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30 avril 2008

Post-it (3)

22 Juin 1972, 8h35

Jean-Jacques,

On nous a vus dans la forêt du Grand Roc, depuis la route du Semnoz. Mon fiancé est au courant. Il veut des explications. Je suis perdue !

Angélique

 

24 Juin 1972, 8h45

Mon amour,

Je n’aurai pas l’hypocrisie d’en être désolé. Comment pourrais-je regretter nos étreintes ! Dieu que tes lèvres furent douces sur les miennes, et ta chatte fondante sur ma langue. Rien qu’à t’imaginer penchée en avant, mon nez planté aux tréfonds de ta croupe ouverte, j’ai soif de toi ! Quand le vin est tiré, il faut le boire ! Vivons au grand jour notre passion ! 

Jean-Jacques

 

24 Juin 1972, 9h00

Tu n’es qu’un égoïste ! On voit que ce n’est pas de toi dont on va persifler à la garden partie du domaine de Chevilly. Hubert et moi devions décider de la date du mariage… Qu’est-ce que je vais lui dire pour arranger la situation ?

A.

 

24 Juin 1972, 9h05

Que tu étais aux champignons !

JJ

 

24 Juin 1972, 16h05

Jean-Jacques,

Je n’en reviens pas. Hubert a gobé les champignons. À propos, je crois bien que j’en ai attrapés. Ce n’est pourtant pas la saison… ça me démange de te revoir, mon grand fou. T’es pas fâché, dis ?

Angélique

À suivre...

06:30 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : Post-it

29 avril 2008

Post-it (2)

24 Mai 1972, 16h35

Grand fou,

Il a suffit qu’un vieux pervers syphilitique me demande Vénus Erotica, pour que tu en profites pour encoller les pages les plus licencieuses. J’en ai plein les doigts. Ce n’est pas sérieux. Par pitié pour les archives otages de ta lubricité, j’accède à tes desiderata : ma petite culotte est dans l’enveloppe ci-jointe. Alors je t’en prie, aie pitié de Marguerite Duras, c’est pour madame Dupré.

Angélique

 

24 Mai 1972, 17h15

Mon ange,

Jamais je n’ai éprouvé une telle émotion à décacheter une enveloppe municipale. À peine avais-je extrait ta lingerie fine que je l’ai snifée comme une ligne de coke. Me voilà Angélicomane, accro au parfum de ta mouille que j’ai cru déceler aux confins de la dentelle. Voici un exemplaire illustré de Justine pour te donner une idée de mon érection, avant que j’aie répandu mon foutre au fond de ta culotte. Je rêve que tu la portes, que nos nectars se mélangent tout contre ta vulve… 

Jean-Jacques

 

24 Mai 1972, 17h42

Jean-Jacques,

Je reviens des toilettes. J’ai remis ma culotte pleine de ton sperme frais. Il était froid mais il sentait bon. Je l’ai réchauffé contre ma chatte bouillante. C’est malin, j’ai peur de me lever de mon siège maintenant, et qu’on remarque les tâches. C’est la dernière fois que je consens à ces cochonneries pour te faire plaisir. Et je t’en prie, ne t’avise pas de me suivre dans la rue avec tes yeux exorbités, ça fait jaser tout le quartier.

Angélique

PS: Je t’avais demandé L’amant de Marguerite Duras, pas Justine de Sade ! Tant pis, le clitoris de Madame Dupré devra patienter jusqu'à demain.

 

25 Mai 1972, 9h10

Ange de mes nuits, démon de mes jours,

Hier soir, j’ai attendu que tout le monde soit parti pour remonter des archives et sniffer ton siège. Ça sentait bon la salope et j’aime ça ! Je suis raide dingue Angélique, raide pour toi et dingue de toi. Quand accepteras-tu enfin de me voir, ne serait-ce que pour boire un verre ?

Jean-Jacques

 

25 Mai 1972, 9h25

Jean-Jacques,

Tu sais très bien que ce que tu me demandes est impossible. N’oublie pas que je suis fiancée ! Voilà mon soutien-gorge dans la grande enveloppe. C’est bien parce que c’est toi.

Angélique

À suivre...

06:15 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Post-it

28 avril 2008

La nuit démasque (3)

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    Alexandre ne refoule pas l’idée que Daniel touche Aurore. Sa langue glisse sur ses lèvres, intimes. Daniel la lèche plus qu’il ne l’embrasse. Sa langue coule dans la fente ruisselante aux replis de nacre pourpre. Aurore gémit, elle dit « non » tout doucement, elle dit « c’est mal », accentuant le ‘a’ trop grave pour être honnête. Alexandre la rassure, susurre des mots sirupeux : parenthèse, plaisir, ouverture. Il lui donne les excuses qu’elle attend autant que de la verge raide dans sa croupe fendue. Pousser par derrière tandis que Daniel lèche par devant, dedans et aux abords, farfouille dans toutes les encoignures, engloutis des flots de cyprine et une couille de temps en temps. Déraper dans la mollesse du cul qui s’encastre comme sur un platane. S’arrêter de pousser pour essayer de sentir les froncements de l’œillet sur le gland. Reprendre. S’enfoncer millimètre par millimètre. Enculer Aurore en lui disant combien il l’aime…

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27 avril 2008

Post-it (1)

    « Avez-vous rempli correctement la fiche avec la cote de l'ouvrage afin que nous puissions la faire parvenir aux archives dans les meilleurs délais ? »

    Madame Courteneau, bibliothécaire à Annecy depuis 1972, répétait la même question une centaine de fois par jour depuis 36 ans. Pourtant, que la fiche ait été dûment remplie ou pas, Madame Courteneau l’accompagnait toujours d’un post-it, rédigé de son écriture rêche et nerveuse, en parfaite harmonie avec son caractère acariâtre et sa physionomie à la raideur militaire. Elle glissait ensuite la fiche dans la navette, une sorte de petit ascenseur qui descendait jusqu’aux archives souterraines. Les mystérieuses entrailles de la bibliothèque savoyarde finissaient toujours par régurgiter l’ouvrage demandé, mais après une interminable digestion digne d’une fondue sans vin blanc. Madame Courteneau ouvrait alors le livre, prenait la fiche et en décollait le post-it qu’elle lisait rapidement. La plupart du temps, elle le froissait aussitôt et le jetait à la corbeille d’un petit geste sec, mais elle le collait parfois dans un dossier, à l’abri d’éventuels regards indiscrets, et elle appelait enfin le lecteur assoupi. Les délais d’attente étaient tels qu’ils étaient devenus légendaires, au point de susciter à certains lecteurs imaginatifs les plus folles explications. Toutes ces hypothèses farfelues étaient pourtant bien en deçà de l’incroyable vérité.

    Tout le monde fut surpris d’apprendre que Madame Courteneau avait pris sa retraite anticipée juste après le décès de son époux. Contre toute attente, elle avait bazardé son appartement au centre d’Annecy pour partir en catimini au fin fond de la Bretagne, bien qu’elle n’y connût personne. Une longue page de bons et loyaux services municipaux venait d’être tournée sans qu’on ne verse une larme de champagne. Madame Courteneau fût prestement remplacée avec d’autant plus d’entrain qu’avec la nouvelle bibliothécaire, les délais d’attente furent aussitôt divisés de moitié. La jeune femme s’en excusait pourtant, car ils demeuraient bien trop longs selon les normes en vigueur, à cause des fiches archaïques et du classement des archives en dépit du bon sens. Il était temps d’informatiser tout ça, et surtout de commander de nouveaux rayonnages pour mettre un peu d’ordre dans les archives étrangement exiguës où s’empilaient les livres en stalagmites branlantes. C’est au cours des travaux d’aménagement des archives qu’on découvrit le pot au rose : en poussant une vieille étagère bancale, elle pivota sur elle-même et s’ouvrit sur de vastes archives secrètes, composées de dossiers impeccablement classés par ordre chronologique jusqu’en 1972. Dans ces dossiers, des post-it, plus d’un million de post-it collés à la suite !

    Leur contenu était tel que la nouvelle bibliothécaire, aussi soucieuse d’épargner la vie privée de son prédécesseur que la réputation de son établissement, décida de détruire aussitôt ces dossiers compromettants. Elle eut cependant le tort de déléguer cette tâche ingrate à un employé qui trouva là l’occasion de se venger de la vieille acariâtre. La majeure partie des post-it finit par atterrir sur le bureau du rédacteur en chef de la feuille de chou locale, bien content d’avoir quelque chose de croustillant à publier. Affairiste avisé aux prétentions littéraires contrariées, l’opportuniste comprit aussitôt que l’heure de sa gloriole était venue. Il écrivit lui-même une série d’articles sulfureux pour faire enfler la rumeur et préparer la publication des archives secrètes, sous la forme d’un roman à son nom afin d’éviter d’éventuelles poursuites judiciaires. La fiction a tous les droits, et toute ressemblance etc... De toutes façons, la veille Courteneau, percluse de honte et de rhumatismes, n’eut même pas la force de retenir ses larmes en relisant sa vie massicotée en 300 pages. Le roman « épostitaire » commençait le 17 Avril 1972…


17 Avril 1972, 8h15

Mademoiselle de Montmorency,

Sans doute trouverez-vous ce message étrange, sûrement déplacé, peut-être ridicule, mais depuis que j’ai entendu votre voix, je n’ai de cesse de penser à vous. Tout seul au fond de mes archives, je ne vis que pour ces rares moments où je vous entends prononcer le mot « correctement », le seul à parvenir distinctement au travers du puits de la navette jusqu’au fond de mes enfers où je brûle de vous connaître, passant le plus clair de mes sombres journées la tête dans le puits et l’oreille aux aguets…

Dans l’attente d’entendre à nouveau votre voix angélique,

Jean-Jacques Courteneau.

 

17 Avril 1972, 8h22

Mademoiselle de Montmorency,

Je viens d’entendre votre rire cristallin résonner jusqu’à moi. Si je n’avais su qu’il sonnait à mes dépends, il aurait été le soleil de ma journée. Il sera la lune noire de ma nuit.

Courteneau

 

17 Avril 1972, 17h37

Monsieur Courteneau,

Avant de prendre ce premier poste à la bibliothèque d’Annecy, je n’aurais jamais imaginé que les fiches de cotes puissent être l’objet d’une correspondance personnelle. Je vous prie de croire que mon rire n’était que l’expression de ma surprise. Que votre nuit soit étoilée.

Angélique de Montmorency

 

18 Avril 1972, 8h15

Angélique,

Grâce à vous ma nuit a brillé de mille feux : une véritable voie lactée répandue entre mes draps, toute luisante à la lumière des espoirs que vous avez fait naître en moi.
Dans l’attente de vous lire et de vous entendre,

Jean-Jacques

 

18 Avril 1972, 8h35

Monsieur Courteneau,

Il en faut bien peu pour vous enflammer ! Après tout, nous n’avons pas été présentés et vous ne savez rien de moi. Peut-être suis-je affublée d’un abominable strabisme, et qui me dit que vous n’avez pas une jambe de bois bien sec pour brûler si facilement ?

Angélique de Montmorency

 

18 Avril 1972,  8h52

Mademoiselle de Montmorency,

Je vous prie de pardonner mon imagination galopante. Je plaide coupable mais j’ai les circonstances atténuantes de mon métier, qui m’ouvre l’esprit au plus romanesque autant qu’il m’enferme dans le plus âpre célibat.
Je vous assure que seul mon troisième jambage est dur comme du bois, mais je vous prie de croire qu’il ne manque pas de sève.

Jean-Jacques Courteneau

À suivre...

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Si vous voulez lire plein d’autres histoires sur la bibliothèque d’Annecy, Madame Courteneau et l’archiviste, vous en trouverez chez Monsieurmonsieur, STV, Le roi Ubu, Ardalia, Sandrine et Tiphaine.

Et si vous vous demandez encore pourquoi, sachez juste que c’est la faute à Melle Bille !

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21 avril 2008

La nuit démasque (2)

c8c7d8772c370a77fe486bdd2c4a5b84.jpg    Alexandre s’était attendu à voir un lieu de ténèbres et d’obscurité ; mais il fut surpris d’en voir un bien éclairé, d’un seul tenant et sans colonne, dont les murs peints d’une couleur blanc crème donnaient une atmosphère apaisante typique à l’esthétique palladienne. Les fenêtres en demi-lune, le long du bord du plafond, dispensaient un flot de lumière propre à flatter les tableaux qui y étaient accrochés. Les yeux d’Alexandre ne furent malheureusement pas captivés par la vue d’Aurore, mais par une toile inquiétante de Giambattista Tiepolo : le martyre de St Bartholomé, dans laquelle l’énorme couteau de l’exécuteur forme un contraste dramatique avec la pâle chair vulnérable de la victime. Alexandre courut hors de l’église avant même que de sinistres pensées ne soient parvenues à sa conscience.

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14 avril 2008

La nuit démasque (1)

1ba7119075da1900ab16c67c96d29a1a.jpg    Son visage de pâtre grec encadré de boucles brunes respire la sérénité de l’atmosphère douce et feutrée. Son bras droit, replié au dessus de sa tête, se perd dans la mollesse des coussins à franges. Le gauche sort timidement de sous les draps. Il se tend lentement vers la droite dans un mouvement imperceptible. Son index qui semble glisser langoureusement entre les étoffes soyeuses évoquerait presque celui de l’Homme au plafond de la chapelle sixtine. Sauf que lui ne rencontre rien. Le vide. L’absence. Ni Dieu ni femme.

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20 mars 2008

Sex-Toy Story

Mon histoire sur Pinkeo: Sex-Toy StoryJe participe à un petit concours "littéraire" organisé par Pinkeo, dont le thème est : Une journée dans la peau d’un sex toy. J’en ai profité pour reprendre un ancien texte inédit sur ce blog, et je vous invite à lire ma note du jour ici.

Ce concours est ouvert jusqu’au 15 Avril, avec 4 godes à gagner (au total, hein, par pour la même personne parce qu’il ne faut pas être trop gourmande non plus, un peu de tempérance bon sang !) N’hésitez donc pas à y aller de votre petit délire, plus on est de fous, plus on ri !

15 mars 2008

Short story

À vendre : chaussures bébé, jamais portées.

Faut pas trop lui en vouloir, il n’avait jamais lu Hemingway. En vérité, il n’avait jamais rien lu d’autre que l’Equipe, alors il n’a pas compris pourquoi on le traitait de plagiaire quand il a publié cette annonce sur ebay. Comme si être un père indigne ne suffisait pas. C’est ce que sa femme lui avait jeté à la gueule quand il avait voulu vendre les chaussures. Ex père aurait été plus juste mais il lui avait semblé inutile d’apporter cette précision. Cela n’aurait fait qu’envenimer les choses. Il reçut tout de même une offre acceptable, payée d’avance. Il profita que sa femme était partie pleurnicher chez sa mère pour envoyer le petit paquet par la poste. La jeune maman célibataire lui envoya un gentil mot pour le remercier, avec une photo de son marmot. Cela ne lui sembla pas bien malin, et c’était d’autant plus attendrissant. Il ne révisa jamais ce jugement. L’intelligence n’était pas ce qu’il estimait le plus. Surtout chez les femmes. Six mois plus tard, tout allait beaucoup mieux, pour lui. Il publia une nouvelle annonce sur ebay :

À vendre : alliance cause double emploi.

12 mars 2008

Suggestions et stéganographie érotiques

    Le docteur Cénas jouissait d’une notoriété départementale. On peut même affirmer qu’il était une véritable célébrité communale, et à ce titre le convive le plus en vue aux dîners mondains du sous-préfet. C’était en ces mémorables occasions que le pétulant docteur Cénas donnait toute la mesure de sa Science, dont les traitements de chocs si imaginatifs étaient illustrés d’anecdotes croustillantes qui n’épargnaient que les convives présents. Tenu au secret médical, il ne révélait pas les noms de ses patients, mais il n’était pas nécessaire de s’appeler Sherlock Holmes pour deviner quelle comtesse avait été guérie de sa constipation légendaire grâce à des lavements au bicarbonate de soude. Il y avait toutefois un cas qu’il ne mentionnait jamais, bien qu’il le préoccupât constamment, celui de Madame Auber, épouse de Monsieur Auber, pharmacien à Saint-Victor-sur-Loire.

    Lorsque Monsieur Auber fit appel au docteur Cénas, c’est parce que ce médecin était assez proche pour que sa brillante réputation lui parvînt, et assez éloigné pour qu’on ne jasât pas plus qu’on ne le faisait déjà. L’affaire était délicate, et Monsieur Auber ne savait plus par quel bout la prendre : menaces, injonctions, douches glacées, bromure et narcotiques réunis, le pharmacien avait tout essayé pour tenter de guérir son épouse, rien n’y faisait, elle demeurait insatiable. S’il ne l’avait pas aimée, l’affaire aurait été vite réglée et le divorce prononcé aux torts de la nymphomane. Mais voilà, non seulement il n’avait jamais eu la preuve qu’elle l’eût trompé, et quand bien même eût il su une telle infidélité, il l’aurait bien pardonnée tant que tous ne la sussent pas. Car Monsieur Auber avait fait un mariage d’amour maquillé en mariage de raison.

    Issu de la petite bourgeoisie Stéphanoise, Monsieur Auber venait d’ouvrir une modeste officine lorsqu’on lui avait présenté Mademoiselle Clémence de St Hilaire, un parti plus beau qu’il ne pouvait en espérer. Non seulement cette fille unique était issue d’une vieille et riche famille de propriétaires terriens, mais elle avait reçu la meilleure éducation dans un strict pensionnat catholique et surtout, elle était d’une grande beauté. Lui n’était pas laid, mais il était si gourmand que l’embonpoint avait fini par déformer ses traits.
    La première fois qu’il vît Mademoiselle de St Hilaire, il fut bien sur frappé par sa carnation pâle, ses traits de porcelaine, ses cheveux de jais ramassés en un chignon délicat qui mettait en valeur la finesse de sa nuque, et toute la noblesse de son allure. Mais il fut littéralement envoûté par ses grands yeux tristes, d’un noir profond, qui brillaient néanmoins d’un éclat fascinant. Quelques semaines plus tard, les noces étaient expédiées. Il en gardait un souvenir ému, non pas pour les sobres festivités mais pour la nuit nuptiale.

    Contre toute attente, ses rares expériences préalables et tarifées lui apparurent incomparablement plus fades que les transports trépidants de sa nuit de noce, au cours de laquelle son épouse montra un goût prononcé pour les mots autant que pour la chose. L’éventail de son champ lexical était aussi large que celui des pratiques auxquelles elle se livra, ainsi que les voies pour mener à bien ses aspirations sensuelles désormais légitimes. Le moraliste arguerait sans doute qu’elles étaient bien au-delà du devoir conjugal, fût-il accompli avec tout le zèle qu’autorisent les saints sacrements du mariage, mais le jeune pharmacien n’était pas fâché que son épouse ne lui refusât rien qu’il pût imaginer. Enivré de désirs, il but le nectar de leur union au calice de son égérie, jusqu’à la lie. Six mois plus tard naquit un robuste petit garçon.

    En pénétrant dans la pénombre de la chambre à coucher des Auber, dont les volets étaient clos et la porte fermée à clef, le docteur Cénas s’attendait à trouver une jeune mère neurasthénique. Madame Auber gisait dans son lit, à peine recouverte d’une chemise de nuit défaite qui s’ouvrait sur sa gorge haletante. Le drap repoussé dévoilait ses jambes jusqu’aux cuisses frémissantes, dont la peau glabre semblait luire d’une mauvaise fièvre.
    Lorsqu’il s’assit au chevet de la malheureuse, celle-ci tourna vers lui un visage si pâle, aux yeux charbonneux si luisants, un visage si touchant en vérité que le docteur en fut tout ému. D’une main fébrile mais étonnement forte, elle saisit le poignet du docteur en le suppliant de la soulager du feu qui la consumait de l’intérieur, qui n’avait de cesse de la tourmenter, elle et son brave époux épuisé, et tout en disant cela, elle attirait vers elle le bon docteur pour qu’il l’examinât en profondeur. Il interrogea du regard le pharmacien abattu au pied du lit, fit mettre un peu de lumière et il palpa tant et si bien sa patiente gémissante qu’elle se répandit en chaleureuses effusions.
    Malheureusement, son soulagement fut de courte durée, et le docteur s’était à peine rhabillé que la pauvre femme était prise de nouveaux tremblements sous le regard accablé de son mari. Le docteur Cénas tenta alors de masquer son impuissance à combler de telles attentes avec un lieu commun énoncé sur un ton docte : « Il faut combattre le mal par le mal ». « Oui, le mâle ! » renchérit Madame Auber avec un tel accent de sincérité que le docteur Cénas ne trouva pas l’idée si mauvaise. Il s’en félicita même, tandis qu’un nom lui venait à l’esprit : Paul Duboeuf, dit Paulo le Boucher.
    « Il va falloir être courageux » dit le docteur Cénas plein de compassion envers le pharmacien amaigri par les soucis et les efforts déjà fournis.

    Les doigts des bouchers ont parfois une certaine ressemblance avec les saucisses qu’ils manipulent. Cylindriques, les phalanges à peine marquées, les ongles engoncés dans une chair exubérante, chacun des doigts de Paul Duboeuf ressemblait déjà à une saucisse de Francfort. Mais Paulo le Boucher poussait le zèle jusqu’à incarner tout son fond de commerce : des cuisses épaisses comme des jambons de Bayonne, un poitrail de bœuf, une encolure de taureau, et une tête de veau où roulaient ses gros yeux humides au regard bovin. S'il eût pu inscrire sa colossale carcasse au concours agricole, il aurait remporté le premier prix dans toutes les catégories.
    Le docteur Cénas avait rencontré ce phénomène au début de sa carrière, quand il faisait ses premières armes en tant que médecin militaire. Le colosse avait été mis au trou pour avoir littéralement démonté toutes les filles à soldat qui avaient eu le malheur de croiser sa route. L’expertise médicale du docteur Cénas avait été déterminante pour sortir Paulo de ce mauvais pas : non seulement le pauvre garçon soufrait de priapisme, mais la nature facétieuse l’avait pourvu d’un organe calibré comme un saucisson à l’ail, dont le fougueux jeune homme ne savait tempérer les ardeurs.
    Afin de s’amender lorsqu’il eut repris la boucherie de son père à Besançon, Paulo s’était lancé dans la fabrication des préservatifs en boyau d’ovins au profit de la maison close locale. Il avait fini par en épouser la tenancière, une veuve qui en avait vu d’autres, et qui avait aussi vu l’intérêt qu’elle pouvait tirer de cette union : elle organisait de célèbres bacchanales estivales dans le jardin de son établissement, dont Paulo pouvait assurer l’approvisionnement.
    Fidèle en amitié, Paul Duboeuf se sentait encore redevable envers le docteur Cénas. Ce n’est pourtant pas la seule raison qui poussa les Duboeuf à accepter sa curieuse proposition.

recto...    Quelques jours plus tard, les Auber étaient plongés en pleine cure de chair : pendant que Madame était livrée aux mains du boucher, Monsieur était aux bons soins de la tenancière. Bienheureuse de ne pas avoir à endurer quotidiennement son char d’assaut de mari, Madame Duboeuf avait tout le loisir de s’adonner sans retenue à son péché mignon : la cuisine. Attablé du matin au soir en attendant les rares apparitions de son épouse, le pharmacien devait affronter les extravagances culinaires de son hôtesse.

    Rien que le petit déjeuner aurait rassasié un ogre: de la chiffonnade de jambon, des dentelles de gruyère, du lait frais à peine jaillit de la mamelle, l’orange aussitôt pressée, du rocamadour moulé à pleines mains ainsi que les miches de pain encore chaudes. Cela ne marquait que le début des hostilités, car pendant qu’il croquait tout cela avec un certain plaisir, surtout pour le croissant, elle lui préparait des œufs qu’elle saisissait à feux vif, ou plus délicatement : ses fameux œufs mollets aux lardons, avec lesquels il pouvait faire une mouillette à la confiture en attendant que la saucisse soit cuite à point. Car à peine avait-il terminé qu’elle préparait déjà la table pour midi. Lorsqu’elle était bien dressée, elle retournait en cuisine tandis qu’il se suçait encore le bout des doigts, salivant malgré lui pendant qu’elle chantonnait à la simple évocation du plaisir qu’elle allait prendre à tout lui faire engouffrer !

    Dès qu’il était midi, le déjeuner était prêt, et il était temps de passer aux choses sérieuses : après les petites bouchées financières et autres mignardises, crevettes au beurre, turbot sauce mousseline… peu à peu, Auber sentait qu’il s’enfonçait lentement, entre les cuisses de cailles à l’orange et les huîtres ouvertes, comme dans une douce béatitude, en remplissant la béance de son gosier extatique. Cela n’était pourtant que le coup d’envoi de va-et-vient effrénés entre la salle à manger et la cuisine, véritable marathon gastronomique qui se poursuivait tout au long de l’après-midi. Il ne cessait que pour dilater son estomac à l’occasion d’un petit trou normand, dans le seul but de mieux le lui remplir par la suite.

    Le soir venu, les filles sortaient de leur tanière avec l’arrivée des clients réguliers, ou d’autres hommes. Madame Duboeuf, même si elle était abondamment sollicitée, ne délaissait pas sa cuisine pour autant: pintade sautée au fenouil sur canapé, truite saumonée arrosée de chablis, consommé de crème d’asperge entre autres plats jaillissaient de ses fourneaux, sans qu’elle ne ressente rien d’autre qu’une folle allégresse à faire la cuisine comme son époux à faire l’amour. Auber, en revanche, était au bord du renvoi tant il l’avait avalée, cette cuisine  pantagruélique, de la poularde fourrée jusqu’à la crème de marron à la moelle. Parfois, une des filles venait lui tenir compagnie tandis qu’il s’attaquait aux desserts, Saraudin de fraises glacées ou pièce montée mousseline bourguignonne, et qui l’achevait d’une langue de chat.

verso    Après trois semaines de ce régime, les Auber prirent congé, définitivement guéris de leur penchant : ils avaient atteint l’indigestion escomptée.

 

 

 

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Cette nouvelle est ma réponse au défi lancé par le Cartophile : écrire une nouvelle inspirée par la carte postale qui illustre cette note. Je m’en suis imposé un autre : écrire un texte dont l’érotisme n’est que suggéré, voire même caché.

Je vous invite à lire les autres histoires à partir de là…

Toutes les histoires de la carte 22


 

28 février 2008

J’avoue tout !

    Chaque matin, je me lève à 5:55. J’aime ouvrir les yeux sur une belle symétrie, même si je déplore les deux points entre les deux premiers chiffres sur mon réveil matin. On pourrait sans doute me reprocher de ne pas le programmer pour 6 heures pile, mais un peu de fantaisie ne nuit pas n’est-ce pas ? Je commence par me laver les mains avant d’aller aux toilettes à 5:56. J’en sors à 5:59. Après m’être lavé les mains, je rentre dans la cuisine à 6:00, heure à laquelle le second radio réveil déclenche le flot des informations.

    Je n’ai qu’à tourner le bouton de ma gazinière pour chauffer la casserole de 35 cl d’eau minérale. Elle est assez chaude à 6:02. Après m’être lavé les mains, je n’ai qu’à la verser dans ma tasse pour dissoudre le sucre et la cuillérée de café instantané, puisque tout a été préparé la veille.

    Une double angoisse m’étreint au moment de beurrer mes biscottes. D’une part, je ne suis jamais certain que les biscottes vont toutes résister à la pression du couteau, même si j’ai toujours pris soin de sortir le beurrier du frigo depuis la veille. D’autre part, le nombre de victimes du dernier attentat en Irak pourrait être impair, ce qui est un mauvais présage. J’ai remarqué qu’une biscotte sur quatre se brise inopinément malgré tous mes efforts. Puisque j’en mange quatre, la probabilité qu’aucune ne se brise n’est que de 81/256 exactement, à multiplier par celle d’un nombre de victime pair qui est légèrement supérieure à ½ car il n’y a pas d’attentat en Irak tous les jours, de sorte que je suis angoissé environ 5 jours sur 6. Mes collègues ne me pardonnent pas ce léger manque de précision. Ils en profitent pour dire que je suis lunatique, que mon humeur dépend du pied avec lequel je me suis levé. Vous comprenez que ces allégations sont fausses et que mes craintes sont parfaitement fondées : Le temps de me laver les mains, de nettoyer ma tasse et mon couteau, de ranger la casserole et le beurre, traquer les miettes des biscottes me fait perdre de précieuses secondes, ce qui pourrait me faire entrer dans la salle de bain après 6:10.

    Car à partir de là, je n’ai plus une seconde à perdre, tout est chronométré : je fais couler l’eau de la douche préréglée à la bonne température tandis que je me rince la bouche avec une solution antiseptique; je me lave la tête avec du shampoing antipelliculaire ; je me savonne scrupuleusement le corps avec un savon surgras tandis que le shampoing fait effet ; je me rince les cheveux ; je me sèche avant de sortir de la douche ; je rince la douche ; j’étale la crème à raser sur mon visage légèrement humide ; je me rase précautionneusement ; je me lave les mains ; j’applique un baume après rasage sans alcool ; je me taille les poils des narines avec une tondeuse spécialement conçue à cet effet ; je m’épile les oreilles à la pince; je me lave les dents à la brosse électrique ; je me lave les mains ; je me sèche les cheveux au séchoir avec une brosse à brushing ; je passe l’aspirateur et je me lave les mains. Je dois être sorti de la salle de bain à 7:00 dernier carat.

    Je suis maintenant dans la dernière ligne droite : Il me reste à faire mon lit au carré – sans doute une manie contractée durant mon service militaire. Et puis mettre ma chemise blanche repassée la veille : elle m’attend au garde à vous sur son cintre ainsi que mon costume. Alors arrive l’instant le plus délicat: nouer ma cravate.

410ed32280fdef85f4711e436edaa162.jpg    J’ai la marotte des cravates à motifs, de préférence géométriques, très souvent à rayures, et je dois donc ajuster le raccord au niveau du nœud. Un peu comme les raccords de papier peint, si vous voyez ce que je veux dire. Bien sûr, je pourrais tricher, serrer plus ou moins au niveau du cou de sorte que les rayures du nœud s’ajustent parfaitement aux rayures de la cravate. Mais alors la cravate flotterait autour du col de ma chemise, ce qui est inacceptable. Il me faut au contraire jouer sur la longueur de la cravate, au millimètre près, pour que tout soit parfaitement ajusté, et donc tout recommencer en cas d’échec. Chaque matin, j’ai droit à trois essais. Si je n’y parviens pas, je dois me résoudre à porter ma cravate grise unie, la cravate des très mauvais jours car avec l’entraînement et certains repères qu’il serait trop long de vous expliquer, je réussis souvent premier coup. Je sais bien que mon nœud ne va pas cesser de se relâcher au cours de la journée, mais je pourrai réajuster le raccord de ma cravate devant le lavabo des toilettes de ma société à chaque fois que je me laverai les mains.

    Je me lave les mains, j’enfile mes gants de cuir, j’attrape mon fidèle attaché case qui m’attend devant la porte et je la claque à 7:15. Je dévale la première volée de marches qui mènent à l’ascenseur, et je les remonte aussitôt quatre à quatre. Je dois bien sûr vérifier que toutes les serrures de la porte ont bien été fermées à double tour, ce qui m’oblige à ouvrir à nouveau la porte. J’en profite pour me déchausser, pour aller jusqu’à la cuisine afin de vérifier que le gaz a bien été fermé, et parcourir de fond en comble mon studio où je vis seul depuis que ma femme m’a quitté pour être tout à fait certain qu’aucune lampe n’est restée allumée. Tout cela demande une très grande concentration, car je dois être vraiment sûr que tout est bien contrôlé. Autrement je serais bien obligé de tout recommencer. Par conséquent, il me faut aussi contrôler ma concentration tout au long du processus qui doit me mener de chez moi jusqu’au pied de l’immeuble. Heureusement, j’ai trouvé une méthode infaillible : dès que je suis à nouveau sur le pallier, à 7:20 au plus tard, je descends chaque marche des escaliers en les comptant à voix basse. J’habite au troisième, il y a deux volées de 9 marches à chaque étage, ce qui nous donne 55 marches en comptant celle au pied de l’immeuble.

    Ce matin, tout allait de travers : 37 morts en Irak, 2 biscottes cassées et je portais ma cravate grise. J’ai croisé madame Dupré à 7:21 à la trente septième marche. Un signe du destin ; elle venait de sortir son caniche qui m’a reniflé le bas du pantalon en remuant la queue ; je ne me souviens plus très bien de ce qu’elle m’a dit, elle pleurnichait en s’excusant du dérangement à cause des obsèques de son mari, mais moi j’étais déjà en retard, je l’ai un peu bousculée pour passer mais je me suis pris les pieds dans la laisse du chien et j’ai perdu l’équilibre et le compte des marches il fallait tout recommencer tout et j’allais être en retard à mon poste pour la première fois en vingt ans de carrière c’est pour ça que je l’ai tuée monsieur le commissaire il faut que je me lave les mains je vous en prie !

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    J’ai inventé de toutes pièces cette petite histoire en réponse à la requête de Bric à Brac pour me faire avouer 5 manies. La voilà bien servie, tout comme je m’étais inventé des péchés de jeunesse lorsqu’on m’avait demandé 7 aveux inavouables. Et il faudrait en plus que je recopie les règles de ce courrier en chaîne en désignant d’autres victimes ? Sachez, ami tagueur, que toute requête de ce type ne sera pour moi qu’un sujet de fiction.

12 février 2008

Ça roule !

6572b89ea305e409a14af777fbcb1378.jpg    Aujourd’hui, ça roule chez Dudek qui accueille ma dernière fiction sur JICSVB. Alors les filles, si vous aimez danser entre les bras musclés de vigoureux pompiers, cette histoire est pour vous…

10 janvier 2008

La voie lactée (2)

    Muriel reçut la réponse à ses questions de la bouche même de Rocco, sans qu'il ne dise un seul mot. Ses lèvres abandonnèrent celles de Muriel pour se poser sur ses pieds, remonter le long de ses jambes fuselées, glisser entre ses cuisses, toujours plus haut sous sa robe qu’il retroussait dans un même mouvement, jusqu’à s'aventurer sur sa vulve pas même protégée par la moindre dentelle. Il y débusqua le plaisir de Muriel d'une langue experte. Elle eut l’impression qu’on lui déménageait les neurones. Non seulement elle ne savait toujours pas comment réagir, mais son corps s’était mis en pilotage automatique à dix mille pieds. À cette altitude, les seules pensées fugaces qui traversaient le vide stratosphérique de son esprit étaient du genre : « Heureusement que je me suis fait faire une épilation du maillot avant-hier pour mon anniversaire de mariage »,  « Non, je ne participe pas à une reconstitution historique pour tout public », « Oui, les gémissements qui sortent de ma bouche doivent probablement faire partie du script vu le calme relatif du frisé »…
    Soudain, un rire sardonique éclata au-dessus de sa tête. Muriel ouvrit les yeux et découvrit avec effroi un horrible personnage moustachu, affublé d'un costume de pirate, et qui brandissait une prothèse à la place de sa main, dont la forme n’était pas celle d'un crochet. Rocco, qui léchait consciencieusement le minou de Muriel, dégagea son visage barbouillé de cyprine et s'exclama:

- Capitaine Godemiché !
- Pousse-toi de là, prince charmant, je vais te montrer comment on réveille une belle au bois Dormant ! Eructa l'horrible personnage en faisant vibrer sa prothèse.
- Yamais yé né la laisserai entre vos mains, si y'ose dire! Répondit le prince charmant plein d'humour.
- Tais-toi! La mienne est plus grosse que la tienne, dit l'affreux capitaine avant d’assener un coup de son gourdin sur la tête du prince charmant qui s'écroula sur le pont, théâtral.
- Plus grosse et plus dure aussi... maintenant, à nous deux ma belle, dit l'ignoble capitaine Godemiché en approchant son monstrueux appendice.

Le visage grimaçant qui se pencha sur Muriel la fit suffoquer, certes de terreur mais pas seulement : Après avoir assommé le téméraire prince charmant, l’abominable capitaine godemiché tentait de l’asphyxier à l’aïoli ! Trop c'est trop ! Prête à affronter les vociférations du frisé et l’abandon prématuré d’une prometteuse carrière cinématographique, Muriel poussa un hurlement d’effroi avant de sauter du hamac et de s’enfuir sur le pont en carton pâte, aussitôt poursuivie par l’odieux capitaine, qui finit par la coincer face au bastingage. Penchée en avant, le visage rougi par l’effort de la course poursuite, toutes ces émotions, et l’abominable verge en caoutchouc qui s’immisçait entre ses fesses, Muriel hurla à l’adresse du frisé et de sa caméra impudique:

e52c70e6a64f28dd90e5027a383951cd.jpg- Non! Laissez-moi tranquille! Au secouuuuurs!
- Allez Peter Pan! Clama le metteur en scène extatique, sous les yeux de Muriel, arrondis par la prise et la surprise.

    « Peter Pan ? Mais non, c’est bien le capitaine godemiché », allait protester Muriel qui était bien placée pour le savoir, mais tout ce qu’elle parvint à articuler fut un vague « Ouille ! »
    Tandis qu’elle commençait à s’ouvrir à la pressante prothèse, apparu un homme en collants verts. Suspendu à une corde, les pieds en avant, il envoya valser l’épouvantable capitaine dans le décor. L’héroïque bellâtre atterrit sur le pont juste derrière Muriel. « C’est moi ! Peter Pan ! » Fanfaronna-t-il aussitôt à son endroit, ou plutôt son envers qui venait d’échapper aux ultimes outrages. Les jambes encore tremblantes, Muriel se retourna pour faire face au sauveur de sa vertu, tentant vainement de remettre un peu d’ordre dans sa robe de dentelle toute chiffonnée.
    « Mais, mais c’est le beau Christopher Clark ! » balbutia-t-elle en regardant son héro s’avancer vers elle avec la démarche assurée d’un macho italien, un sourire conquérant agrafé au visage. D’un geste à l’ampleur romantique, il la prit par la taille, plaqua ses hanches contre les siennes, et il planta son regard mâle d’acier entre les paupières féminines papillonnantes, conformément aux poncifs du genre.

- Qu’est ce qu’on dit à son sauveur préféré ?
- Je crois que je vous dois une fière chandelle.
- C’est le cas de le dire. Il ne vous reste plus qu’à l’allumer.
- J’ai pourtant cru sentir que mon regard de braise a déjà enflammé vos sens.
- De désir je me consume. A vous d’en faire jaillir la flamme.
- Action! Action! Hurla le frisé, vous vous croyez à la Comédie Française?

    Cette fois-ci, Muriel obtempéra bien volontiers aux injonctions tyranniques. Ce n’est pas tous les jours que se présente une telle opportunité, songeait-elle en regardant la fameuse opportunité déformer outrageusement le collant vert de Peter Pan – à prononcer piteu panne avec l’accent anglais, ce qui en l’occurrence n’est pas très adapté. Muriel s’agenouilla opportunément, parsema de petits baisers les cuisses musclées du héro, et elle libéra enfin sa glorieuse virilité. Il va voir ce qu’il va voir, ce Peter Pan, pensa Muriel qui poussa sa science de la flatterie orale jusqu’à la flagornerie : pour le repos du valeureux guerrier, rien ne fut épargné, de ses testicules consciencieusement léchouillées à la pointe de son gland littéralement avalé. Muriel éprouva un plaisir mâtiné d’orgueil à le sentir grandir, durcir entre ses lèvres humides. Captivée par ce phallus tant convoité avec lequel elle pouvait enfin jouer à sa guise – car derrière ses airs de sainte nitouche, elle connaissait par cœur toute la filmographie de Christopher Clark dont elle matait les films en cachette à la moindre occasion -  Muriel n’avait même pas senti les doigts experts qui faisaient glisser sa robe à terre, mais elle sursauta en sentant un souffle chaud sur son intimité brûlante. Une tignasse blonde s’était glissée entre ses cuisses, tignasse sous la quelle elle reconnu le regard langoureux du prince charmant qui lança une tirade d’anthologie : « Yé repris mes esprits, à moi de vous faire perdre les vôtres… »
    Le prince charmant joignit aussitôt le geste à la parole, dans tous les sens du terme. Sa langue agile explora les méandres de la vulve humide avec une verve insoupçonnée, jouant d’une rhétorique linguale d’une étourdissante efficacité, et qui battit en retrait les dernières pudeurs de Muriel. De peur de perdre un soupçon de ce torride argumentaire, elle se prêta aux exigences techniques du pornographe qui l’assaillait de minuscules caméras tendues au bout de perches indiscrètes. « Lève la cuisse droite ma chérie, oui plus haut, c’est ça. Rocco mon coco, lèche lui le clito que du bout de la langue, hein, sinon on voit rien. La caméra anale est prête, tu peux lui mettre un doigt dans le cul… Non, ne t’arrête pas de le sucer ma cocotte ! Ca va Christopher, tu tiens le coup ? ».
    Christopher n’a pas tenu le coup. Il se recula pour éjaculer une épaisse giclée de sperme entre les lèvres entre ouvertes de Muriel. Une bavure dont elle se lécha les babines, mais qui contraria le frisé. « Merde ! Christopher qu’est ce que tu fous ! Bon, on rattrapera ça au montage. » N’écoutant que son désir et anticipant ceux du frisé, Muriel sauta au coup de Peter Pan, plaqua ses cuisses autour de la taille de son partenaire, et elle s’empala sur sa verge encore raide. Ça c’est du montage, depuis le temps qu’elle en avait envie. Ragaillardi par tant d’audace, Peter pan déposa délicatement les fesses de sa partenaire sur la rambarde du pont, pour mieux la besogner avec la dernière énergie. Le frisé avait beau maugréer, il dut suivre caméra au poing l’action qui s’emballait, l’irrésistible flot des pulsions, et l’orgasme qui ne tarda pas à submerger Muriel. Psalmodiant une litanie contradictoire de « oui » et de « non », encore frissonnante de la jouissance qui s’attardait, elle sentit à peine le corps musculeux auquel elle était accrochée la soulever, et écarter ses fesses pour livrer sa croupe à l’énorme dard du prince charmant. Son oeillet bien calé sur la pointe de ce gland imposant, Muriel fût abandonnée à la gravitation, seulement retenue par deux phallus inflexibles qui s’enfonçaient irrésistiblement dans ses entrailles. La puissance de la prise était telle qu’elle en eut le souffle coupé. Sa bouche grande ouverte happait l’air, et hoqueta une jouissance sauvage, tandis qu’elle encaissait les assauts furieux de ces males en rut, le va et vient alterné de leur piston de chair que rien ne semblait pouvoir arrêter, jusqu’à l’explosion finale, la lave brûlante et vaine qu’elle reçut au plus profond de son fond.
    Tant pis pour la liturgie pornographique moderne et son Saint-Sacrement spermeux. Tant pis pour le phallus secoué comme un goupillon sur le bénitier d’un cul impie, accompagné par l’oraison des jouissances simulées. La voie lactée coulait en elle comme une sève interdite, semence de désirs illicites et de mort.

    Muriel se réveilla en sueur dans la banquette du salon. Seule. Elle éteignit la télé où tournait un de ses vieux films X, et elle jeta un coup d’œil au réveil. 2h35. Plus que quelques heures à dormir avant que son ex ne dépose leur fille unique. Muriel ne se sentait pas en état de l’emmener au parc d’attraction, mais une promesse est une promesse. Il y avait eu bien assez de trahisons comme ça. Comme un robot, elle chercha ses médicaments à tâtons. Elle retrouva le dernier tube sous le sapin aux guirlandes clignotantes. Elle aurait pu y voir un signe de bon augure mais elle avait passé l’âge de croire au père Noël. Elle n’espérait plus que son mari revienne habiter avec elle. Elle n’en était pas encore à espérer un miracle. Elle espérait juste que demain, elle supporterait les effets secondaires de sa trithérapie.
    Bienvenue dans la réalité, princesse.

07:15 Publié dans Fictions | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : La voie lactée

03 janvier 2008

La voie lactée (1)

Pour ma première note de l'année, jouez les étoiles et filez chez Ysé : la voie lactée vous y attend !

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Au fait, meilleurs voeux etc...

16 novembre 2007

Infidélité

Tante Babette prit une profonde inspiration, et elle m’entraîna dans la foule, loin de l’étal de bonbons multicolores. Ballotté entre les gabardines mouillées, je parvenais à peine à voir le sommet du sucre d’orge vers lequel je gardais les yeux rivés comme sur un phare à bonheur, lorsqu’elle jeta l’ancre sur un rivage de tristes coquillages.

- Cela fait combien d’années, Elisabeth ? 15 ans ? Plus ?
- 17 ans Jacques.

Je décidai de le détester aussitôt. C’était à cause de lui que j’étais maintenu dans ce brouhaha, à au moins dix longues Barbapapa du paradis des pommes d’Api !

- Dire qu’il m’a fallu tout ce temps pour oser revenir… il fallait que je parte Elisabeth…
- Je crois qu’il ne s’est pas passé un jour sans que je ne pense à toi, Jacques. Si tu savais comme tu… tes douceurs m’ont manquée. Je n’ai jamais été voir ailleurs.
- Oui… enfin… ton mari a toujours une sacrée réputation dans ce domaine…
- Tu sais, avec lui, je n’ai jamais fait que mon devoir.

Une dame vint coller son gros ventre contre mon nez. Non seulement elle sentait la chouquette pas fraîche, mais je ne voyais plus mon sucre d’orge !

- Tu n’as pas changé Elisabeth ! Toujours la même bouche gourmande.
- Arrêtes, tu vas me faire rougir.
- Viens ! Viens par ici, je vais te montrer quelque chose, tu sais bien… ta préférée !
- Oh non, Jacques, ce n’est pas raisonnable !
- Tu crois que ça pèse lourd, une petite folie devant 17 ans d’abstinence ?
- Toi non plus tu n’as pas changé. Tu sais toujours parler aux femmes.

« Ô tante Babette, mais où va-t-on encore ? Tu m’avais promis le sucre d’orge ! » Ai-je pensé très fort.

- Tu sais que je l’ai préparée exprès pour toi ?
- Hummm… elle a l’air bien grosse. J’en ai l’eau à la …
- Prends là Elisabeth, c’est cadeau, pour mon retour. Vas-y, goûte !

Tante Babette se baissa et, d’une main tremblante, elle ouvrit le gros paquet du monsieur. Elle engloutit son biscuit à peine sorti de sa boite ! En plein marché ! Sans attendre l’heure du thé !
« Je le dirai à oncle René, que tu es infidèle à ses spéculos industriels ! »

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Bonsoir Vagant 

Après concertation avec l'équipe, j'ai décidé de ne pas publier ton texte
C'est un texte scabreux dans l'utilisation systématique du double sens
Je conçois que cela t'amuse, mais
PP n'est pas le lieu pour accueillir des textes de ce type
Si tu publies ce texte sur ton blog, je te demande de ne pas utiliser
ma photo. Merci

Coumarine

Si j’ai décidé de publier ce message de Coumarine, ce n’est pas pour la fustiger – elle est bien libre de faire ce qu'elle veut sur son blog - mais pour introduire le débat sur la ghettoïsation de l’érotisme, même lorsque celui-ci est assez discret alors que la télévision nous submerge de sexe à longueur de campagnes publicitaires. Plus généralement, j’ai l’impression que le monde des blogs est profondément segmenté, comme s’il était impossible au sein d’un même espace d’écrire sur des sujets variés - dont l’érotisme - ce qui nous pousserait presque à la schizophrénie virtuelle, à la multiplication des blogs et des identités selon des sujets spécialisés dont on ne pourrait pas sortir. Qu’en pensez-vous ?

09 octobre 2007

Échangisme belge

    D’un sourire engageant, Marion invita Jean à entrer dans sa chambre à coucher. Les murs étaient couverts des photos de Mathieu, son mari, surtout des natures mortes où la rouille disputait l’automne aux arbres dégarnis. Au diapason des photos paisibles, Marion parlait d’une voix grave, voilée d’un léger feulement qui lui conférait une sensualité irrésistible. « La fenêtre donne sur le jardin, c’est très calme ici, dit-elle sur un ton de confidence. On pourrait crier tant qu’on veut, personne n’en saurait jamais rien. » Il s’approcha tout près d’elle. Depuis l’étage, la vue s’étendait sur les champs jusqu’à l’horizon brumeux, jusqu’à sa perte. Il l’embrassa et ferma les yeux.
8246995b2be17a475288278b8e67edab.jpg    Le parfum capiteux de la jeune femme embaumait la pièce, et Jean ressentit autant de gène que d’excitation à pénétrer ainsi son intimité. Au rez-de-chaussée, sa femme était avec Mathieu, dans la chambre d’amis ou au salon, mais c’est sur une photo juste devant lui, au dessus de la tête de lit, qu’il focalisa son attention : un quai à l’abandon, au fond duquel ne coulait plus qu’un flot d’herbes folles. Une invitation à embarquer sur une chimère, une invitation au voyage impossible. Oui, impossible. Aller voir ailleurs, les transports trépidants, non, ce n’était pas pour lui. Marion était pourtant là, suspendue à ses lèvres, mais Jean ne pouvait détacher son regard du défaut sournois tout en bas de la photo : deux ombres roses. Les doigts de Mathieu s’étaient égarés sur l’objectif. Jean ne voyait plus qu’eux, ces gros doigts moroses qui allaient se perdre sur Bijou, la toucher, partout, à l’intérieur... La symétrie de la situation ne changeait rien à l’affaire dont sa femme était d’ailleurs l’instigatrice. Même s’il avait été excité par les annonces, abandonner là son Bijou entre leurs mains le révulsa.
    Mais pour le plaisir de sa femme Julie, il se tourna vers Marion, accepta d’échanger ce pavillon flamand contre son Bijou pour les vacances, et il lui donna solennellement les clefs de la maison…

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Oui, je l’avoue, j’abuse : cette note est presque un plagiat, celui de Lassitude par Madeleine sur NOLDA. Presque car le traitement est tout de même légèrement différent, et je plaide les circonstances atténuantes : j’ai agi sous la contrainte de Coumarine qui m’a obligé à parler de maison. Je n’étais certes pas obligé d’évoquer l’échangisme non plus, mais il me fallait aussi vous satisfaire, ami lecteur, pour pouvoir mieux vous frustrer ! À ce niveau là, je crois que ça va suffire pour l’instant, ma prochaine histoire sera du vécu, du vrai cul !

05 octobre 2007

La cliente

    Une jeune femme m’ouvre la porte d’entrée aux cuivres lustrés. La sévérité de ses atours souligne la chaleur de ses atouts : bas satinés sur peau ambrée, tenue rigoureuse sur gorge pulpeuse, blondeur angélique sur mascara diabolique. Elle m’offre le large sourire réservé à la plus « fidèle » clientèle - si tant est qu’on puisse parler de fidélité dans notre milieu - ponctué par un accueil déférent digne de mon dédain: « bonjour madame Carolyn ». C’est ainsi que je me fais appeler dans cette maison, même si personne n’est dupe. Tous savent qui je suis. 
    Une musique voluptueuse berce la salle dont la décoration bourgeoise affiche un luxe ostentatoire. Sur les murs capitonnés de cuir pourpre souligné de boiseries en loupe d’orme, des toiles originales encadrées de dorures sont éclairées à la bougie des lustres en cristal surannés. Mes talons pointus s’enfoncent dans la moquette onctueuse, tandis qu’on m’accompagne vers mon fauteuil club qui me tend ses bras accueillants. Les regards jaloux des clientes glissent sur mon arrogance. Ceux des garçons se prosternent à mes pieds. Je constate avec plaisir que Marquet a pris soin de me réserver ma place sans avoir eu besoin de le lui rappeler. La dernière fois, elle était prise par la pimbêche du JT en cuissardes de mauvais goût. Marquet sait trop bien ce qu’il lui en a coûté. Je m’assieds en prenant soin de faire crisser mes bottes tout en affichant une moue dédaigneuse. Il est encore tôt dans la soirée : autour de moi ne bruisse que le doux babillage des confidences luxurieuses, des corruptions vénales et des intrigues byzantines. Pour les rires cinglants et les sanglots étouffés, il faudra attendre encore un peu.

    Il s’en est d’ailleurs fallu de peu pour que j'aie dû attendre ma coupe de Veuve Cliquot millésimé, mais je dois avouer que Marquet ne s’est pas moqué de moi : ce jeune garçon est très à mon goût. Grand, les épaules larges et la taille fine, il porte divinement bien son costume Smalto, sobre comme je les aime, dont les reflets moirés mettent en valeur son teint halé et ses boucles noires. Il s’avance vers moi, droit comme un matador dans l’arène, avec aux lèvres le sourire conquérant qui joue à l’obséquieux, trahi par un regard ténébreux où semblent encore brûler les vestiges d’une antique noblesse castillane. C’est ainsi qu’ils me plaisent, qu’ils m’excitent, qu’ils m’agacent avec leur jeunesse insolente : encore âpres, presque rugueux, fiers comme des purs-sangs à dompter. Quelques années plus tard, repassé par les exigences de la clientèle, ce ne sera plus qu’une carpette insipide sans la moindre aspérité à gommer. Je peux déjà lire tout cela dans ses yeux sombres, les illusions passées à jamais perdues dans l’inéluctable déchéance à venir, tandis que je sirote mon champagne et que je savoure mon présent, ce délicieux moment qui précède l’énoncé de mes desiderata auxquels il se pliera avec la fausse connivence qui permet de supporter la servilité. Mais pour l’instant, je le fais attendre, debout devant moi qui le toise sans sourciller, en ne lui adressant qu’un sourire narquois à peine esquissé. Tous les garçons savent ce dont je suis capable, ils lui auront appris mes célèbres extravagances, les humiliations que je leur ai parfois fait subir, les larmes hargneuses que certains ont dû ravaler. Il doit y penser à son tour, et perdre peu à peu sa confiance au cours de ce duel, imperceptible s’il n’y avait la longueur de ces secondes silencieuses, jusqu’à perdre toute sa fière contenance, l’irrévérence de son regard qui m’esquive maintenant, qui descend plus bas sans oser s’arrêter sur ma poitrine opulente, jusqu’à venir lécher la pointe de mes talons rutilants.
    Il cède enfin et rompt le silence de sa voix charmante où perce encore un peu de soleil ibérique à peine voilé de grisaille parisienne.
    - Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, Madame ?
    Mais qu’est-ce qui pourrait encore me faire plaisir ? Formulée ainsi, sa question est d’une candeur risible. Comme si je venais chez Marquet pour le plaisir ! Non mon petit, il n’est nullement question de plaisir ici, mais d’audaces flamboyantes, d’exigences perverses et de coups bien pesés. Malgré les apparences, nous ne sommes pas dans une luxueuse maison de plaisir mais au cœur des cuisines du pouvoir, dans l’antre des influences, à la cour des dominations ! Mais comme tu m’es sympathique, petit espagnol mal dégrossi, je ne vais te donner qu’une petite leçon, et puis… et puis j’ai envie de quelque chose, finalement : J’ai envie de me payer le luxe suprême de la trivialité dans le temple du raffinement.
    Je lui susurre un ordre. Assez bas pour qu’il ne l’entende pas. Il va devoir me faire répéter, ce qui le mettra dans une situation inconfortable, jusqu’à ce qu’il comprenne la position à prendre.
    - Je vous prie de m’excuser, Madame, je n’ai pas bien compris...
    Oui, tu n’as pas encore compris mon petit, me dis-je en répétant juste assez fort pour qu’il puisse bien sentir l’agacement dans le ton de ma voix, mais pas assez pour qu’il comprenne le sens de ma demande. Cependant, je sens que ça commence à venir: Il s’est penché en avant, le dos droit et les jambes tendues, jusqu’à ce que son visage soit à peu près au niveau du mien, mais légèrement au dessus néanmoins. Tu as les genoux encore un peu raides, bel hidalgo. Je répète encore mes instructions, bas comme une menace sourde dont il ne peut que comprendre l’ampleur. Il blêmit à l’idée de me faire répéter une fois de plus. Une fois de trop, même s’il a finit par prendre la pose qui convient à son rang : à genoux à mes pieds, comme une geisha empressée, l’oreille tendue à l’affût du moindre claquement de langue. Alors je lâche mon injonction à haute et intelligible voix dans le creux de son oreille. Il en sursaute et repart en tremblant, sa leçon bien apprise. Dieu qu’il est émotif !
    J’ai à peine eu le temps de faire le décompte des vieilles peaux qui se pâment pour la moindre œillade des garçons, que le mien revient, à nouveau fier comme Artaban, en apparence. Même s’il n’en a plus trop dans la culotte, c’est le cas de le dire, je suis agréablement surprise de ce qu’il exhibe, mais pas autant que toutes les clientes éberluées qui se retournent sur son passage. Il s’approche jusqu’à moi, un peu gêné malgré le naturel qu’il s’efforce d’afficher, et je ne peux réprimer mon sourire. Ah, Marquet sera toujours Marquet : comme pour me répondre du tac au tac, il a ordonné au garçon de me présenter sa queue dans une assiette démesurée ! C’est certes un beau morceau, plus long et plus épais que ce à quoi je m’attendais, mais tout de même, quelle assiette !
    Sans dévoiler la moindre émotion, je laisse couler mon regard sur le remarquable appendice amoureusement préparé, dans l’assiette dressée à mon intention. Mais je ne peux résister au plaisir de fermer les yeux lorsque son fumet vient chatouiller mon nez légendaire. Car ses arômes rustiques et généreux, ses effluves organiques à l’insolente authenticité m’ont aussitôt catapultée loin, très loin dans mes souvenirs d’enfance au fin fond de la Meuse. Là bas, bien cachée dans l’arrière cuisine, non loin de l’étable d’où provenaient les mugissements des bêtes et le parfum du foin aux abords de l’hiver, j’attendais le retour de mon père dès la tombée du jour, tandis que ma mère au fourneau y répétait ses gammes culinaires au rythme monotone d’une vieille l’horloge comtoise. Le vendredi soir, quand mon père qui rentrait de l’abattoir arrivait dans la cuisine, c’était toujours le même cérémonial. Ma mère allait à la fenêtre, elle vérifiait que personne ne risquait de les voir depuis la cour, elle se retournait vers mon père qui avait déjà sorti sa queue, et elle lui disait avec un ton de reproche démenti par sa mine réjouie:
    - Attends un peu ! Je ne suis pas prête !
    - T’as vu le morceau ? Tâte moi ça, touche un peu !
    - Oui, c’est vrai qu’elle est belle.
    C’est le moment où je fermais les yeux pour les abandonner au plaisir de l’instant, celui des sens primaires, qui nous touche en profondeur jusqu’à la lisière de l’âme, de l’olfactif atavique à l’auditif prénatal. J’inspirais à grandes goulées cette intense ruralité, la voix rocailleuse de mon père enfin revenu, et l’odeur du ragoût qui mitonnait sur le feu et embaumait la cuisine d’odeurs riches et généreuses. C’était un ravissement. L’oignon qui blondit comme du blé mûr, la crème épaisse qui se délite à feu doux, la viande et sa moelle légèrement grillées au four avant de mijoter où elles révèlent alors des arômes de gibier. Je distinguais tous ces parfums, ou plutôt je les entendais comme une aubade fulgurante aux unions de la chair, ils s’imprimaient en moi, me faisaient pâmer de plaisir, libéraient mes envies carnassières, au point d’aller fourrer mon nez dans le marmiton avec la concupiscence des affamés. Je crois que c’est grâce à ces moments là que j'ai compris quelle était ma vocation.

    Les yeux toujours fermés, je porte un bout de la queue à mes lèvres. A son contact chaud sur ma langue, à la fois moelleux et vigoureux, j’ai la sensation d’avoir à nouveau dix ans, dans la cuisine de maman, lorsque papa riait et lui disait que j’aimais ça: Je commence à la malaxer de la langue, des joues, du palais et des dents, je la mastique avec ampleur jusqu’à éblouir mes papilles de la suavité recueillie. Dans le ragoût de maman, la queue de boeuf - que papa chipait à l’abattoir - avait cette saveur, cette onctuosité, cette truculence que je croyais inimitable. Mais Marquet a réussi le tour de force de me mettre les larmes aux yeux. Il l’aura, sa quatrième étoile au guide Michelin.

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Toute ressemblance avec Une gourmandise de muriel Barbery serait loin d'être fortuite, mais le seul lien avec Légume des Jours est ici.

01 octobre 2007

Zapping

Il est minuit et bientôt trente minutes. J’ai beau chercher, je ne trouve pas le sommeil tout seul dans ma chambre d’hôtel, alors j’allume la télé, officiellement à la recherche d’un programme soporifique, officieusement pour mater les extraits du film porno de la chaîne payante : Je zappe le politicard qui déblatère en Danois – rien qu’à voir sa mine, je n’ai pas besoin des sous titres – je zappe le présentateur bronzé qui sautille en hurlant autour d’une roue de strass au bras d’une bombe de fortune – à moins que ce soit l’inverse – je zappe la grève des bus, une marée noire, deux famines, trois guerres civiles, et je tombe sur la blondasse siliconée qui suce le tatoué bodybuildé. Elle a l’air d’aimer ça quand on lui flanque sur sa face de pouf un gros panneau : « chaîne privée payante, 89 couronnes le film ». Je vous le traduis grosso modo du Danois au Français, mais je ne pense pas me tromper de beaucoup. Aux coins de l’écran apparaissent encore des bouts de bite, mais le cœur de l’action demeure caché par le panneau inamovible qui insiste lourdement pour que je lâche mes 89 couronnes danoises. Je zappe. Les chevaux sont dans le virage, la casaque rouge est en tête suivie de prêt par la jaune, c’est ce que doit dire le commentateur mais je ne parierais pas 1 couronne. Je zappe. La blondasse agenouillée a engouffré le gros membre du culturiste, les yeux et la glotte écarquillés. Va-t-elle étouffer ? me demandé-je en commençant à me tripoter quand paf ! Le panneau à 89 couronnes coupe tout le suspens du drame pornographique. Je zappe. La casaque jaune remonte à la corde, va-t-elle coiffer la rouge sur le poteau ? Le suspens hippique est à son comble mais moi je m’en fous, je n’ai pas joué. Je zappe. La blonde enjambe le musculeux définitivement très bien monté, et se retrouve à cheval sur son poteau au gland rouge qu’elle coiffe de sa vulve mouillée. J’ai délaissé la quequette pour la zapette : je n’ai que deux secondes pour bien identifier la position et je zappe avant le panneau à 89 couronnes, en comptant sur la persistance rétinienne pour suivre l’action. La pouliche a l’écume aux lèvres. Ses cuisses musclées prennent appuis sur le sol. Elle s’enfonce – je zappe - sa crinière se soulève à chaque poussée qui l’emboîte - je zappe - sur la queue de l’étalon. Elle remonte de plus en - je zappe - plus fort ! Quelle chevauchée au triple galop sous les - je zappe - coups de cravache du cavalier aux muscles bandés qui - je zappe - claques sur la croupe. L’étalon est à la peine sous la pression de la pouliche qui - je zappe - enserre ses flancs. Quel finish ! Sur un dernier coup de reins, c’est lui qui jaillit le premier - je zappe - 7 Rocco à 6 contre 1, 5 Ovidie à 8 contre 1, 11 Zara Whites à 12 contre 1 qui rapporte dans le désordre 89 Couronnes danoises…

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23 septembre 2007

Elles

   Je lui ai dit de se taire.
   C’est tout ce que j’avais trouvé pour arrêter un instant l’engrenage, au moins reculer l’échéance. Il a retenu son mouvement et m’a regardée avec ses yeux de brute, vides comme une nuit sans lune:
- Tu veux que je la ferme ? Moi ? Je n’ai rien dit, abrutie ! T’entends des voix !
- Ne l’ouvre pas, je t’en prie…
   J’ai vu un éclair de compréhension dans son regard fou, et puis un mauvais sourire sur ses lèvres épaisses. Il a brandi son couteau suisse et il l’a ouverte comme un porc. Elle s’est vidée à gros bouillon. C’est tout juste s’il l’a regardée. Sans doute devait-il déjà la considérer comme un cadavre. Il en a mis partout, de ce liquide poisseux et âcre, qui colle à la peau et à l’âme. À moi de nettoyer tout ça, d’effacer les traces de son crime devant Dieu. J’ai l’habitude maintenant. Je me suis endurcie. Je sais.

   Avant, je me doutais bien qu’après son travail à l’abattoir, il ne rentrait pas directement à la maison. Où allait-il traîner, je ne voulais pas le savoir. Pas savoir où filait sa paye ; pas identifier les odeurs sur ses vêtements ; oublier mes cauchemars avec elles comme les gros titres des journaux ; tout encaisser plutôt que ses coups. Jusqu’au jour où il en a ramené une à la maison.
   Je m’en rappellerai toujours, elle était là, petite au creux de la banquette, impassible, rutilante de paillettes aux reflets noirs et rouge. Superbe. La beauté du diable.
- Je t’en supplie, Reza, pas devant moi, pas chez nous…
- Chez moi ! Et je fais ce que je veux !
   Je me suis ruée sur elle, je voulais la balancer sur le pallier, mais il m’a envoyée valser d’une seule gifle. Quand j’ai repris mes esprits, il l’avait prise, il l’étreignait dans ses mains de boucher, et quand il en a fini avec elle, il l’a fracassée contre le mur du salon. Une horreur ! J’ai réussi tant bien que mal à faire disparaître tous les morceaux du cadavre avant la visite de l’imam. Quelle honte !
   Ils sont cachés dans le placard avec celles qu’il n’a pas brisées.

10 septembre 2007

Le VRP

L’horloge indique 22h30 mais elle est en avance. Elle m’accompagne partout, cette petite horloge, aux quatre coins de la France. Elle est de tous mes coups. Je viens d’ailleurs d’y jeter un coup d’œil pour savoir combien de temps il me reste à tirer, et je me concentre à nouveau sur ces deux trous où s’introduire.

Je suis VRP. Je vends tout et surtout n’importe quoi, tant que cela me permet de sonner aux portes, de planter mon sourire carnassier dans l’entrée entrebâillée, et glisser des regards insidieux dans l’échancrure des vies privées. Ce sont presque toujours des femmes qui m’ouvrent, de ces ménagères de moins de 50 ans que les pubards cherchent à baiser, alors qu’il suffit de sonner à leur porte avec une gueule d’amour. Dès le premier regard, je sais si je vais conclure l’affaire. Après quelques questions stratégiques, je sais quand et comment. Je me suis spécialisé dans la petite bourgeoises engoncée dans un mariage sous lexomil, piégée par les marmots et les crédits à taux variable, mais prête à vivre la grande aventure entre la purée du déjeuner et le chocolat du goûter : trois heures de ménage maquillées en rêve à bon compte auprès d’un beau sentimenteur. Alors elles m’ouvrent tout, de leur chambre à coucher à leurs rêves télévisés, elles s’ouvrent jusqu’au cœur pour que je les cambriole.

Je suis VRP, officiellement. Tout s’est très bien passé cet après midi avec ma cliente. Elle m’a même fait la bonne surprise du mari en voyage d’affaire pour la semaine, alors j’ai tout mon temps. No Stress. Ça va glisser comme dans du beurre. Maintenant qu’il fait nuit, il ne me reste plus qu’à décider comment la violer. Devant moi, deux trous. Celui de gauche est ouvert, pas béant, non, juste ouvert, prêt à ce que j’y pénètre. L’autre est fermé, prêt à être forcé. Entre les deux, un espace incertain, rouge brique. Inutile de risquer la blessure, je vais opter pour la fenêtre de gauche. Il me semble bien que c’est celle du bureau. Le fric est dans le tiroir du bas.

05 septembre 2007

Vacances au Cap

Il faisait beau ce soir là, et même encore chaud. J’aime bien cette région. J’y vais chaque été. La plage, les dunes, je ne m’en lasse pas. Il y a toujours du spectacle, et je peux vous dire que ça chauffe ! Depuis le temps que j’y vais, je me suis fait des copains et on ne loupe pas une rencontre. S’il n’y a qu’un groupe d’hommes pour regarder, ce sera nous. Bon, autant vous le dire tout de suite, c’est pour les initiés. Vu de loin, ça a l'air sauvage, voire bestial. Mais non, faut pas croire, c’est assez bien organisé, il y a des règles. Avec un peu d’habitude, on sait quand et comment ça va se passer, et si ça vaudra le coup de sortir tout l’attirail. Ce soir là, on savait tous que tôt ou tard, cela allait finir par arriver. Depuis le temps qu’ils se tournaient autour…

Ce sont des jeunes, leur tenue légère met en valeur leur corps qui n’a rien à envier à ceux des pros qu’on voit à la télé sur les chaînes privées : les hommes virils, au buste large, aux cuisses épaisses, aux bras puissants, de vraies bêtes ! Les femmes en raffolent, qu’elles se l’avouent ou non. Ah les femmes ! Parlons-en, elles ont beau faire leur mijaurée, ce sont bien toutes les même, de fieffées… je n’en dirai pas plus. Bref, ils s’approchent tous les uns des autres. Ils se la jouent un peu : démarche chaloupée, poitrine bombée, sourires en coin. Ça à beau être des amateurs, nous qui faisons cercle autour d’eux, on sent bien qu’ils ne sont pas venus faire de la figuration. Ils ne vont pas faire semblant, eux, pas comme ces mauviettes qui débandent dès qu’il s’agit de s’engager à fond. Il va y avoir du spectacle, c’est sûr ! Le groupe se resserre. Ils se frôlent, ils se provoquent. Ça parlemente aussi. Nous, de loin, on n’entend pas ce qu’ils se disent, mais on ne peut pas s’approcher plus près, ils arrêteraient tout et on se ferait jeter. Ils doivent négocier leurs positions respectives, décider qui va prendre qui. Rien qu’à voir les regards qu’ils se jettent, on sait que ça va chauffer. La tension monte. Ils se frottent les uns contres les autres. Ça m'excite ! À côté de moi, papy sort ses jumelles. J’ai oublié les miennes. Il doit voir tous les détails de ces préliminaires, ce vieux salaud, jusqu’aux gouttes de sueur ou d’autre chose… Il a l’impression d’y être, c’est sûr, peut être même que ça lui rappelle sa jeunesse : il est du coin, papy Du Plessis. J'entends sa respiration s’accélèrer. Il doit s’y croire, au beau milieu des peaux luisantes, à étreindre le corps de ses partenaires. Ce genre de spectacle devrait être interdit aux ancêtres, ils risquent de faire sauteur leur pacemaker ! Nous, les plus jeunes de la bande, nous ne sommes peut être même pas en touche, mais il suffirait qu’ils nous désignent du doigt, qu’ils nous fassent signe de les rejoindre, et on fonce dans le tas ! Oui Monsieur ! On n’est peut-être pas de la toute première fraîcheur, mais à quarante-cinq balais, on se tient la dragée haute, si vous voyez ce que je veux dire, et on tient sûrement mieux la distance que bien des jeunots !

Ça y est ! Ils ont pris position : Face à face et au signal, ils pousseront tous en même temps. Une poussée bien pénétrante... Oh putain con ! Ils se sont emboîtés comme au tétris. On entend leurs râles d’ici. Ils y vont à fond, cuisses contre épaules, et les mains étreignant la taille ou le cul de leurs partenaires. L’introduction n’a pas traîné au milieu de cette mêlée incertaine, mais avec ces types là, une chose est sûre, mieux vaut ne pas avoir le ballon au risque de se faire plaquer aussi sec ! Ah ! Ah ! Si les nôtres jouent comme ça dans quelques jours, ce n’est pas cette année que le XV de France battra nos Springboks !

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J’en profite pour donner un petit coup de pouce au charmant blog d’une vraie amatrice, ici…