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09 octobre 2007

Échangisme belge

    D’un sourire engageant, Marion invita Jean à entrer dans sa chambre à coucher. Les murs étaient couverts des photos de Mathieu, son mari, surtout des natures mortes où la rouille disputait l’automne aux arbres dégarnis. Au diapason des photos paisibles, Marion parlait d’une voix grave, voilée d’un léger feulement qui lui conférait une sensualité irrésistible. « La fenêtre donne sur le jardin, c’est très calme ici, dit-elle sur un ton de confidence. On pourrait crier tant qu’on veut, personne n’en saurait jamais rien. » Il s’approcha tout près d’elle. Depuis l’étage, la vue s’étendait sur les champs jusqu’à l’horizon brumeux, jusqu’à sa perte. Il l’embrassa et ferma les yeux.
8246995b2be17a475288278b8e67edab.jpg    Le parfum capiteux de la jeune femme embaumait la pièce, et Jean ressentit autant de gène que d’excitation à pénétrer ainsi son intimité. Au rez-de-chaussée, sa femme était avec Mathieu, dans la chambre d’amis ou au salon, mais c’est sur une photo juste devant lui, au dessus de la tête de lit, qu’il focalisa son attention : un quai à l’abandon, au fond duquel ne coulait plus qu’un flot d’herbes folles. Une invitation à embarquer sur une chimère, une invitation au voyage impossible. Oui, impossible. Aller voir ailleurs, les transports trépidants, non, ce n’était pas pour lui. Marion était pourtant là, suspendue à ses lèvres, mais Jean ne pouvait détacher son regard du défaut sournois tout en bas de la photo : deux ombres roses. Les doigts de Mathieu s’étaient égarés sur l’objectif. Jean ne voyait plus qu’eux, ces gros doigts moroses qui allaient se perdre sur Bijou, la toucher, partout, à l’intérieur... La symétrie de la situation ne changeait rien à l’affaire dont sa femme était d’ailleurs l’instigatrice. Même s’il avait été excité par les annonces, abandonner là son Bijou entre leurs mains le révulsa.
    Mais pour le plaisir de sa femme Julie, il se tourna vers Marion, accepta d’échanger ce pavillon flamand contre son Bijou pour les vacances, et il lui donna solennellement les clefs de la maison…

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Oui, je l’avoue, j’abuse : cette note est presque un plagiat, celui de Lassitude par Madeleine sur NOLDA. Presque car le traitement est tout de même légèrement différent, et je plaide les circonstances atténuantes : j’ai agi sous la contrainte de Coumarine qui m’a obligé à parler de maison. Je n’étais certes pas obligé d’évoquer l’échangisme non plus, mais il me fallait aussi vous satisfaire, ami lecteur, pour pouvoir mieux vous frustrer ! À ce niveau là, je crois que ça va suffire pour l’instant, ma prochaine histoire sera du vécu, du vrai cul !

25 juin 2007

Descente aux chandelles (5)

Patrice s’allongea sur le dos. Jeanne le chevaucha. Je regardai un moment leurs sexes emboîtés, et puis je sodomisai Jeanne, très facilement malgré ma position plutôt sportive : debout, les jambes fléchies, genre cours d’aérobic, juste en appui sur les pieds pour ne pas les écraser. Les cris de plaisir de Jeanne arrosèrent toute la pièce. Tandis que je me retirai, elle voulu aussi arrêter. Elle n’en pouvait plus. Mais son partenaire en voulait encore, répétant qu’il allait bientôt jouir. Alors elle resta encore un peu dans ses bras. À côté de moi, un autre homme se masturbait, prêt à entrer en jeu. Je lui dis que c’était fini. Le bassin de Jeanne finit par se séparer de celui de Patrice. Je regardai son sexe, un peu mou. Il pressa son gland entre ses doigts et finit par lâcher quelques gouttes de sperme. Il ne devait pas en être à son premier jet. Il fit quelques commentaires sur la « figure de style » que nous venions de réaliser, d’autant plus élogieux pour Jeanne que c’était sa toute première double pénétration. Il nous rappela son prénom, dès fois qu’on l’oublie. « Au plaisir de ne jamais te revoir »  pensai-je très fort.

Le temps de récupérer mes petites affaires semées ici et là, et je retrouvai Jeanne dans la salle principale en conversation avec Sonia. Nous échangeâmes quelques banalités avec elle, puis Jeanne et moi nous assîmes tous les deux. Je la retrouvais enfin. Je l’étreignis, fort, comme un noyé serre sa bouée de sauvetage. Je m’ouvris à elle, peu à peu, je lui  fis part de mes sentiments confus, de la tempête émotionnelle qui m’avait submergé. Je fus surpris qu’elle me dise ne pas avoir aimé cela, même si la situation était excitante, « parce que les hommes bandaient plutôt mou, et même si c’est pas mal d’avoir plusieurs mains sur soi, c’est quand même mieux à deux avec son amoureux ». Et surtout elle me dit que jamais, oh grand jamais, elle ne m’aurait quitté pour un de ces hommes là. Cela me rassura, même si je savais qu’il me faudrait du temps avant de digérer cette expérience, pour ne pas dire cette épreuve, qui m’avait aussi permis de réaliser combien je tenais à elle. Et pourtant, alors que je comprenais mieux ce qui me liait à Jeanne, ce que je venais de toucher du doigt allait se déliter.

medium_Libertine_II.jpgNous rentrâmes à l’hôtel. Jeanne jeta ostensiblement le bout de papier sur lequel Patrice avait noté son numéro de téléphone à mon insu. Elle me raconta même comment il lui avait demandé en pleine étreinte : «Embrasse-moi ! Embrasse-moi comme si tu m’aimais !». Ainsi sa tentative d’appropriation de Jeanne, tentative que j’avais immédiatement perçue et dont j’avais souffert, était bien réelle et motivée par une confusion malsaine. Patrice n’était pas dans le partage, ni même dans le pillage, mais dans l’annexion pure et simple. Dans cette guerre, Sonia n’était que son cheval de Troie. Jeanne et moi nous couchâmes, nus, l’un contre l’autre. Dieu que c’était bon de la sentir entièrement contre moi. J’eu envie de lui faire l’amour, faire l’amour sans doute pour la première fois de la soirée. Épuisée, elle s’endormit dans mes bras. Moi, je ne dormis pas beaucoup cette nuit là. Le film de la soirée passait et repassait en boucle sur l’écran noir de ma nuit blanche. Dans son sommeil, Jeanne marmonnait la bande son : « J’ai trop bu… J’ai fait des bêtises avec mon corps… »

Nous ne sommes jamais retournés en club libertin, Jeanne et moi. Elle ne l’aura fait qu’une seule fois en fin de compte, « pour voir si j’en étais capable » me dira-t-elle quelques mois plus tard, mais sans la moindre envie de recommencer : « J’ai survécu au Koh-Lanta du libertinage, moi ! ». En évoquant dernièrement cette malheureuse expérience avec elle, Jeanne m’a dit n’avoir toujours pas compris ma débâcle : « Après tout, on ne va pas dans un club échangiste pour enfiler des perles ! »

 

23 juin 2007

Descente aux chandelles (4)

Tandis que j’arrivai sur le nouveau théâtre des opérations, après avoir enlevé mes chaussures et enjambé les corps agglutinés en regardant bien où je posais les pieds, Patrice prenait sa partenaire, ma Jeanne, dans la position du missionnaire. J’étais vidé. Je posai la main sur elle, tendrement. En pleine extase, les yeux mi clos, elle me dit « c’est toi mon ange ? ». Oui, c’était moi, je n’allais pas la laisser toute seule avec ce type là, il fallait que je reste avec elle, avec elle qui n’était plus vraiment là et qui me manquait déjà. Je voulais que cet homme parte, qu’il nous laisse. D’un autre côté, je ne voulais pas la frustrer du plaisir qu’il semblait lui donner. Une femme vint roder autour de nous. Elle fouillait fébrilement les matelas, puis elle finit par lâcher : « Excusez-moi, je ne veux pas m’incruster, mais c’est très important, j’ai perdu mon tube de rouge à lèvre !medium_Pile_ou_Face.2.jpg

- Je vous en prie ! » Répondit Jeanne sur un ton calme et policé en lui laissant la place. Elle semblait avoir repris tout d’un coup ses esprits. Décidément, elle n’en finissait pas de me surprendre.

Cette anecdote est révélatrice de l’état d’esprit de Jeanne. Elle se conformait au modèle social attendu tel un caméléon qui se confond avec les couleurs du décor. Dans ce club, la norme sociale était celle de l’échangisme et elle livrait donc son corps à cet homme conformément à son idée préconçue de l’échangisme, et à laquelle elle s’était préparée, au point d’abraser ses envies spécifiques plus proches du mélangisme comme elle me le dirait plus tard et dont les tentatives de caresses à l’endroit de Sonia l’avaient attesté. Le comportement de Jeanne était donc exactement en phase avec l’image de la parfaite libertine promue par ce club, mais peut être pas avec ses désirs profonds et certainement pas avec les miens. Quant à Patrice, il avait su tirer parti de cette parfaite adaptation de Jeanne qui la conduisait à se faire baiser en ronronnant de plaisir, comme un bon client bien poli se fait baiser avec le sourire par un commercial sans vergogne.

La femme retrouva son précieux tube de rouge à lèvre et nous laissa à nos petites affaires qui reprirent là où elles avaient été interrompues. Patrice souleva les jambes de sa partenaire à la verticale et il les plaqua le long de son torse. A la sonorité des gémissements de Jeanne, plus aigus, je cru comprendre qu’il la sodomisait. Je ressentis alors l’impérieuse nécessité de sortir du désarroi insondable dans lequel je sombrais.

On peut envisager plusieurs comportements face aux situations de conflit, et c’est d’ailleurs l’étude de ces mécanismes de défense qui permettent de dresser le profil psychologique de chacun. Ces comportements sont plus ou moins archaïques ou adaptés au contexte et aux contraintes. Or je me trouvais bien dans une telle situation conflictuelle puisque j’avais assimilé l’attitude de Patrice à une agression envers le couple que je formais avec Jeanne, intrusion néanmoins consentie par Jeanne dans ce contexte échangiste. Par conséquent, ma principale contrainte demeurait le plaisir visible de Jeanne. Aussi n’envisageai-je pas l’affrontement direct, c’est à dire la rébellion face à cette scène violente à mes yeux, et qui aurait consisté à ordonner à Jeanne d’arrêter, ce qui revenait de facto à chasser Patrice. Il me sembla tout autant inconcevable de prendre la fuite, ce qu’elle aurait considéré à juste titre comme un lâche abandon incompatible avec mon estime de soi. Je régressai donc jusqu’au déni : Tout était parfaitement normal, Jeanne et moi allions très bien, et je sortis ma queue mollassonne pour qu’elle me la suce. Ce comportement offrait pour bénéfice secondaire une apparente adaptation aux règles du jeu dans cet établissement : J’étais blanc comme un linge mais j’avais sorti ma verge comme une civilité. Quant au dernier bénéfice secondaire, mon éventuel plaisir, il était quelque peu anecdotique.

Le plus étrange est que mon corps, comme s’il avait été indépendant de mes états d’âme, réagissait positivement et Jeanne parvint à me redonner une certaine vigueur. Patrice dit : « quand tu es prêt, on fait une double ! ». J’acquiesçai poliment, reconnaissant envers lui de le laisser m’intégrer à leur couple. Lui et moi avions totalement intervertis nos rôles.

A suivre...

 

21 juin 2007

Descente aux chandelles (3)

Jeanne ne comprit pas ce qui venait de m’arriver. Jusqu’alors, je représentais l’homme de tous ses fantasmes, des pique-niques coquins aux ébats scénarisés, le libertin tout terrain qui cachait sous son capot rutilant un cœur d’amant sentimental, et qui lui permettait d’échapper à l’horizon bouché de sa vie de mère au foyer coincée dans un mariage en bout de course. Pour cette soirée, Jeanne s’était préparée à toutes les extravagances afin d’être à la hauteur de ma réputation sulfureuse. Elle, elle avait revêtu sa robe de soirée comme un gladiateur met son plastron, et voilà que l’homme censé la conduire sur le chemin des plaisirs extrêmes se dérobait soudain. En quelques minutes, j’avais perdu auprès d’elle mon statut d’amant infaillible, et par la même une partie de mon attrait érotique. À l’inverse, je découvrais en elle une libertine aux ressources insoupçonnées qui dansait comme si de rien était après sa première expérience pluraliste.

medium_ClementineII.2.jpgUn peu groggy, je m’assis pour regarder Jeanne au milieu d’autres ravissantes créatures sur la piste. Je me sentais encore un peu déconnecté mais je voulais reprendre le cours de la soirée comme on saute dans un train en marche, ce que se manifestait par une furieuse envie de baiser. Je remarquai une fille métisse qui semblait un peu paumée, assise au bar sur un grand tabouret, sacrément sexy et curieusement seule. Jeanne qui ne dédaignait pas les femmes s’approcha de moi et me parla d’elle, ou plutôt de ses seins rehaussés par sa guêpière, pulpeux comme des fruits murs, « où elle aimerait planter les dents », me dit-elle. Je ne demandais pas mieux. Lorsque cette fille partit dans les salons câlins, visiblement à la recherche de son partenaire – rétrospectivement je me demande si elle n’était pas à la recherche de son client pour lui signifier des dépassements d’honoraires – je proposai à Jeanne de suivre le même chemin. Comme nous tentions de nous frayer un passage entre les corps entrelacés, une grande blonde qui siégeait au détour d’un étroit couloir nous barra le passage. Elle affichait la posture désinvolte d’un douanier africain corrompu dominant son bout de macadam, mais la kalach aux yeux plutôt qu'à l'épaule: Ses jambes tendues en appui sur le mur face à elle, sa jupe relevée sur une belle impudeur, elle cribla Jeanne de regards égrillards. « On ne passe plus ! », sortit-elle sur un ton de défi. À ses côtés, un homme regardait Jeanne comme une gourmandise dans la vitrine d’une pâtisserie. J’imagine qu’il fallait actionner la manivelle de ce garde barrière pour que sa comparse ouvre tous les passages, et ils semblèrent bien dépités de voir Jeanne rebrousser chemin sans entrer dans leur jeu. Nous échouâmes finalement dans la grande salle où la partouze battait son plein.

Nous regardions la scène, passablement excités, lorsque le couple que nous avions croisé dans le sas d’entrée nous aborda. « Et bien on se retrouve » me dit l’homme en souriant, sourire auquel nous répondîmes. Prendre garde à ses sourires est certainement la chose la plus importante à expliquer aux apprentis libertins. Cet homme prit probablement le nôtre pour une invitation car il enlaça Jeanne sans autre forme de procès pour l’embrasser fougueusement. J’étais sidéré par la vitesse à laquelle l’affaire s’emballait. Serrés dans la foule toujours plus compacte, j’essayais de garder le contact avec Jeanne alors qu’il la contournait pour la caresser par derrière. Je sentis une main s’égarer sur la bosse de mon pantalon. Ce n’était pas celle de Jeanne mais celle de la compagne de cet homme, apparemment ravie, qui s’approcha de Jeanne pour l’embrasser à son tour, à pleine bouche. Nous nous présentâmes entre soupirs et baisers : lui Patrice, elle Sonia. J’étais à la fois terriblement excité et inquiet. J’embrassai timidement les lèvres offertes de cette inconnue, et ma main plus hardie s’égara sous sa jupe, sur ses fesses nues, fermes et rebondies. Malheureusement, Patrice ne semblait pas goûter au plaisir des préliminaires mélangistes qui m’auraient amplement suffit. Il détourna à son profit les tentatives de Jeanne pour caresser Sonia, ce dont je ne me rendis pas compte. Je ne voyais qu’une chose : le visage haletant de Jeanne que Patrice prenait debout, par derrière, une minute à peine après nous avoir abordés !

Il attira sa proie consentante dans un recoin tranquille pour mieux jouir d’elle. J’y entraînai aussi Sonia pour ne pas perdre Jeanne de vue. En voyant Patrice prendre mon amour encore et encore, contre ce mur de pierres où elle gémissait de plaisir – oui, c’était bien du plaisir, je reconnaissais ses soupirs - j’essayai de la haïr. Débauche des corps et débâcle des sentiments. L’ombre d’un instant j’essayai de reconsidérer la situation sous un autre angle : Jeanne n’était pas la femme dont j’étais amoureux, non, ce n’était qu’un simple passeporc pour entrer dans ce club et me taper toutes les nanas qui me tomberaient sous la main. Sonia tombait plutôt bien. J’écartai son string par derrière et je caressai son sexe encore sec. De l’autre main j’enfilai un préservatif, prêt à la prendre façon soudard. Quelques allées et venues le long de sa vulve, et je la sentis tout d’un coup toute humide sous mes doigts qui s’acharnaient sur son clitoris comme sur le bouton d’un ascenseur récalcitrant. Alors je l’enfilai d’un coup sec et je l’a besognai sans ménagement, un peu comme une vengeance. Elle était étroite et j’éjaculai très vite, sans plaisir mais sans débander non plus tant mon corps était excité. Je continuai à la ramoner vigoureusement tandis qu’une autre femme s’approcha de Sonia pour la caresser. Elle finit bien par jouir sous mes coups de boutoir. De temps en temps, le cœur vide, je regardai Jeanne se faire bourrer aussi. Je crois que j’éjaculai une seconde fois au fond de Sonia, sans vraiment en jouir, puis je me retirai. Mon préservatif pendait au bout de ma queue en berne. Sonia m’adressa un sourire élogieux. En retour, mon rictus dut etre mis au compte de la fatigue. Patrice voulut prendre ses aises sur une banquette et je les suivis, comme un troisième. Je ne réalisai même pas que Sonia avait disparu.

À suivre

26 janvier 2007

La planète échangiste

medium_planete_echangiste.jpg La libertine est l'otage du désir masculin et fait l'objet d'un troc qui ne dit pas son nom. Tel est le credo de "la planète échangiste" de Daniel Welzer-Lang, devenu depuis sa parution l'ouvrage de référence sur l'échangisme. Fort de ses quatre années d'enquête sur le terrain, DWL en est devenu le théoricien incontesté. Cette légitimité est-elle bien justifiée ? C'est pour tenter de répondre à cette question que j'ai ingurgité les 570 pages de cet ouvrage. Permettez-moi de régurgiter mon analyse.

La couverture est sensationnaliste: "Ce livre est un événement. Pour la première fois, toute la lumière est faite sur la "planète" échangiste [...] L'immense enquête de terrain menée pendant quatre ans par Daniel Welzer-Lang [...] n'avait jamais été publiée.". L'introduction resitue le contexte. Dans les années 1995, DWL et son équipe ont enquêté sur l'échangisme avec pour louable objectif la prévention du SIDA. Son rapport de recherche qui s'est achevé en 1997 n'avait jamais quitté les rayons des bibliothèques universitaires. 8 ans plus tard, le voilà opportunément publié avec peu de remaniements, ce qui explique un chapitre obsolète consacré au minitel. Une étude qui date d'une décennie peut-elle être l'ouvrage de référence d'une pratique en pleine évolution ? La question mérite d'être posée d'autant plus que ce livre est pour le moins subjectif.

Ce rapport obéit à une hypothèse qui transparaît à toutes les pages, dès le début (p 13): "Les gens touchent, se touchent, font l'amour, échangent les partenaires féminines[...]" (p. 13). On comprend vite que selon DWL, l'échangisme consiste à échanger des femmes plus ou moins consentantes, plus ou moins contraintes, pour le bonheur de la libido masculine à l'image de la pornographie. Il faut cependant attendre le chapitre 6 (L'entrée dans l'échangisme) pour lire explicitement cette hypothèse: "Les pratiques non conformistes correspondent en premier lieu au désir des hommes de vivre des relations sexuelles avec plusieurs femmes de manière successive et/ou simultanée. L'échangisme est une forme contemporaine de polygamie masculine. (p. 153)" Le raisonnement historique qui permet d'aboutir à cette hypothèse n'est pas dénué d'intérêt. Je vous le livre donc in extenso (pp 154 & 155):

"De tous temps, les sociétés patriarcales et viriarcales ont appris à certains hommes un mode de gestion polygame du désir. Philippe Ariès écrit: "Aujourd'hui, nos réflexions escamotent souvent un phénomène, absolument capital et quasi permanent jusqu'au 18ème siècle [...] : La différence que les hommes d'à peu près toutes les sociétés et de tous les temps (sauf les nôtres aujourd'hui) ont observé entre l'amour dans le mariage et l'amour hors du mariage." Jean-Louis Flandrin rappelle, quant à lui, les débats en cours au Moyen age: malgré la doctrine officielle de l'église, il était considéré comme normal qu'un homme ait des amours hors mariage. Et des codes relativement précis réglaient la nature des rapports sexuels que l'homme devait entretenir avec son épouse et avec les autres femmes. On ne prend pas sa femme comme on prend sa maîtresse, telle semblait être la topique de l'époque. Les hommes partageaient leur vie sexuelle entre maîtresses, prostituées, amantes et épouses. Et des lieux spécifiques permettaient et/ou structuraient cette polygamie.

Jusqu'à une époque récente, les constructions sociales différenciées de l'amour et de la conjugalité organisaient les pratiques féminines et masculines. Quand les femmes, dans l'amour, cherchaient un "tout en un" où le même homme devait être à la fois bon père, mari attentionné et bon amant (pour celles qui avaient accès à leurs désirs sexuels), les hommes distinguaient l'amour dans la relation conjugale et l'amour dans les pratiques sexuelles. Il y avait les femmes qu'ils aimaient, qui élevaient leurs enfants, qui s'occupaient de leur foyer, et les femmes qu'ils aimaient et avec lesquelles ils pouvaient vivre leur sexualité. Pratiques et représentation de la sexualité des femmes étaient "sous contrôle" des hommes et l'objectif in fine était une maîtrise stricte de la reproduction : "deux hommes ne partagent pas le même vagin", explique Françoise Héritier.

Puis vint la contraception féminine hormonale, beaucoup plus fiable que les méthodes empiriques précédentes; vint aussi la possibilité légale d'avortement dans des conditions d'hygiène acceptables. Les femmes et leurs conjoints disposent alors de moyens efficaces pour contrôler la reproduction. Dès les années 1970, le féminisme promoteur de cette révolution scientifique, les mouvements gais et les groupes militants de toutes sortes font vaciller l'édifice des sexualités. Les certitudes s'effondrent, les conduites libertines, jusqu'alors réservées à quelques cabarets clos, se diffusent massivement. "Pourquoi pas" traduit parfaitement cette époque de remise en cause des modèles. Communisme sexuel dans certains groupes communautaires, relations extraconjugales ou multirelationnalité sérielle : les modèles sont divers, mais ils ont tous en commun de remettre en cause les valeurs traditionnelles liées au mariage, du moins de le revendiquer haut et fort.

Ce qui ne veut pas dire que les "nouvelles pratiques" conjugales ne soient pas, elles aussi, normatives. L'égalité est posée en absolu, voire, à cette époque, entre 1970 et 1985, en dogme arithmétique. L'époque impose sur le plan de la sexualité, du moins dans les discours des "spécialistes", des relations sexuelles qualifiées d'égalitaires entre hommes et femmes. L'orgasme de l'un doit répondre à l'orgasme de l'autre dans un ensemble parfait. Tout décalage, toute désynchronisation est suspectée de cacher des problèmes sexuels qu'il faut s'empresser de soigner. Les rapports à la séduction évoluent également. Un jeu doit s'établir entre les deux partenaires afin de permettre à chacun d'exprimer ses désirs : "Il est donc prescrit de produire des orgasmes, et, d'une façon générale, de "s'éclater", c'est à dire d'être des stakhanovistes de l'hédonisme. Mais attention! Sans goujaterie (apparente) ! Respectez vos partenaires ! Aidez les à fonctionner !" dit André Béjin. La réalité n'est pas aussi simple et nous avons montré comment certains client des prostitué-e-s semblent évacuer ce malaise dans leur rapport aux femmes pour obtenir des services sexuels auxquels ils ne peuvent accéder autrement.

Une de mes hypothèses centrales est que la fréquentation des clubs échangistes réfère à la même problématique. Nous serions en présence d'une gestion conjugale de la polygamie masculine des désirs, d'une forme moins arithmétique de partage.
"

DWL développe cette hypothèse au chapitre 7: "La femme qui opte de manière volontaire pour les pratiques non conformistes sait qu'elle entre en concurrence avec les autres femmes. Pour garder son conjoint, elle devra faire un travail incessant de séduction: de son conjoint et des autres hommes. Elle va apprendre comment les désirs pour elle réactivent ceux de son conjoint, fier d'avoir une telle monnaie d'échange. Elle a peur de découvrir un jour l'absence de désirs pour elle et ses conséquences néfastes sur ceux de son conjoint. La valeur d'échange est liée à leur capitale érotique. (p. 191)."
Après avoir introduit tous les termes du marché, DWL explicite le mode de séduction dans un chapitre au titre explicite: "De la putain à la salope...". DWL nous explique que le groupe des hommes a toujours établi une division entre les femmes: les "mamans" et les "putains", au point de parler de polygamie entre les unes et les autres. Or la figure de la salope aurait tendance à remplacer celle de la putain dans l'imaginaire érotique masculin. DWL définit la salope comme la femme non vénale qui aime le sexe dans des formes qu'aiment les homes, et qui porte des tenues sexy définies par la pornographie.
"Pour garder leur conjoint, lui plaire, les femmes [échangistes] doivent se comporter en salope [...] Dans notre étude, nous avons rencontré de nombreuses femmes qui disent aimer la fréquentation des lieux non conformistes. Ces femmes reprennent pour partie les stéréotypes de la salope, tout en revendiquant leur propre plaisir dans cette représentation de soi et ces pratiques. Mais très souvent elles n'en adoptent pas le nom, préférant nettement le terme de libertine (p. 197)".
Mesdames et mesdemoiselles les libertines, je suis navré de vous apprendre que DWL vous considère comme les héritières des péripatéticiennes, tout au moins dans l'imaginaire masculin. Force est de constater qu'il n'est malheureusement pas le seul lorsqu'on lit certains commentaires masculins sur les forums de discussion.

C'est à travers ce prisme que sont interprétées toutes les interviews citées dans ce livre. Le libre arbitre féminin proclamé par quelques libertines est relativisé, la domination masculine débusquée entre les mots. "La planète échangiste" donne donc une vision subjective du libertinage, comme l'avoue DWL lui-même dans son introduction "Le point de vue développé ici, le regard qui transparaît dans les mots utilisés, est mon point de vue, mon regard" (p. 10). Cette vision est aussi panoramique. Loin d'être centré sur les pratiques échangistes "classiques" des couples, DWL aborde le voyeurisme, l'urologie, la scatologie, le SM, ainsi que tous les acteurs, des couples aux hommes seuls en passant par les professionnels. On peut donc lire des choses étonnantes. Je suis ainsi très surpris d'apprendre que "La tendance en 2005 est d'ailleurs d'aménager des backs-rooms de rencontre dans les sex-shops." (p. 62), au point de douter de la qualité des personnes interviewées lorsque je lis "Partout, que ce soit en club d'échangistes ou en soirée SM, je n'ai jamais rencontré un autre Noir, jamais [interview d'une femme qui pratique essentiellement le SM]" (p. 132)

DWL avoue aussi volontiers sa difficulté d'appréhender les échangistes, et son livre manque cruellement d'analyses quantitatives. Ainsi, on ne saura pas combien de français pratiquent l'échangisme, et les seules statistiques sont établies à partir des petites annonces de swing! DWL en déduit probablement à juste titre une sur-représentation des hommes seuls (51 %), suivis des couples (39 %) et enfin des femmes seules (3 %), le reste pour les travestis, groupes constitués et autres transsexuels (p. 83).
Les analyses qualitatives de ces annonces sont en revanche nombreuses: "Non seulement, dans l'échangisme les hommes contrôlent le sens des échanges des partenaires, mais en plus ils imposent leurs symboliques érotiques pornographiques" (p. 92). En ce qui concerne l'omniprésence de la pornographie dans les annonces, on ne peut malheureusement pas lui donner tort.

Lire "La Planète échangiste" est probablement un excellent moyen de dégoutter les futurs libertins, avec ces descriptions caricaturales (la description d'une partouze sur la plage au cap d'agde - début du chapitre 17 - est un morceau d'anthologie) et ces commentaires orientés. J'ai certes déjà rencontré certains travers fustigés par l'auteur, mais sa vision détachée ne peut rendre compte des émotions vécues. Dans ce tableau désespérant, DWL semble tout de même esquisser l'amorce d'une féminisation de la sexualité collective, et par conséquent une renégociation d'un échangisme machiste au profit de valeurs plus féminines. J'ose croire que la vision du libertinage véhiculée par des forums tels que E&T, ne serait-ce que par un certain équilibre des populations masculines et féminines, s'inscrit dans ce renouveau.