sur la couverture, j’y ai déroulé le ruban dans la longueur afin de  la partager en deux zones égales : À chacun la sienne, comme les pupitres à l’école primaire ! Avec interdiction formelle de traverser la ligne rose en aucune manière. Nous avons installé nos sandwichs, salades, quiches et autres victuailles tout au long du ruban, comme des postes de douane sur la frontière, et j’ai pu prendre mes aises en toute quiétude. Il faisait très beau hier, particulièrement chaud pour la saison, et vous avouerez avec moi qu’il aurait été dommage de ne pas dévoiler ma peau aux premiers rayons d’un soleil primesautier. Je portais donc une jupe assez courte, et un simple chemisier après avoir retiré mon pull. Devant son échancrure, je peux vous avouer que votre ami Yann a bien tenté quelques incursions en territoire ennemi, mais je lui opposais une défense de fer. Jusqu’au moment où il s’est dressé face à moi, juste à la limite du ruban ! Il a avancé sa main… qui s’est heurtée contre une vitre invisible à l’aplomb du ruban rose ! Il semblait en chercher les contours, un passage à tâtons. Alors je l’ai aidé à chercher la faille, et nous avons entrepris un vrai numéro de mime marceau, simultanément et chacun de notre côté du ruban. Nous nous sommes frôlés pendant quelques minutes, mais sans nous toucher, sa main à un centimètre de mon sein, la mienne aussi près de ses hanches, nos lèvres proches au point que nos souffles se mélangent…
    Et rien de plus.
    Comme je vous l'ai maintes fois répété, j'ai une confiance aveugle en vous Vagant, c'est pourquoi cet entracte burlesque s’est arrêté là, et je m'en remets à vos moindres désirs. Votre ami Yann, aussi séduisant soit-il, ne m'attire quand même pas autant que vous, il est loin de déployer autant d’efforts pour moi - et pour lesquels je ne sais toujours pas comment vous remercier - et je n'ai pour l'heure pas trouvé un autre amant que vous qui recherchait ce que moi-même espérais vivre en secret, et qui me fait chavirer. Je lui laisse donc cette place d'équipier et ne vous démets nullement de vos fonctions de skipper car je souhaiterais vous garder comme un précieux trésor que je possèderais au creux de la main...
Je le tiendrai donc en haleine le temps qu'il faudra, et je ne lui soufflerai mot de ce que je sais […]

 

    Je jetai un coup d’œil à ma montre. 14h30. Il était grand temps de quitter la boite de strip-tease avant que Sarah n’en sorte, et je me précipitai vers le métro. Mais auparavant, il me fallait encore donner un coup de téléphone.

À suivre…